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Municipales et conflits d’alliance : souverainistes et Hezbollah côte à côte ?

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Un scrutin marqué par des alliances paradoxales

Les élections municipales de mai 2025 ont provoqué une onde de choc dans le paysage politique libanais. Ce qui devait être un exercice de gouvernance locale s’est transformé en révélateur d’une reconfiguration des alliances partisanes. Dans plusieurs grandes villes, des formations historiquement opposées ont uni leurs forces pour présenter des listes communes. L’exemple le plus emblématique en est fourni par Beyrouth, où des partis comme les Forces libanaises, Amal, le Hezbollah, le Courant patriotique libre, les Kataëb et le Parti socialiste progressiste se sont retrouvés sur une même liste municipale.

Ce phénomène d’alliances électorales hybrides, jusque-là exceptionnel, a soulevé de nombreuses interrogations. Pourquoi ces coalitions, autrefois impensables, ont-elles vu le jour ? Que révèlent-elles de l’état des forces politiques au Liban ? Et surtout, quelles sont les conséquences de ces rapprochements inattendus sur la lisibilité du débat politique et la participation des électeurs ? Autant de questions soulevées par un scrutin dont les effets dépassent largement les limites administratives des conseils municipaux.

Les alliances les plus marquantes : le cas de Beyrouth

C’est à Beyrouth que cette nouvelle cartographie électorale a pris sa forme la plus visible. La liste « Beyrouth Bitjmaana » a été constituée par un rassemblement de partis aux visions nationalement opposées. Sous prétexte de garantir une gestion municipale stable et représentative, les anciens adversaires ont partagé les sièges selon un équilibre communautaire et politique. Dans cette alliance figuraient côte à côte le tandem Amal-Hezbollah, les Forces libanaises, le Courant patriotique libre, les Kataëb et le PSP.

L’objectif affiché était clair : éviter la paralysie du conseil municipal, assurer une gouvernance technique, et réduire les clivages idéologiques au profit d’une gestion pragmatique. Ce pacte électoral, cependant, n’a pas été unanimement salué. Si certains observateurs y ont vu un signe de maturité politique, d’autres l’ont qualifié d’opportunisme électoral. Il a généré des incompréhensions parmi les électeurs, notamment dans les quartiers où les partis souverainistes avaient construit leur popularité sur la critique du Hezbollah et de ses alliés.

Les logiques locales qui ont bousculé les clivages idéologiques

Ce brouillage des lignes idéologiques trouve ses racines dans des logiques locales puissantes. À l’échelle municipale, les priorités des formations politiques changent de nature. Les considérations communautaires, les intérêts fonciers, les réseaux d’affaires et les équilibres sociaux prennent le pas sur les slogans nationaux. Pour nombre de partis, la constitution de listes communes avec des adversaires idéologiques devient une nécessité pour garantir une présence institutionnelle minimale dans les grandes villes.

Ces alliances répondent à des impératifs concrets : contrôle des budgets municipaux, nomination des fonctionnaires locaux, accès aux projets d’urbanisme. Elles s’appuient souvent sur des figures locales fortes, des notables influents capables de fédérer au-delà des appartenances partisanes. Dans ce cadre, les considérations idéologiques apparaissent comme secondaires. Le terrain municipal devient une zone d’expérimentation, voire de neutralisation, des antagonismes politiques.

Cette dynamique s’explique également par la nécessité de résister à la montée de l’abstention. Face à une population de plus en plus désengagée, les partis cherchent à maximiser leurs chances en unissant leurs forces. Cette stratégie permet de sécuriser les sièges, même si elle brouille les identités partisanes.

Réactions internes : critiques, tensions et divisions dans les partis

Ces alliances de circonstance n’ont pas été sans effet à l’intérieur des formations concernées. Dans les cercles souverainistes, notamment parmi les Forces libanaises et les Kataëb, des voix se sont élevées pour dénoncer ce qu’elles considèrent comme une trahison des principes fondateurs. L’image d’un affrontement politique clair contre le Hezbollah s’est trouvée entachée par des compromis locaux difficilement justifiables auprès de la base militante.

Certains militants ont exprimé leur malaise, voire leur colère, face à ces choix stratégiques. Les critiques ont porté sur la perte de crédibilité des partis et sur le sentiment que les lignes rouges idéologiques sont devenues négociables en fonction des circonstances. Cette ambivalence pourrait fragiliser la cohérence interne de ces formations et créer des fractures durables.

