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Criminaliser la résistance ? Université, opinion publique et pressions transnationales

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Au Liban, un incident apparemment anodin survenu dans une prestigieuse université de la capitale a récemment ravivé un débat profondément ancré dans l’histoire politique et culturelle du pays : celui de la légitimité de la résistance armée et de sa représentation dans l’espace public. En avril 2025, une manifestation d’étudiants favorables à la cause palestinienne et critiques de l’attitude d’Israël a été interrompue dans l’enceinte d’un campus, au motif qu’elle constituait une atteinte aux règles de neutralité académique. Derrière cet épisode, se joue une partie bien plus vaste, impliquant l’université, la mémoire collective, le discours public et les dynamiques diplomatiques régionales et internationales.

L’université comme terrain idéologique

Les universités libanaises ont toujours été des espaces de débats politiques intenses, parfois conflictuels, et souvent liés à des enjeux géopolitiques dépassant les frontières du campus. Depuis les années 1970, elles ont accueilli des mobilisations étudiantes sur la Palestine, la guerre civile, les interventions étrangères ou encore les politiques économiques. Mais l’incident récent marque un tournant : pour la première fois, la direction d’un établissement a officiellement interdit la diffusion de slogans accusant Israël de crimes de guerre, au motif qu’ils pourraient heurter des partenaires académiques internationaux.

La réaction des étudiants ne s’est pas fait attendre. Ils dénoncent une atteinte à la liberté d’expression et un alignement de l’institution sur des logiques diplomatiques extérieures. Pour eux, il ne s’agit pas simplement d’une censure administrative, mais d’un glissement idéologique qui vise à rendre la résistance impensable dans le cadre académique. L’université, autrefois perçue comme un sanctuaire de la pensée critique, devient alors un lieu de normalisation politique.

Le poids des bailleurs et la diplomatie académique

Derrière cette affaire, se cache une réalité souvent ignorée : la dépendance croissante des universités libanaises aux financements extérieurs, notamment issus de fondations, d’agences de coopération et d’institutions partenaires, principalement en Europe et en Amérique du Nord. Ces partenariats, indispensables à la survie financière des établissements, s’accompagnent souvent de clauses implicites sur la neutralité des discours ou l’image internationale de l’université.

La direction de l’université concernée aurait ainsi reçu plusieurs remarques officieuses d’ambassades et de partenaires internationaux, s’inquiétant de la radicalisation supposée de certains discours étudiants. Cette pression diplomatique, bien que non contraignante juridiquement, pèse de manière significative sur les choix internes des administrations.

La ligne de fracture devient alors nette : d’un côté, une génération d’étudiants mobilisés autour de causes régionales, de l’autre, des institutions soucieuses de préserver leur image globale. Ce décalage reflète un rapport de forces plus large, dans lequel la diplomatie pénètre les structures éducatives et y impose, parfois discrètement, des normes politiques.

Résistance et criminalisation : une dialectique ancienne

Au Liban, le mot « résistance » a toujours été ambivalent. Il peut désigner l’opposition à une occupation étrangère, mais aussi un prétexte à la mainmise de groupes armés sur certains territoires. Cette ambivalence est au cœur des divisions politiques du pays. Certains partis font de la résistance un pilier de leur légitimité, d’autres y voient une menace à l’autorité de l’État.

Dans ce contexte, toute prise de position sur la résistance palestinienne, en particulier sur les méthodes du Hamas, est immédiatement interprétée à travers le prisme libanais : est-on pour ou contre le Hezbollah ? pour ou contre le désarmement ? pour ou contre l’influence iranienne ? Ces glissements sont omniprésents dans le débat public.

L’incident universitaire recentre ce débat sur un terrain symbolique : celui de la représentation. Peut-on, au Liban, défendre la résistance palestinienne sans être accusé d’extrémisme ? Peut-on évoquer les crimes israéliens sans être soupçonné de soutenir des groupes classés terroristes ailleurs ? C’est cette frontière que les étudiants ont voulu interroger, et que l’institution a tenté de refermer.

Opinion publique et polarisation interne

L’affaire a rapidement dépassé les murs du campus. Sur les réseaux sociaux, des intellectuels, des journalistes et des politiques se sont exprimés, certains en soutien aux étudiants, d’autres en défense de la neutralité académique. Mais au-delà des réactions immédiates, l’événement révèle une polarisation plus profonde dans la société libanaise : celle entre un camp qui revendique le droit à la parole critique contre l’occupation et la violence, et un autre qui redoute les conséquences d’un discours perçu comme trop engagé dans un contexte international tendu.

Dans les quartiers populaires, la réaction est plus tranchée. La censure de slogans pro-palestiniens est perçue comme une trahison, un alignement de l’élite éduquée sur des positions étrangères à l’histoire du pays. Dans les cercles diplomatiques, au contraire, certains saluent la retenue de l’université, y voyant un signe de professionnalisation et d’ouverture.

Ce clivage est révélateur d’une tension entre deux modèles de société : l’un qui assume un rôle politique actif, l’autre qui privilégie la conformité institutionnelle. Et entre les deux, une génération étudiante qui cherche encore sa place.

Normalisation, internationalisation et pressions croisées

L’un des enjeux soulevés par cette affaire est celui de la normalisation des relations avec Israël. Si le Liban n’entretient toujours pas de relations diplomatiques officielles, la multiplication des accords de coopération dans la région, notamment les accords d’Abraham, modifie l’environnement régional. Certaines universités du Golfe ont entamé des partenariats avec des institutions israéliennes, et cette dynamique exerce une pression indirecte sur les établissements libanais, appelés à se positionner.

L’internationalisation de l’enseignement supérieur pousse les universités à adopter des standards mondiaux, souvent anglo-saxons, qui valorisent la neutralité, la gestion des risques, et le branding institutionnel. Dans ce cadre, les mobilisations politiques sont perçues comme des « disruptions » à contenir. La pression ne vient pas seulement des États, mais aussi des logiques de marché : attirer des étudiants étrangers, des fonds de recherche, des classements internationaux.

Ainsi, ce qui s’est joué dans une salle de conférence ou un amphithéâtre dépasse de loin les murs de l’université. C’est la place même du Liban dans la diplomatie académique mondiale qui est en question : peut-on être un acteur régional critique sans être marginalisé dans les circuits internationaux ? Peut-on défendre une cause sans risquer l’isolement financier ?

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