Une prorogation qui suscite la controverse
Le Conseil des ministres a décidé de prolonger jusqu’à la fin de l’année 2026 l’exploitation du site de traitement et de stockage des déchets de Jdeideh. Cette décision, présentée comme une mesure temporaire de gestion des urgences, a immédiatement ravivé les tensions entre les autorités centrales, les municipalités et les riverains. Officiellement, la prorogation vise à éviter une nouvelle crise de collecte en attendant la mise en œuvre d’un plan national de traitement durable.
Le texte adopté précise que la supervision du site relève désormais du Conseil du Développement et de la Reconstruction (CDR), chargé d’en assurer la réhabilitation technique et la transformation progressive en une unité de valorisation énergétique. La municipalité de Jdeideh obtient, en contrepartie, un droit d’exploitation sur la production électrique future générée par la station.
Les débats ministériels ayant précédé la décision ont mis en évidence les difficultés de coordination entre les services de l’Environnement, des Travaux publics et de l’Énergie. Plusieurs ministres ont mis en garde contre le risque de saturation du site et l’impact environnemental d’une extension prolongée, tandis que d’autres ont défendu la mesure comme un « moindre mal » face à l’absence d’alternative immédiate.
Les arguments du gouvernement
Le gouvernement justifie la prorogation par la nécessité de prévenir une nouvelle accumulation de déchets dans la capitale et sa périphérie. Selon le rapport technique présenté en séance, les centres de Bourj Hammoud et de Costa Brava approchent de leur capacité maximale, rendant indispensable le maintien de Jdeideh dans le réseau métropolitain de traitement.
Le texte met également en avant la « transition vers une valorisation énergétique », définie comme une solution intermédiaire avant la création d’unités régionales de traitement. Le projet prévoit l’installation d’un système de captage du biogaz émis par le site, destiné à alimenter une petite unité de production électrique locale. Les revenus issus de cette production reviendraient pour partie à la municipalité de Jdeideh, chargée de financer des projets communautaires et environnementaux.
Le ministre de l’Environnement a défendu la décision en affirmant qu’elle « assure la continuité du service public tout en ouvrant la voie à une exploitation énergétique conforme aux standards internationaux ». Il a souligné que la conversion du site permettrait de « réduire les émissions de méthane et d’en faire une source d’énergie propre au bénéfice de la collectivité locale ».
Les réserves des élus locaux
La municipalité de Jdeideh a accueilli la décision avec prudence. Son président a salué la reconnaissance du rôle local dans la gestion du site, mais a exprimé des inquiétudes sur la faisabilité technique de la conversion énergétique. Il a déclaré que « les promesses de valorisation ne peuvent masquer le fait que Jdeideh reste le principal réceptacle des déchets de la capitale », ajoutant que « la population en subit les conséquences sanitaires et environnementales depuis des années ».
Plusieurs municipalités voisines, dont Bauchrieh et Antelias, ont également critiqué la décision. Elles estiment qu’elle accentue la concentration des nuisances dans le même périmètre et qu’elle traduit l’incapacité de l’État à mettre en œuvre une politique de décentralisation du traitement des déchets. Les élus municipaux ont rappelé que « les engagements successifs sur la fermeture du site n’ont jamais été tenus » et que « les mesures temporaires deviennent de fait permanentes ».
Les associations environnementales locales ont dénoncé un « prolongement déguisé d’un modèle dépassé ». Selon elles, la production d’énergie à partir des déchets ne saurait être un prétexte pour maintenir un site déjà saturé. Elles appellent à une révision globale de la stratégie nationale, fondée sur la réduction à la source, le tri sélectif et la réutilisation.
Le rôle du Conseil du Développement et de la Reconstruction
Le CDR se voit confier une mission centrale : concevoir, financer et superviser la création d’une station de production électrique intégrée au site. Le mandat inclut la construction d’un système de récupération du gaz, la mise en place de turbines et la connexion au réseau de distribution local.
