Les derniers articles

Articles liés

Edito: De l’outrecuidance d’un président réélu et des empires ressuscités

- Advertisement -

Le grand retour d’un personnage décidément inclassable
C’est donc dans une Amérique toujours prompte à la surprise qu’éclôt, telle une fleur insolite, un deuxième mandat pour Donald Trump. Les mauvaises langues prétendaient qu’il finirait derrière les barreaux, assommé par les affaires judiciaires; les autres, plus optimistes, voyaient en lui un futur présentateur d’émission de variétés. Eh bien non: le voici bombant le torse dans le Bureau ovale. Les outrages passés? Balayés! Les accusations d’inconduite? Pfft, évanouies! Les soupçons de fraude? Tout juste bons à faire la une des journaux du soir. M. Trump, lui, s’entoure de héros bien singuliers: quelques dictateurs nord-coréens qu’il trouve “remarquables”, un Vladimir Poutine qu’il admire pour sa “fermeté”, un Benjamin Netanyahu élevé au rang de confesseur, et même un Mohammed ben Salmane, affectueusement surnommé MBS, malgré les sombres histoires de coupeurs d’os — n’en déplaise à Jamal Khashoggi, dont le souvenir flotte encore dans les couloirs des ambassades.

Le tribut extravagant d’une Ukraine exsangue
Ainsi donc, première lubie: sommer l’Ukraine — déjà aux prises avec les bombardements russes — de régler la bagatelle de cinq cents milliards de dollars. Oh, certes, les chiffres officiels parlent plutôt de quatre-vingt-cinq milliards d’aide; mais à ce degré de fantaisie, mieux vaut gonfler la note, histoire d’impressionner la galerie. Tant pis si l’Europe, qui a versé cent trente-cinq milliards, s’en étrangle de dépit. M. Trump fait la sourde oreille et préfère exclure l’Ukraine — victime en titre — du processus de paix, tout comme il aime ignorer la diplomatie continentale. L’absurdité de la chose rappelle ces bals masqués où l’on oublie d’inviter le roi, tout en s’étonnant de son absence.

La fièvre des ressources: jadis le charbon, aujourd’hui les terres rares
Nous retrouvons ici le charme suranné du grand colonialisme, lorsqu’on courait après le charbon, l’ivoire et les canaux stratégiques (Suez, Panama) pour asseoir une gloire impériale. Chez M. Trump, l’appétit se focalise plutôt sur les terres rares, ces précieuses matières indispensables aux gadgets du XXIᵉ siècle. Le Groenland, riche en ces trésors souterrains, lui apparaît comme un eldorado à portée de main. Quant à l’Ukraine, on la suppose potentiellement féconde en minerais, céréales et autres ressources juteuses. Et puis il y a la route polaire, un équivalent moderne des fameux canaux, reliant les océans via le Grand Nord dégelé. Quoi de plus réjouissant, pour un président en quête de rentabilité, que de facturer le passage des navires tout en se targuant d’exploiter, allègrement, les bouleversements climatiques?

Gaza, ou la quête d’un “horizon de béton”
Passons à l’autre lubie: la bande de Gaza, convoitée à présent pour en faire un “paradis touristique”. On s’imagine déjà de riants gratte-ciel, des plages privées, quelques casinos pour les plus fortunés. Problème: il y a un peuple qui vit là, précisément. Qu’à cela ne tienne, disent les fervents supporters du grand bâtisseur: on n’a qu’à “dégager” ces habitants, un peu comme on ôte des cailloux de son soulier. Les mots “nettoyage ethnique” sifflent déjà à nos oreilles, et l’on songe, non sans malaise, à ces accords “d’Abraham” qui, loin de ressembler à un beau sermon biblique, s’apparentent aux traités coloniaux d’antan: tout pour le pouvoir, rien pour l’indigène. Soi-disant, mais pour l’offrir à son grand ami Bibi, puisque quand on veut faire étinceler le béton, on n’a pas le temps de s’embarrasser des autochtones.

L’époque où l’on traite un pays comme un comptoir
Un observateur nocturne de la planète pourrait croire que le temps s’est figé. L’Ukraine se retrouve traitée comme un misérable comptoir: on lui vend de la protection, puis on lui envoie la facture la plus salée possible. Gaza, elle, subit le sort d’une colonie de jadis: on lui promet la “modernité” à condition que ses habitants veuillent bien s’exiler. Et la fureur “Trumpienne” ne s’arrête pas là: on lorgne sur le Groenland, le passage nord, et pourquoi pas le Canada, histoire d’élargir la carte. Il ne manque plus qu’un globe terrestre orné d’une petite étiquette “à vendre” pour que l’on comprenne à quel point la logique marchande a supplanté toute forme de décence.

