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Le Conseil supérieur de défense : centralisation ou court-circuit institutionnel ?

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À la suite des frappes israéliennes du 5 juin 2025, le Conseil supérieur de défense (CSD) est redevenu le centre nerveux de la gouvernance sécuritaire libanaise. Cette instance, dont les réunions se sont multipliées depuis le début de la crise, incarne à la fois une réponse rapide et une forme de concentration du pouvoir décisionnel. Pourtant, son rôle croissant soulève de nombreuses interrogations sur l’équilibre des institutions : est-il un outil efficace de coordination d’urgence ou un vecteur de marginalisation des autres pouvoirs publics ? Cette analyse revient sur la structure, les fonctions et les effets de cette institution-clé.

Composition et fondements légaux du Conseil supérieur de défense

Le CSD est prévu par la loi de 1983 sur l’organisation de la défense nationale. Il regroupe des membres permanents — président de la République, Premier ministre, ministres de la Défense et de l’Intérieur, commandants des forces de sécurité — ainsi que des membres invités selon les dossiers traités. Il est présidé par le chef de l’État et se réunit à huis clos pour formuler des recommandations exécutoires en matière de sécurité nationale.

En principe, ses décisions ne remplacent pas celles du gouvernement, mais elles en influencent fortement l’agenda, surtout en temps de crise. Le Conseil est également le seul organe habilité à coordonner les interventions militaires et de sécurité intérieure, en dehors du cadre parlementaire.

Son fonctionnement est théoriquement encadré par des règles strictes, mais en pratique, sa flexibilité lui permet de s’adapter à des situations d’urgence avec une grande autonomie.

Un organe en expansion depuis le début de la crise

Depuis peu, le CSD s’est réuni de manière quasi quotidienne, parfois plusieurs fois par jour. Il a piloté les réponses immédiates aux frappes, coordonné les actions des services de secours, surveillé les mouvements aux frontières, et émis des directives de sécurité à l’échelle nationale.

Cette hyperactivité le place de facto au cœur du pouvoir décisionnel. Le gouvernement, le Parlement et les autres institutions se trouvent relégués à des fonctions secondaires. Même les ministres non membres permanents du CSD ne sont pas toujours informés à temps des décisions prises.

Ce fonctionnement renforce le rôle du président Joseph Aoun, qui utilise cette plateforme pour affirmer son autorité dans un paysage institutionnel fragmenté. Il lui permet aussi de contourner les lenteurs parlementaires et les désaccords ministériels en cas d’urgence.

Centralisation contre équilibre des pouvoirs

L’efficacité du CSD repose sur sa capacité à rassembler rapidement les acteurs clés autour de la table. Mais cette centralisation soulève des inquiétudes. En période de tension, elle peut aboutir à un effacement de la séparation des pouvoirs, voire à une confusion entre exécutif, militaire et sécuritaire.

Le Parlement n’a, par exemple, aucun droit de regard sur les délibérations du CSD. Les mécanismes de contrôle démocratique sont mis entre parenthèses, au nom de l’efficacité. Cette dérive est accentuée par l’opacité des décisions, rarement publiées, et par l’absence de débat public sur leur contenu.

Des députés de plusieurs formations ont récemment exprimé leur malaise face à cette situation, certains parlant d’un « état d’exception permanent déguisé », d’autres dénonçant une « militalisation rampante de l’exécutif ».

Des décisions à portée élargie

Les décisions du CSD vont aujourd’hui bien au-delà de la sécurité immédiate. Elles touchent à la gestion des infrastructures critiques, à la circulation des personnes, à l’allocation des ressources logistiques, voire à l’organisation de l’aide humanitaire.

Cette extension de ses prérogatives s’explique par l’absence d’un comité interministériel de crise fonctionnel. Mais elle aboutit à une forme de pilotage technocratique du pays, dans lequel les choix sont faits par une poignée de responsables, sans consultation institutionnelle élargie.

Dans certains cas, des décisions prises par le CSD ont été appliquées avant même leur validation par décret officiel, ce qui questionne la légalité de certaines procédures. Des juristes s’inquiètent de cette pratique, qui créerait un précédent en matière de gouvernance hors cadre.

Rôle du président : chef de guerre ou garant institutionnel ?

En présidant le CSD, Joseph Aoun incarne un pouvoir exécutif recentré sur les fonctions régaliennes de l’État. Sa posture est celle d’un chef d’État en temps de guerre, appelant à l’unité, tranchant les différends, arbitrant les urgences.

Ce positionnement renforce son aura institutionnelle, mais l’expose aussi à des critiques sur la concentration des pouvoirs. En apparaissant comme l’unique point de coordination crédible du pays, il risque de faire oublier la nécessité d’un fonctionnement collégial.

Ses partisans estiment qu’il comble un vide de gouvernance et assume ses responsabilités. Ses détracteurs parlent de dérive autoritaire sous couvert de patriotisme. Dans les deux cas, le Conseil supérieur de défense devient le théâtre d’une bataille plus large sur la nature du pouvoir présidentiel.

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Newsdesk Libnanews
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