Un fléau enraciné dans le système libanais
La corruption au Liban est un problème structurel qui mine les institutions et empêche tout redressement économique et social. Depuis la crise financière de 2019, les accusations de détournement de fonds publics et de malversations se sont multipliées, mettant en cause aussi bien des responsables politiques que des hauts fonctionnaires. Le système libanais repose depuis des décennies sur une gouvernance clientéliste où les ressources publiques sont souvent détournées au profit de l’élite dirigeante, au détriment des citoyens.
Selon Al Joumhouria (13 février 2025), plusieurs ministères clés, notamment ceux des Finances, de l’Énergie et des Travaux publics, font actuellement l’objet d’enquêtes sur la gestion des fonds publics. Ces investigations visent à déterminer comment des milliards de dollars, destinés à des projets de développement et à l’amélioration des services publics, ont disparu sans laisser de trace. Dans le cas du ministère de l’Énergie, les soupçons se concentrent sur des contrats de fourniture d’électricité, attribués à des entreprises privées à des prix largement surévalués.
Le secteur énergétique libanais est un exemple flagrant de la mauvaise gestion et du détournement des ressources publiques. Depuis des décennies, le Liban investit des sommes colossales pour garantir un approvisionnement stable en électricité, mais la population continue de subir des coupures de courant quotidiennes, tandis que l’argent investi ne produit aucun résultat tangible. Selon El Sharq (13 février 2025), les contrats passés avec certaines entreprises sont entachés de corruption, avec des soupçons de commissions occultes versées à des politiciens influents pour sécuriser ces marchés.
La justice libanaise a promis de s’attaquer à ces scandales et de traduire en justice les responsables. Toutefois, les avancées restent limitées. Les enquêtes sont souvent entravées par des ingérences politiques, un manque de transparence et l’absence de réformes judiciaires efficaces. Les dossiers de corruption finissent souvent par être classés ou ralentis par des obstacles administratifs. L’Inspection centrale, un organe censé contrôler la gestion des finances publiques, fonctionne avec des moyens dérisoires et sans véritable autorité pour poursuivre les coupables.
Les institutions internationales comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale exercent une pression croissante sur le Liban pour qu’il mette en place des réformes de transparence et de gouvernance. Toutefois, ces exigences se heurtent à une classe politique réticente à toute remise en question du système actuel, qui lui permet de maintenir son influence et ses privilèges.
En parallèle, plusieurs ONG et organismes de surveillance, comme Transparency International, ont classé le Liban parmi les pays les plus corrompus au monde, ce qui complique encore davantage l’accès à des financements extérieurs. La question est donc la suivante : les enquêtes en cours sont-elles réellement le signe d’un changement ou ne sont-elles qu’une façade destinée à calmer la pression internationale ?
Une justice entravée par les influences politiques
Si la justice libanaise multiplie les annonces d’enquêtes sur des affaires de corruption, leur aboutissement reste incertain en raison des pressions exercées par des figures politiques influentes. Depuis plusieurs décennies, les institutions judiciaires sont fortement politisées, ce qui empêche toute poursuite réelle contre les élites dirigeantes. Selon El Sharq (13 février 2025), aucun responsable de haut niveau n’a été condamné pour corruption malgré les preuves accablantes dans plusieurs affaires.
L’un des principaux obstacles réside dans les interférences politiques dans le travail des juges. Lorsqu’une enquête vise un haut responsable ou une personnalité influente, elle est souvent bloquée par des interventions directes du pouvoir exécutif ou par des pressions exercées sur les magistrats. En 2021, le juge Jean Tannous, qui menait une enquête sur des transactions suspectes de la Banque du Liban, a vu ses prérogatives réduites par le ministre de la Justice, ce qui a ralenti son travail.
Le même schéma s’est répété avec l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth, où le juge Tarek Bitar a été empêché d’auditionner plusieurs ministres et responsables sécuritaires. Selon Al Joumhouria (13 février 2025), le Parlement et le gouvernement ont tout mis en œuvre pour bloquer la procédure judiciaire, invoquant des immunités et des recours administratifs.
Ce manque d’indépendance de la justice est l’un des principaux facteurs qui expliquent l’impunité généralisée au Liban. Tant que les juges resteront sous l’influence des partis politiques et des oligarques, aucune enquête ne pourra réellement aboutir. Même lorsque des preuves irréfutables existent, elles sont rarement suivies d’une action judiciaire efficace.
