Un défaut historique sans issue claire
Le 9 mars 2020, pour la première fois de son histoire, le Liban a fait défaut sur sa dette souveraine, incapacité symbolique et pratique d’honorer ses engagements envers ses créanciers. Ce défaut marquait l’entrée du pays dans une crise financière d’une ampleur inédite. Depuis cet événement, aucune restructuration crédible n’a été menée à terme. Les négociations avec les créanciers privés comme avec les institutions financières internationales piétinent dans une atmosphère de défiance mutuelle. Cette absence de résolution durable condamne l’État libanais à une paralysie budgétaire chronique et aggrave une instabilité économique et sociale déjà critique.
Une dette publique devenue insoutenable
Avant même le défaut, la dette publique libanaise avait atteint des niveaux stratosphériques, avoisinant 170 % du PIB. Cette dette, largement détenue par les banques locales et la Banque du Liban, constituait une menace systémique pour l’ensemble du système économique. Depuis 2020, l’effondrement du PIB, l’effritement des recettes fiscales et la dépréciation continue de la livre libanaise ont encore aggravé la charge de la dette en termes relatifs. La dynamique actuelle est insoutenable : l’État n’a plus accès aux marchés internationaux, la dette continue de croître par l’accumulation d’arriérés, et aucun mécanisme interne ne permet de financer les besoins budgétaires essentiels sans recourir à une création monétaire inflationniste.
L’échec des tentatives de négociation avec les créanciers
Immédiatement après le défaut, le gouvernement libanais avait entamé des négociations pour une restructuration ordonnée de sa dette. Des consultations avaient été menées avec les détenteurs d’euro-obligations et les principaux bailleurs multilatéraux. Cependant, l’absence de plan économique crédible, les divisions internes au sein du gouvernement et la résistance de certains acteurs politiques à toute forme de transparence budgétaire ont rapidement compromis ces discussions. Les créanciers, méfiants, ont exigé des garanties sur les réformes et la restauration d’une gouvernance économique crédible, demandes auxquelles les autorités libanaises n’ont jamais répondu de manière satisfaisante.
Les conséquences internes du blocage de la restructuration
Le coût de l’absence de restructuration est colossal pour l’économie libanaise. Sans accès aux marchés, le financement de l’État repose essentiellement sur l’impression monétaire, accélérant l’inflation et la dévaluation monétaire. Le secteur bancaire, principal détenteur des titres de dette publique, est complètement paralysé, incapable de financer l’économie réelle. L’État, privé de ressources, n’est plus en mesure d’assurer ses fonctions essentielles : salaires des fonctionnaires, financement des hôpitaux publics, entretien des infrastructures de base. Cette situation aggrave la pauvreté, alimente l’économie informelle et encourage l’émigration des compétences.
Le rôle ambigu du Fonds monétaire international
Le FMI a proposé un programme d’assistance conditionné à des réformes économiques structurelles : restructuration bancaire, réforme fiscale, renforcement de l’indépendance judiciaire, lutte contre la corruption. Le Liban, tout en affichant son désir de coopération, n’a jamais mis en œuvre les mesures préalables nécessaires pour débloquer un accord formel. Le processus de négociation est ainsi resté dans une impasse, chacun des gouvernements successifs échouant à bâtir un consensus interne sur le coût politique des réformes exigées. Cette situation a conduit à un isolement progressif du Liban sur la scène financière internationale.
L’aggravation de la dette intérieure
En l’absence d’accès aux marchés extérieurs, l’État a accru sa dette intérieure, notamment vis-à-vis de la Banque du Liban et des caisses de retraites publiques. Cette dynamique ne fait que déplacer le problème sans le résoudre, en transformant la dette extérieure impayée en une dette intérieure tout aussi insoutenable. La Banque du Liban, en finançant les déficits publics par création monétaire, aggrave l’inflation et détruit le pouvoir d’achat des ménages, alimentant ainsi la spirale récessive qui mine l’ensemble du tissu économique.
L’impact social et politique d’une dette incontrôlée
La crise de la dette a des conséquences sociales dramatiques : paupérisation massive, effondrement des services publics, explosion du chômage. Cette détérioration du tissu social alimente la colère populaire, la contestation et la fragmentation communautaire. Sur le plan politique, l’incapacité à résoudre la crise renforce la méfiance des citoyens envers les institutions et nourrit les discours populistes et sécessionnistes. Le risque d’une désintégration progressive de l’État, déjà perceptible dans certaines régions, est réel si aucune solution n’est trouvée rapidement.
Les scénarios d’avenir : entre restructuration tardive et effondrement incontrôlé
À ce stade, deux scénarios principaux se dessinent pour le Liban. Le premier, optimiste, envisage une restructuration ordonnée de la dette dans le cadre d’un accord global avec le FMI et les principaux créanciers, accompagnée de réformes économiques crédibles. Ce scénario nécessiterait un changement profond des équilibres politiques internes et une volonté collective de rompre avec les pratiques passées. Le second, plus probable à court terme, est celui d’un effondrement progressif : fuite des capitaux résiduels, perte totale de capacité de l’État à assurer ses missions de base, explosion sociale. Sans une inflexion majeure, le Liban risque de devenir un « État failli », avec des conséquences régionales et internationales majeures.