L’Europe: une potiche que l’on tient à l’écart
Et l’Europe, dans tout cela, fait figure de demi-fantôme. Elle a beau claironner qu’elle a injecté cent trente-cinq milliards pour aider l’Ukraine, M. Trump n’en a cure. La grande diplomatie du Vieux Continent se retrouve réduite à tenter d’ouvrir la porte d’une réunion dont elle est exclue. Rien de surprenant: au XIXᵉ siècle, on découpait déjà des zones d’influence derrière des rideaux de velours, sans que les populations concernées aient voix au chapitre. Nous avons désormais la version 2.0 de ce partage: l’Europe proteste, s’agite, mais ne fait guère plus de bruit qu’une vieille casserole.

Quand l’humanitaire n’est plus qu’un prétexte
“Humanitaire”, disait-on? En vérité, M. Trump, tel un prêteur sur gages, préfère compter les deniers. L’Ukraine doit payer, Gaza doit décamper, et quiconque conteste la manœuvre est invité à relire le grand livre du profit. Jadis, on invoquait la mission civilisatrice pour justifier la conquête de territoires; aujourd’hui, on met en avant la rentabilité, la sécurité et l’innovation. Autant de mots creux quand, en filigrane, on devine l’ambition crue: accroître sa suprématie, fût-ce au détriment de ceux qui n’ont pas eu la chance de naître dans le “bon” camp.

Le frisson des affaires… et des scandales
De scandales, point n’est besoin de faire l’énumération: qu’il s’agisse de fraude ou d’inconduite sexuelle, il semblerait qu’au pays de l’oncle Sam, tout soit pardonné à celui qui sait manier le verbe et cultiver l’illusion de la grandeur. Admirant Poutine, félicitant la Corée du Nord, tapotant l’épaule du prince saoudien, M. Trump n’a jamais fait mystère de son goût pour les méthodes musclées. Pourquoi donc se gêner quand il s’agit de soutirer de l’argent à Kyiv ou de pousser hors de chez eux les habitants de Gaza? Il n’y a qu’à faire comme si c’était naturel… ce qui rappelle, hélas, une longue tradition de pillages coloniaux.

Une diplomatie plongée dans l’impasse
C’est un ballet étrange: l’ONU esquisse un pas de protestation, l’Europe menace d’un geste vexé, quelques ONG s’indignent. Pendant ce temps, le Président américain avance, sûr de lui, en brandissant sa nouvelle Doctrine: “Je fais ce que je veux, quand je veux, et si vous n’êtes pas contents, je vous enverrai la facture.” Après tout, c’est cette recette qu’il applique à l’Ukraine et à Gaza. Quant au Groenland, il n’est pas loin d’étendre un immense tapis rouge, de peur que les États-Unis ne décrètent une opération immobilière d’envergure.

La vieille dette américaine et l’oubli des bons sentiments
Combien de fois faudra-t-il répéter que les États-Unis ont eux-mêmes été sauvés par la France lors de leur guerre d’Indépendance? Sans le soutien financier et militaire du royaume, sans l’audace du jeune marquis de La Fayette, la bannière étoilée n’aurait peut-être pas vu le jour dans sa forme actuelle. Jamais, cependant, Washington n’a estimé devoir rembourser ce concours héroïque. Autre temps, autre morale, diront certains: toujours est-il qu’aujourd’hui, M. Trump, si prompt à faire payer l’Ukraine, ne paraît guère se souvenir de la dette morale contractée envers la France.

Entre chaos et vigilance
Au final, la scène ressemble à une mauvaise pièce de théâtre: l’Ukraine s’épuise à la porte de la négociation, Gaza s’enferme dans un cauchemar d’expropriation, l’Europe brandit sa dignité bafouée, et M. Trump, tel un bonimenteur sûr de son succès, clame ses aspirations impériales. Restent les terres rares, le passage polaire, les canaux stratégiques… autant de joyaux qu’il entend exploiter comme jadis on exploitait le caoutchouc ou les esclaves. Et tout ce beau monde, Moskva et Riyad en tête, semble plus que jamais disposé à faire la sourde oreille aux remontrances.

Que l’on ne s’étonne donc pas si, dans quelques décennies, les historiens contemplent cette ère comme une tragique farce, où l’on a laissé un seul homme — englué dans ses procès, fou de grandeur — redessiner les frontières à coups de menaces et de facturations. Peut-être fera-t-on un musée du grotesque, avec, en bonne place, une statue dorée de M. Trump brandissant sa fiche de calcul et drapé dans un costume d’empereur. Drôle de destin pour un monde qu’on espérait sorti des âges sombres, mais qui semble ravi de rejouer la comédie coloniale, avec des effets spéciaux en sus. La morale, dans tout cela? Il faut croire que l’Humanité aime répéter ses erreurs, quitte à le faire avec panache et un grand sourire.

- Advertisement -
François El Bacha
François El Bachahttp://el-bacha.com
Expert économique, François el Bacha est l'un des membres fondateurs de Libnanews.com. Il a notamment travaillé pour des projets multiples, allant du secteur bancaire aux problèmes socio-économiques et plus spécifiquement en terme de diversité au sein des entreprises.

A lire aussi