Au Liban, le débat public est souvent marqué par une polarisation intense, où toute opinion divergente est rapidement étiquetée et discréditée sans autre argument. Cette tendance à la dialectique binaire entrave le dialogue constructif et nuit à la cohésion sociale, nuit au débat public.
Mais quand on doit aller au-delà de cette dialective, quand on veut procéder à une analyse, on doit souvent faire violence à ses opinions personnelles pour aboutir à un inventaire objectif et réaliste, ce que ces personnes ne semblent pas savoir faire en raison d’une sorte d’aspect binaire, ou c’est noir ou c’est blanc mais ils manquent de voir les nuances de gris dans leur raisonnement. Ils ne voient surtout pas que ce qu’ils considèrent être le problème n’est qu’une conséquence et vouloir proposer les mauvaises solutions pourrait amener à une problématique plus importante.
Prenons l’exemple du débat autour du Tribunal spécial pour le Liban dans les années 2000. À l’époque, certains plaidaient pour le renforcement de l’État de droit et des institutions judiciaires nationales, estimant qu’un tribunal extraordinaire compromettait le principe d’égalité entre les citoyens. Cette position s’appuyait également sur une conviction fondamentale : après la fin de l’occupation syrienne, le Liban avait l’occasion unique de démontrer qu’il pouvait fonctionner comme un véritable État de droit, et non un État d’exception. Cela impliquait la construction de systèmes judiciaires robustes et crédibles, capables de traiter des affaires complexes tout en garantissant la justice et l’impartialité. Cependant, exprimer une telle position valait immédiatement l’accusation d’être « pro-syrien », sans possibilité de débat rationnel.
Pourtant, cet attachement à la justice et à son indépendance, au lieu d’être diabolisé, aurait pu prévenir nombre des problèmes auxquels le Liban est confronté aujourd’hui. Un système judiciaire fort et indépendant aurait permis de mener à bien des enquêtes cruciales, comme celles liées à l’explosion du port de Beyrouth ou aux détournements de fonds massifs via le secteur bancaire. Ces mêmes détournements, largement ignorés ou couverts à l’époque, sont à l’origine de la crise financière actuelle ou se sont amplifiés durant celle-ci. En négligeant l’opportunité de construire un État de droit, le pays s’est condamné à subir les conséquences de cette faiblesse institutionnelle.
Un autre cas emblématique est celui de Riad Salamé, ancien gouverneur de la Banque du Liban, dont les malversations financières – comme les scandales Forry Associates et Optimum Invest – ont finalement été confirmées par des enquêtes internationales. Pourtant, à l’époque, critiquer Salamé revenait à se faire traiter soit de « pro-Hezbollah » soit de « aouniste », sans nulle forme de procès.
Il fallait presque, suivant cette logique, excuser des personnes des pires crimes qu’ils pouvaient commettre pour le simple fait d’appartenir à un camp.
Cette logique binaire ne s’est pas limitée à Riad Salamé mais s’est également manifestée sur la question des armes du Hezbollah.
Là encore, certains, pourtant opposés au Hezbollah, en ont fait un véritable fond de commerce, tirant profit de leurs positions publiques en recevant des subventions de puissances étrangères. Ces financements ont souvent servi à amplifier leurs discours, non pas par conviction mais par intérêt, dénaturant ainsi le débat sur un enjeu aussi critique que la souveraineté du Liban. Cette instrumentalisation de la question des armes du Hezbollah, tout comme celle liée à Salamé, a davantage contribué à diviser et affaiblir le pays qu’à apporter des solutions concrètes et constructives.
Sur la question même des armes, depuis la fin du conflit de 2006 avec Israël, cette problématique est sur la table. Même Hassan Nasrallah, leader du mouvement chiite, reconnaissait alors la nécessité d’une réflexion sur ce désarmement, tout en insistant sur le fait qu’il devait être mené dans un cadre qui rassure également les populations civiles. Il ne s’agit pas seulement de retirer les armes au Hezbollah, mais aussi de prévenir l’émergence de mouvements plus radicaux comme Daesh, ou d’éviter une potentielle guerre civile, scénario dont personne ne sortirait gagnant.
Pourquoi ? Le Hezbollah est un proto-état qui supplée à des facteurs où l’état est absent. Son aile militaire est une conséquence du conflit israélo-arabe, de la présence des palestiniens au Liban, notamment des réfugiés palestiniens et de l’incapacité de l’état à assurer la sécurité des habitants du Sud Liban depuis les années 1970.
De même, il possède des services sociaux en raison de l’absence de l’état sur ces plans. Il offre donc des services où l’état et absent. Suppléer à ces manquements de l’état reviendra à résoudre la question du Hezbollah sans guerre civile et tous les risques annexes.
Pour cela, sur le plan sécuritaire il est impératif de renforcer et d’armer l’armée libanaise avant d’envisager un désarmement du Hezbollah. Ce renforcement donnerait à l’État la légitimité et la capacité de protéger ses citoyens face aux menaces extérieures, en particulier celles provenant d’Israël, mais aussi d’assurer la sécurité interne sans dépendre de milices armées. Hassan Nasrallah lui-même, en 2006, avait soutenu cette approche, soulignant l’importance de garantir une transition sécurisée et ordonnée.
Il n’y a aucun mal au final à ce que l’Etat soit renforcé et il faut commencer à penser que l’échec des 30 dernières années à obtenir son désarmement est plus lié au fait que certains opposant en ont fait un fond de commerce au lieu de proposer des solutions pérennes
Pour ces personnes, s’opposer à cette vision qu’ils souhaitent imposer signifiait automatiquement appartenir à l’autre bord. Cette approche manichéenne, où toute critique est assimilée à une trahison, illustre bien l’incapacité de certains à envisager des positions nuancées et indépendantes.
Cette logique binaire ne s’est pas limitée à Riad Salamé mais s’est également manifestée sur la question des armes du Hezbollah. Là encore, certains, pourtant opposés au Hezbollah, en ont fait un véritable fond de commerce, tirant profit de leurs positions publiques en recevant des subventions de puissances étrangères.
Ces financements ont souvent servi à amplifier leurs discours, non pas par conviction mais par intérêt, dénaturant ainsi le débat sur un enjeu aussi critique que la souveraineté du Liban. Et les partisans Lambda qui ne prennent pas le temps de réfléchir un tant soit peu les suivent tout de même.
Cette instrumentalisation de la question des armes du Hezbollah, tout comme celle liée à Salamé, a davantage contribué à diviser et affaiblir le pays qu’à apporter des solutions concrètes et constructives, ainsi est à l’origine justement de l’absence de mise en place de solutions concrètes à un ensemble de problématiques et au final à l’affaiblissement de l’Etat libanais.
Ce comportement est non seulement irresponsable, mais également indigne. Il reflète une incapacité à engager un dialogue constructif et à considérer des perspectives différentes. Récemment, en consultant certains commentaires en ligne, il est apparu que des individus, dépourvus d’arguments solides, se contentaient de discréditer leurs interlocuteurs par des étiquettes simplistes, sans apporter de contre-arguments pertinents.
En somme, le Liban doit aspirer à une culture du débat respectueuse, où la diversité des opinions est perçue comme une richesse plutôt qu’une menace. Ce n’est qu’en embrassant cette pluralité que la société pourra avancer vers un avenir plus inclusif et harmonieux. Mais pour cela, il est indispensable de sortir de la logique binaire, qu’il s’agisse de justice, d’économie ou des questions liées au Hezbollah et à ses armes. Ce chemin, bien que difficile, est le seul vers une véritable souveraineté et stabilité.