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Les États-Unis ont perdu leur dernier triple A, causes et conséquences sur le Liban

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Le 16 mai 2025, l’agence Moody’s a officiellement abaissé la note souveraine des États-Unis de Aaa à Aa1. Pour la première fois depuis plus d’un siècle, la dette américaine n’est plus notée triple A par aucune des trois grandes agences internationales. Après Standard & Poor’s en 2011 et Fitch en 2023, cette décision de Moody’s clôt un cycle de déclassements entamé il y a quatorze ans.

Les raisons sont structurelles. La dette publique fédérale dépasse désormais 36 000 milliards de dollars, soit 122 % du PIB, et sa dynamique est jugée insoutenable. À cela s’ajoute une charge d’intérêts supérieure à 4 % du PIB, conséquence directe de la remontée des taux et de l’accumulation des déficits. Les États-Unis se trouvent ainsi en décalage croissant avec les pays encore notés Aaa, comme l’Allemagnela Norvège ou la Suisse, qui présentent des ratios de dette bien inférieurs et une gouvernance budgétaire plus stable.

Mais c’est surtout l’absence de discipline fiscale dans la durée qui a motivé le déclassement. Moody’s dénonce l’incapacité persistante de Washington à stabiliser les finances publiques, malgré l’urgence du déséquilibre budgétaire. Les déficits dépassent 1 500 milliards de dollars par an, et les tentatives de maîtrise restent ponctuelles, souvent compromises par des blocages institutionnels autour du plafond de la dette, comme en 20112013 ou 2023.

Moody’s insiste sur le fait que cette dégradation résulte non d’une décision conjoncturelle, mais d’une politique budgétaire et financière incohérente poursuivie par plusieurs gouvernements successifs. Mais la situation est d’autant plus préoccupante que Donald Trump, revenu à la présidence pour un second mandat, refuse d’assumer sa part de responsabilité. Il qualifie la décision de l’agence de « politique », alors même que les politiques fiscales menées sous son premier mandat, entre 2017 et 2021 — notamment la baisse massive des impôts non compensée — ont contribué à creuser durablement les déficits. L’absence actuelle d’ajustement ou de révision de cette trajectoire sous son nouveau mandat est perçue par Moody’s comme un facteur aggravant, renforçant l’idée d’un immobilisme fiscal à long terme.

L’échec retentissant du Département de l’Efficacité Gouvernementale (DOGE), confié à Elon Musk au début de l’année 2025, vient illustrer la difficulté concrète de toute réduction effective des dépenses fédérales. Annoncé comme un levier de modernisation et de coupes rapides, DOGE promettait 2 000 milliards de dollars d’économies. En réalité, les résultats ont été dérisoires et les coûts induits (estimés à 135 milliards) ont révélé l’ampleur des rigidités structurelles de l’administration fédérale. L’initiative, basée sur des suppressions de postes et l’annulation de programmes en cours, a entraîné des dysfonctionnements dans des services essentiels, tout en soulignant qu’un État hypertrophié ne peut être réformé par slogans ou automatisations improvisées. Ce fiasco technocratique a conforté l’analyse de Moody’s sur l’incapacité du gouvernement à mettre en œuvre une réforme budgétaire crédible.

La réaction des marchés a été mesurée mais significative. Les taux à 10 ans sur les bons du Trésor ont progressé d’environ 10 points de base, signe d’une prime de risque désormais intégrée. Quant au dollar, il a poursuivi sa baisse face à l’euro, une tendance amorcée plusieurs mois avant l’annonce de Moody’s. Cette évolution ne s’explique pas uniquement par le ralentissement des échanges commerciaux, mais semble aussi refléter une anticipation par les marchés d’un déclassement inévitable. Les investisseurs institutionnels ont, pour beaucoup, préempté la perte du triple A, en réorientant progressivement leurs réserves de change vers d’autres monnaies jugées plus résilientes budgétairement.

À moyen terme, ce déclassement pourrait alourdir considérablement le coût de financement fédéral. Une hausse de 30 à 40 points de base sur les futures émissions représenterait plusieurs dizaines de milliards de dollars de charges supplémentaires chaque année. Par effet d’entraînement, les agences fédérales, les collectivités locales et les grandes entreprises liées à l’État pourraient également subir un renchérissement du crédit.

La perte du triple A ne traduit pas un risque immédiat de défaut, mais elle constitue un avertissement majeur sur la soutenabilité budgétaire américaine. Même la première économie mondiale ne peut durablement s’endetter sans stratégie. La puissance des États-Unis ne suffit plus à garantir leur solvabilité sans une réforme fiscale et budgétaire crédible. L’enjeu n’est plus financier, mais institutionnel.

Conséquences du déclassement américain sur l’économie libanaise

1. Hausse du coût mondial du dollar → tensions sur les liquidités en devises

Le déclassement de la dette américaine entraîne une hausse des taux d’intérêt sur les bons du Trésor US, qui constituent l’actif de référence du système financier mondial. Pour attirer les investisseurs, le Trésor devra offrir une prime de risque plus élevée, renforçant la rémunération du dollar. Cela se traduit par un resserrement global des conditions financières en dollars.

➡️ Pour le Liban, qui ne peut créer sa propre masse monétaire en devises, cela signifie :

  • Moins de disponibilité de dollar offshore auprès des banques correspondantes.
  • Hausse des taux d’intérêt en dollars pour les institutions et entreprises locales cherchant à se refinancer.
  • Pression accrue sur les circuits parallèles de change et le marché noir.

2. Revalorisation de certains actifs alternatifs → fuite des devises

Avec la baisse de confiance envers la signature américaine, certains investisseurs institutionnels mondiaux diversifient leurs portefeuilles vers d’autres devises (euro, franc suisse, yuan). Cette réallocation peut fragiliser les places financières dollarisées périphériques, comme le Liban, car :

  • Les banques locales libanaises (quand elles sont encore actives à l’international) perdent l’accès à certains marchés.
  • La demande de cash dollar dans l’économie réelle augmente, accentuant les tensions de trésorerie.

3. Inflation importée en dollars

La hausse des taux sur la dette US entraîne un renchérissement des coûts d’emprunt pour tous les États et entreprises endettés en dollars. Bien que le Liban soit exclu des marchés internationaux, une partie de ses besoins en importations (énergie, équipements médicaux, intrants alimentaires) reste dépendante de paiements en dollar via le système bancaire ou cash.

➡️ Le Liban pourrait donc :

  • Voir les prix de ses importations en dollar augmenter, car les fournisseurs ajustent leurs marges aux nouvelles conditions financières mondiales.
  • Accuser une inflation en dollars, un phénomène déjà observé depuis 2023 dans l’immobilier, l’éducation et les services.

4. Moindre confiance des acteurs internationaux dans les systèmes dollarisés

La dégradation de la note américaine alimente un doute plus global sur la fiabilité du dollar comme ancrage stable. Cela pourrait pousser certains États, fonds souverains ou institutions internationales à repenser leur stratégie en zone dollarisée, et à :

  • Réduire leur exposition aux économies dollarisées structurellement faibles.
  • Revoir à la baisse leur soutien aux pays comme le Liban, considérés à haut risque.

5. Effet indirect via la diaspora et les transferts

Une part non négligeable des revenus en devises du Liban provient des transferts de la diaspora installée aux États-Unis et dans les pays du Golfe. Si la situation économique américaine se tend (ralentissement, coupes dans les emplois publics ou privés), cela peut :

  • Réduire les montants transférés.
  • Affecter le rythme des rapatriements informels en cash.
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