Un contexte régional en recomposition
Les négociations entre les États-Unis et l’Iran autour du programme nucléaire de Téhéran, mais aussi sur la sécurité régionale, reprennent dans un climat de tension maîtrisée. Ces pourparlers, qui mobilisent également des puissances comme la Chine, la Russie et l’Union européenne, se déroulent dans un environnement stratégique profondément modifié par la guerre en Ukraine, la normalisation israélo-arabe et la crise permanente à Gaza. Si le Liban n’est pas formellement présent à la table des négociations, son nom revient régulièrement dans les discussions diplomatiques. Acteur périphérique sur le plan militaire, il est au centre de plusieurs enjeux : la présence du Hezbollah, les violations de la ligne bleue, et la sécurité du front nord d’Israël. Cette position ambiguë entre neutralité revendiquée et implication indirecte dans les rapports de force rend l’évaluation de son rôle particulièrement délicate.
Le Hezbollah comme point de friction
Le Hezbollah constitue l’une des principales variables dans le calcul stratégique iranien au Liban. Sa capacité militaire, son ancrage populaire et son rôle dans la doctrine de dissuasion régionale de Téhéran font de lui un levier de pression autant qu’un outil de projection. Dans les négociations, les représentants iraniens évitent de l’inclure formellement dans les échanges, mais son existence conditionne la marge de négociation. Les États-Unis, de leur côté, refusent de parler directement du Hezbollah dans le cadre des pourparlers sur le nucléaire, mais ils insistent pour que l’accord final inclue des garanties de stabilité sur le front libanais. Ainsi, le Liban devient un espace tampon, une zone testée en permanence pour évaluer la sincérité des engagements régionaux. Les diplomates évoquent une « ligne rouge souple » : tant que les actions du Hezbollah ne menacent pas directement Israël, elles sont tolérées comme éléments du statu quo. Mais toute escalade pourrait entraîner un recalibrage immédiat de la position américaine dans les discussions.
L’Iran et la doctrine de l’influence décentralisée
Dans sa stratégie régionale, l’Iran a toujours refusé de réduire son influence à des liens institutionnels classiques. Il privilégie une logique de réseaux, de relais idéologiques, de partenariats asymétriques. Le Liban entre dans cette logique à travers le Hezbollah, mais aussi via certains réseaux religieux, culturels et économiques. Les négociateurs iraniens considèrent ce maillage comme une extension de leur souveraineté symbolique, non négociable dans le cadre d’un accord bilatéral avec Washington. Cette posture complique les efforts de médiation. Chaque fois que l’on évoque le désarmement du Hezbollah, l’Iran rappelle qu’il s’agit d’un mouvement libanais autonome. Ce double discours, destiné à préserver la posture de résistance tout en désamorçant les accusations d’ingérence, fragilise la position des médiateurs. Il oblige les partenaires occidentaux à accepter un flou stratégique, dans lequel le Liban est maintenu dans une position d’incertitude.
Le Liban comme variable d’ajustement
Du point de vue américain, le Liban est une variable d’ajustement : il peut être mobilisé pour tester les intentions iraniennes ou pour obtenir des gestes symboliques en cas de blocage. Par exemple, un apaisement sur la frontière sud, une réduction de la présence visible du Hezbollah dans certaines zones, ou des déclarations plus modérées de ses responsables peuvent être présentées comme des signes de bonne foi. Cette instrumentalisation n’est pas nouvelle. Déjà en 2015, lors de la signature de l’accord JCPOA, le Liban avait servi de terrain de mesure indirecte. Aujourd’hui encore, l’absence de progrès sur le désarmement est compensée par une baisse du niveau de tension dans certaines zones de friction. Cette gestion à bas bruit d’une crise potentielle est typique des relations triangulaires entre Washington, Téhéran et Beyrouth. Elle montre que le Liban n’est pas un enjeu direct mais une pièce de la mécanique diplomatique plus large.
La diplomatie libanaise en décalage
Dans ce contexte, la diplomatie libanaise peine à définir une posture claire. D’un côté, le président insiste sur la souveraineté et la nécessité d’un dialogue interne. De l’autre, le ministre des Affaires étrangères cherche à rassurer les partenaires internationaux par un langage modéré. Mais ni l’un ni l’autre ne semble en mesure d’imposer une vision cohérente sur la place du Liban dans les négociations régionales. Cette faiblesse de la parole officielle libanaise ouvre la voie à une pluralité de lectures : pour certains, le Liban est instrumentalisé par l’Iran ; pour d’autres, il est ignoré par les Occidentaux. Dans tous les cas, il ne maîtrise pas son propre agenda diplomatique. Cette marginalisation relative est aggravée par la fragmentation institutionnelle. En l’absence d’une stratégie nationale de politique étrangère, chaque acteur parle pour lui-même, sans coordination réelle, et laisse le champ libre aux interprétations contradictoires.
Le poids de la perception israélienne
L’un des déterminants majeurs de la position américaine dans les négociations est la perception israélienne de la menace. Pour Tel Aviv, toute détente avec l’Iran doit être conditionnée à une réduction de l’influence militaire iranienne à ses frontières. Le Liban est donc perçu comme un avant-poste potentiel de confrontation. Les déclarations israéliennes sur la possibilité de frapper des cibles au Liban, en cas de reprise des livraisons d’armes au Hezbollah, sont régulièrement relayées dans les discussions à huis clos. Cette obsession sécuritaire conditionne la marge de manœuvre de Washington, qui doit arbitrer entre l’apaisement diplomatique et le maintien de la dissuasion. Elle contribue aussi à maintenir le Liban dans une posture défensive, sans capacité à formuler une initiative politique propre. Cette dépendance au regard extérieur est l’un des paradoxes les plus marquants de la diplomatie libanaise actuelle.
Une issue encore floue
Pour l’instant, les négociations américano-iraniennes n’ont pas intégré de volet spécifique sur le Liban. Toutefois, la position de celui-ci en tant que territoire de projection, d’influence et de surveillance en fait un élément implicite du dossier. Sa stabilisation conditionne en partie la crédibilité d’un accord régional. Mais tant que le Liban n’affirme pas une ligne cohérente, il restera soumis aux décisions prises ailleurs. Sa diplomatie, sa sécurité et sa souveraineté continueront d’être négociées par procuration. Dans cette configuration, seule une redéfinition nationale de ses priorités stratégiques permettrait d’inverser le rapport de force. À défaut, le Liban restera un enjeu périphérique, utilisé comme variable d’ajustement dans une équation qui le dépasse.