Une économie réelle en forte récession en 2024
En 2024, le produit intérieur brut (PIB) réel du Liban a enregistré une contraction de 7 %, après une baisse de 1,1 % en 2023, selon les estimations de l’Institute of International Finance (IIF). Cette chute significative, qui marque une aggravation par rapport à l’année précédente, reflète les lourdes conséquences du conflit entre Hezbollah et Israël, qui a escaladé en septembre 2024, combinées aux effets persistants de la crise économique entamée en 2019. Alors que le PIB nominal a bondi à 32,8 milliards de dollars en 2024 (contre 24,3 milliards en 2023) grâce à l’unification du taux de change à 89 500 LBP/USD, la croissance réelle, ajustée de l’inflation, révèle une économie en profonde détresse, marquée par des destructions d’infrastructures, des déplacements massifs et une activité productive en berne.
Évolution de la croissance réelle depuis 2022
La trajectoire économique du Liban montre une dégradation continue depuis 2022, année où le PIB réel avait encore progressé de 1,3 %, portée par une légère reprise post-pandémie et une stabilisation temporaire des flux financiers. En 2023, cette dynamique s’est inversée avec une contraction de 1,1 %, liée à l’absence de réformes structurelles et à une crise bancaire persistante. La chute de 7 % en 2024 constitue un recul brutal, attribuable principalement aux impacts du conflit Hezbollah-Israël, qui a paralysé des secteurs clés comme l’agriculture, le commerce et le tourisme. Le tableau suivant résume cette évolution :
Année | Croissance réelle (%) | PIB nominal (milliards USD) | Taux de change moyen (LBP/USD) | Inflation moyenne (%) |
---|---|---|---|---|
2022 | 1,3 | 24,9 | 27 087 | 171,2 |
2023 | -1,1 | 24,3 | 85 805 | 221,3 |
2024 | -7,0 | 32,8 | 89 500 | 45,2 |
Sur les neuf premiers mois de 2024, la contraction était estimée à 1 %, mais l’escalade des hostilités en fin d’année a précipité une chute bien plus marquée, estimée à partir des données disponibles jusqu’à début 2025.
Facteurs clés de la contraction en 2024
Le conflit Hezbollah-Israël, qui a culminé à partir de septembre 2024, est le principal moteur de cette récession. Les dommages physiques aux infrastructures sont évalués à 3,4 milliards de dollars, tandis que les pertes économiques dépassent 5 milliards de dollars, affectant des régions clés comme le Sud, la Bekaa et Nabatieh. Selon l’Office des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), 46 installations hydrauliques ont été endommagées, privant 497 000 personnes d’accès à l’eau, et 2 192 hectares de terres agricoles sont restés inexploités ou détruits, fragilisant la sécurité alimentaire. Quatre écoles publiques restent fermées, servant d’abris pour les déplacés, tandis que 950 652 personnes déplacées internes (PDI) sont rentrées chez elles après le cessez-le-feu du 27 novembre 2024, souvent dans des conditions précaires.
La consommation privée, moteur traditionnel de l’économie libanaise, a chuté de 14,9 % en 2024, contre -3,2 % en 2023, selon l’IIF, en raison d’une inflation persistante (45,2 % en moyenne, bien qu’en baisse à 15,4 % en novembre) et d’une perte de pouvoir d’achat. La consommation publique a augmenté de 14,6 %, portée par les dépenses liées au conflit, mais cela n’a pas compensé le recul général. L’investissement privé en capital fixe a plongé de 30,6 %, reflétant l’insécurité et l’absence de confiance des investisseurs, tandis que l’investissement public a bondi de 105,1 %, financé en partie par une aide internationale de 1,6 milliard de dollars via le Lebanon Response Plan (LRP).
Impact sectoriel dans le contexte libanais
Le secteur agricole, vital pour les régions rurales, a été durement touché. Avant le conflit, le Liban exportait 2,7 milliards de dollars de biens en 2024, dont une part significative de produits végétaux (en baisse de 11 %, soit 22,7 millions de dollars), selon l’Administration des douanes. Les destructions dans le Sud et à Nabatieh ont réduit la capacité de production, tandis que les importations alimentaires (1,2 milliard de dollars, +16,4 %) ont augmenté pour pallier les pénuries. Le tourisme, autrefois pilier de l’économie avec 7,1 millions de passagers à l’aéroport de Beyrouth en 2023, a subi un effondrement, les arrivées tombant à 481 470 en décembre 2023 et restant faibles en 2024 en raison des combats.
Le commerce, dépendant des importations (16,9 milliards de dollars en 2024), a vu son déficit se réduire à 14,2 milliards de dollars (-2,3 %), mais cette amélioration est en trompe-l’œil, liée à une baisse de la demande plutôt qu’à une reprise productive. Les services bancaires, historiquement un moteur économique, restent paralysés par une dollarisation quasi totale (99,1 % des dépôts privés, 97,7 % des prêts) et des restrictions sur les retraits, limités à 250 ou 500 dollars mensuels depuis mars 2025, selon les circulaires 728 et 729 de la BdL.
Contexte économique et social libanais
La contraction de 7 % intervient dans un Liban déjà fragilisé par une crise économique entamée en 2019, marquée par une dévaluation de la livre (de 1 507,5 LBP/USD à 89 500 LBP/USD), un défaut sur les Eurobonds en 2020 (31,3 milliards de dollars, plus 9 milliards d’arriérés) et une dette publique à 136,8 % du PIB en 2024. Les réserves de change de la BdL, à 10,7 milliards de dollars début 2024, ont chuté de 391 millions en octobre, limitant les capacités d’importation. Socialement, 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, selon l’ONU, avec des salaires publics équivalant à 50 dollars mensuels au taux officiel, contre 1 000 dollars avant 2019. Le secteur informel, alimenté par le dollar « frais », domine face à un système bancaire en crise.
Comparaison avec les années précédentes
La baisse de 7 % en 2024 contraste avec le léger recul de 1,1 % en 2023, où l’absence de conflit majeur avait limité les dégâts, et la croissance de 1,3 % en 2022, soutenue par des remises de la diaspora et une stabilisation temporaire. Le PIB réel par habitant, déjà divisé par quatre depuis 2019, continue de s’effondrer, reflétant une crise humanitaire et économique sans précédent dans l’histoire récente du Liban.
Données sur les institutions citées
- Banque du Liban (BdL) : Fondée en 1963, la BdL supervise le système bancaire. En 2024, ses réserves de change ont atteint 10,7 milliards de dollars (début d’année), gérant 94,75 milliards de dollars de dépôts privés fin 2023.
- Institute of International Finance (IIF) : Fondé en 1983, l’IIF regroupe plus de 400 institutions financières mondiales. Basé à Washington, il estime le PIB libanais à 32,8 milliards de dollars en 2024.
- Office des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) : Créé en 1991, l’OCHA coordonne l’aide mondiale. En 2024, il a géré des fonds pour 950 652 PDI rentrés au Liban et soutenu 29 abris pour 2 413 personnes au 20 février 2025.