Le projet, encore à l’état d’étude, devrait être financé à parts égales par l’État et par des partenariats public-privé. Les ingénieurs du CDR insistent sur la complexité du chantier, qui nécessite des travaux d’étanchéité, de stabilisation des pentes et de drainage des lixiviats avant toute installation énergétique.
Selon les estimations techniques, la capacité de production envisagée resterait modeste – de l’ordre de deux à trois mégawatts –, mais elle permettrait d’alimenter une partie des équipements municipaux, notamment l’éclairage public et les bâtiments administratifs. Le projet est présenté comme une première expérience pilote avant un déploiement plus large sur d’autres sites de traitement du Grand Beyrouth.
Enjeux environnementaux et sanitaires
Les experts environnementaux alertent sur les risques de pollution persistants. Le site de Jdeideh, installé sur une zone côtière densément urbanisée, présente des risques d’infiltration dans les nappes phréatiques et d’émission de gaz nocifs. Plusieurs études menées ces dernières années ont signalé la présence de composés organiques volatils et d’odeurs persistantes affectant les zones résidentielles voisines.
Le ministère de la Santé a recommandé la mise en place d’un dispositif de suivi permanent des émissions et de la qualité de l’air. Il demande la création d’un comité scientifique associant l’Université libanaise et les ONG spécialisées, chargé de mesurer l’évolution des indicateurs environnementaux pendant la durée de l’exploitation prolongée.
Le ministère de l’Environnement prévoit également d’imposer des normes plus strictes pour la gestion des lixiviats, ces eaux chargées issues de la décomposition des déchets. Le plan inclut la construction de bassins de traitement biologique et de systèmes de filtration, destinés à éviter tout rejet direct dans la mer.
Réactions politiques et institutionnelles
Plusieurs députés de la région du Metn ont exprimé leur mécontentement. L’un d’eux a qualifié la décision de « prolongation imposée », regrettant qu’aucune consultation locale n’ait précédé l’adoption du décret. D’autres parlementaires ont demandé la publication du rapport technique complet du CDR avant le début des travaux, afin d’assurer la transparence du projet.
Les élus favorables à la décision soulignent cependant son caractère pragmatique. Selon eux, « le pays n’a pas les moyens d’ouvrir un nouveau site à court terme », et la transformation énergétique de Jdeideh « représente une solution transitoire, mais nécessaire ». Ils appellent à juger le projet « à ses résultats, pas à ses intentions ».
Les enjeux financiers et la répartition des bénéfices
Le texte adopté prévoit un mécanisme de partage des revenus issus de la production électrique entre l’État et la municipalité. Une partie des recettes sera affectée à un fonds de développement local destiné à financer des projets communautaires et écologiques. Cette disposition a été saluée comme une reconnaissance du rôle des collectivités dans la gestion environnementale, mais plusieurs maires estiment qu’elle reste insuffisante.
Certains réclament un pourcentage plus élevé des bénéfices, arguant que « les communes supportent les nuisances sans en tirer les avantages économiques ». D’autres demandent des garanties sur l’utilisation des fonds, craignant qu’ils soient absorbés par des dépenses administratives.
Un symbole des limites de la gouvernance environnementale
La prolongation de Jdeideh illustre les contradictions persistantes de la politique nationale des déchets. Les autorités cherchent à concilier urgence et planification, mais peinent à offrir une stratégie cohérente et durable. Les engagements successifs sur la fermeture des décharges côtières et la création d’un réseau de tri et de compostage restent sans mise en œuvre effective.
Les observateurs voient dans cette décision la confirmation d’une approche de court terme, centrée sur la gestion de crise plutôt que sur la réforme structurelle. Malgré les promesses de valorisation énergétique, les risques environnementaux demeurent. Les communes affectées continuent de réclamer un modèle fondé sur la décentralisation, la transparence et la participation citoyenne.