Du côté du Hezbollah et de ses alliés, des réticences similaires se sont fait entendre. L’idée de partager des responsabilités locales avec des partis accusés de collaboration avec des puissances étrangères ou de s’opposer frontalement à la résistance a suscité des tensions dans les cercles les plus orthodoxes. Ces critiques ont été partiellement contenues par les directions politiques, qui ont défendu le principe de pragmatisme local, mais elles laissent entrevoir des lignes de fracture internes à moyen terme.

Les électeurs face à ces coalitions hybrides

L’effet de ces alliances sur l’électorat a été ambivalent. D’un côté, elles ont permis d’éviter des confrontations confessionnelles ouvertes dans certaines villes sensibles. De l’autre, elles ont contribué à une grande confusion politique. Beaucoup d’électeurs ont eu du mal à comprendre les compositions des listes, à identifier les enjeux réels, et à croire à la sincérité des engagements. Cette opacité a alimenté la démobilisation, en particulier parmi les jeunes et les électeurs non partisans.

Les campagnes électorales ont souvent été marquées par des slogans flous, des affiches sans logos clairs, et des discours évitant les thèmes nationaux. Cette neutralité apparente a renforcé le sentiment de vide politique. Dans plusieurs quartiers, des votants ont déclaré avoir ignoré pour qui ils avaient voté exactement, faute d’informations précises. Ce phénomène est particulièrement visible dans les zones urbaines à forte densité et à structure communautaire mixte.

Dans ce contexte, le vote n’a pas toujours été un acte d’adhésion. Il s’est parfois transformé en geste de résignation, ou en simple validation de figures locales connues, sans lien avec une ligne politique nationale. Cette déconnexion croissante entre les appareils partisans et les attentes des citoyens pourrait fragiliser davantage le système représentatif.

L’enjeu de la cohérence politique dans le contexte libanais

Le cas des élections municipales de 2025 illustre une contradiction structurelle du système politique libanais. Les partis, pour survivre électoralement, sacrifient souvent leur cohérence idéologique sur l’autel de la représentativité locale. Le régime confessionnel, fondé sur le partage du pouvoir entre communautés, favorise les compromis temporaires, les alliances de circonstance, et les coalitions hétéroclites.

Cette logique complique la construction d’un discours politique cohérent et identifiable. Les lignes idéologiques se brouillent, les clivages deviennent flottants, et les électeurs peinent à se repérer. Cela affaiblit la capacité du système à produire une alternance réelle, à construire une opposition structurée, et à nourrir un débat public sur les orientations du pays.

Par ailleurs, cette flexibilité des alliances locales interroge sur la capacité des partis à incarner des projets politiques durables. Si les principes peuvent être adaptés à chaque élection, à chaque ville, à chaque communauté, alors la frontière entre stratégie et opportunisme devient floue. Cela fragilise la confiance entre les électeurs et leurs représentants, et contribue à la montée d’un scepticisme généralisé.

Perspectives : vers une redéfinition du jeu partisan ou un retour au cloisonnement ?

La question qui se pose désormais est celle de la pérennité de ces alliances. S’agit-il de configurations ponctuelles, motivées par les urgences locales, ou bien de prémices à une redéfinition plus profonde du jeu politique ? Plusieurs scénarios sont envisageables.

Le premier est celui d’un retour aux clivages traditionnels lors des prochaines échéances nationales. Les partis pourraient se redéployer autour de leurs identités classiques, en réaffirmant leurs lignes idéologiques, et en expliquant les compromis locaux comme des parenthèses nécessaires. Ce scénario suppose une forte pression interne des bases partisanes et une volonté de clarification stratégique.

Le second est celui d’une poursuite de ces alliances hybrides, notamment dans les contextes municipaux et syndicaux. Cette logique pourrait s’étendre à d’autres institutions intermédiaires, produisant une gouvernance locale fondée sur des ententes transversales, souvent opaques mais fonctionnelles. Ce modèle correspondrait à une forme de gestion pragmatique du système, mais poserait la question de la lisibilité démocratique.

Enfin, une troisième hypothèse verrait l’émergence de nouvelles forces politiques, capables de proposer une alternative crédible, structurée et cohérente. Pour cela, il faudrait une recomposition du champ politique, un renouvellement générationnel, et une clarification des projets collectifs. Cette perspective reste incertaine, mais elle pourrait répondre aux attentes d’un électorat en quête de sens et de représentation.

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