Le rôle ambigu des commissions d’enquête
Pour répondre aux pressions de la communauté internationale, le Liban a mis en place plusieurs commissions d’enquête anticorruption, censées examiner les détournements de fonds publics. Toutefois, ces structures sont souvent critiquées pour leur manque d’indépendance et d’efficacité.
Selon Al Liwa’ (13 février 2025), la plupart des commissions formées ces dernières années n’ont produit aucun résultat concret, en raison d’un manque de moyens, de blocages administratifs et de la réticence des autorités à coopérer. Une source judiciaire anonyme a affirmé que « ces commissions sont souvent des outils politiques, utilisées pour apaiser la colère de la population sans réellement inquiéter les responsables impliqués ».
Le cas des fonds internationaux destinés à la reconstruction de Beyrouth après l’explosion de 2020 illustre bien ce phénomène. Des milliards de dollars ont été promis par les pays donateurs et les institutions internationales, mais une grande partie de ces sommes n’a jamais été utilisée pour les projets annoncés. Plusieurs enquêtes ont été ouvertes pour comprendre où est passé cet argent, mais aucune sanction n’a été prononcée à ce jour.
Des réformes nécessaires mais peu probables
Face à ces blocages, plusieurs organisations internationales et ONG appellent à une réforme en profondeur du système judiciaire et des institutions de contrôle. Parmi les mesures urgentes, la suppression des interférences politiques dans le travail des juges, la création d’une autorité indépendante de lutte contre la corruption et une refonte totale du cadre législatif encadrant les marchés publics sont souvent évoquées.
Toutefois, selon El Sharq (13 février 2025), ces réformes sont très difficiles à mettre en place, car elles menacent directement les intérêts des élites politiques et économiques du pays. Le Parlement, dominé par des partis aux intérêts souvent convergents, n’a pas intérêt à voter des lois qui renforceraient la transparence et la lutte contre la corruption.
En parallèle, le Fonds monétaire international (FMI) continue de conditionner son aide au Liban à des avancées concrètes en matière de gouvernance. Mais tant que ces réformes resteront bloquées, les négociations entre le Liban et le FMI risquent de s’enliser, aggravant encore davantage la crise économique et sociale.
Un espoir du côté de la pression populaire ?
Si les institutions libanaises peinent à mettre en place des réformes, une partie de la société civile continue de lutter contre l’impunité. Depuis le début de la crise économique, plusieurs ONG et collectifs de citoyens ont mené des campagnes de sensibilisation et de dénonciation des affaires de corruption.
Des organisations comme Legal Agenda ou Sakkakini publient régulièrement des rapports sur la corruption et les abus de pouvoir, mettant en lumière les responsabilités des dirigeants et exigeant des réformes. Selon Al Joumhouria(13 février 2025), de plus en plus de Libanais demandent des comptes aux responsables, notamment à travers des manifestations et des recours juridiques contre des figures politiques corrompues.
Malgré ces initiatives, le combat contre la corruption reste un défi immense. Les citoyens libanais se heurtent à un appareil d’État verrouillé et à une élite politique qui ne montre aucun signe de volonté de changement. Toutefois, certains experts estiment que la pression populaire et la mobilisation internationale pourraient finir par forcer les autorités à agir, sous peine de perdre tout soutien économique et diplomatique.
Vers un réel changement ou une énième impasse ?
Les enquêtes en cours sur la corruption au Liban sont-elles le signe d’un réel tournant ou simplement une stratégie pour calmer la colère de la population et des partenaires internationaux ? À ce stade, tout laisse à penser que le système libanais est conçu pour protéger les élites et empêcher toute remise en question de l’ordre établi.
Tant que la justice restera sous influence et que les réformes structurelles ne seront pas mises en place, il est peu probable que ces enquêtes aboutissent à des condamnations significatives. Cependant, la pression croissante des citoyens et des institutions internationales pourrait finir par créer une brèche, forçant les responsables libanais à mettre en œuvre des changements concrets.
L’avenir de la lutte contre la corruption au Liban dépendra donc de la capacité de la société civile à maintenir la pression, et du rôle que joueront les acteurs extérieurs comme le FMI et l’Union européenne. Le pays se trouve à un carrefour décisif : soit il s’engage dans une réforme réelle, soit il continue sur la voie de l’impunité, au risque d’un effondrement total de ses institutions.