Le peuple libanais dans son immense majorité subira les contrecoups de la crise économique provoquée, au-delà de la corruption de ses élites au pouvoir, élites politiques tout aussi bien que technocratiques, par une dérive devenue outrancière de l’économie du pays : 

– financiarisation des banques à la manière Bernard Madoff où les taux d’intérêts exorbitants soit disant versés sur le compte des épargnants sont en réalité financés, par simple jeu d’écriture, par les dépôts de ces mêmes épargnants 

– réduction des rapports économiques à des transactions strictement commerciales desséchant de plus en plus les secteurs de production à leur plus simple expression, les deux se nourrissant par ailleurs. 

Notons que ce dessèchement est lié aussi aux menaces et pressions américaines de toutes natures aboutissant à interdire les échanges économiques avec la Syrie ou l’Iran (et par conséquence l’Irak qui devient de fait inaccessible), débouchés naturels ou potentiels de la production libanaise, tout autant qu’investisseurs dans l’économie tout simplement.

Sans avoir à rappeler d’autres facteurs à l’origine de la crise économique traités dans de précédentes publications, il faut être clair sur le fait que les conséquences de celles-ci seront profondes, douloureuses et durables. Il n’y a aucune illusion à entretenir à ce sujet quelle que soit(ent) la ou les solutions adoptées par tout gouvernement quel qu’il puisse être. 

La question qui se pose est en réalité de savoir quelle économie on veut construire et au profit de qui. 

Veut-on une économie au profit des plus riches comme cela a été le cas durant les dernières décennies, une économie orientée, sous la surveillance du FMI, selon les dictats américains et soumis aux intérêts israéliens ? Mais cette fois-ci sans l’illusion, pour les épargnants aisés, de s’enrichir à la sauce Madoff, et pour la majorité de la population sans pouvoir compter sur l’aide de membres de leur famille qui leur envoient de quoi atténuer leur quotidien, les États-Unis multipliant les contrôles et blocages de ces sources sous prétexte de lutte contre le terrorisme alors qu’il s’agit tout simplement de les affamer avec le plus grand cynisme.

Les solutions qu’imposeraient le FMI et les dictats étatsuniens seront bien sûr noyées dans des paillettes développées à longueur d’émissions audiovisuelles et de presse aux ordres pour endormir, abêtir  et culpabiliser ceux qui seront rejetés sur le bord de la route, et ils seront toujours plus nombreux. 

Ou alors veut-on une économie définie souverainement selon les intérêts de l’écrasante majorité du peuple libanais, avec pour objectifs d’investir dans l’agriculture et le tourisme durables, soutenir les petits et moyens producteurs, la création d’entreprises, en particulier dans le numérique et les nouvelles technologies, élargir les droits des salariés dans les entreprises privées et publiques, œuvrer à la réduction des inégalités, et enfin développer des relations économiques avec tous les pays sans exclusive ?

Un tel choix impose tout autant de reconnaître et asseoir la reconnaissance légale pour les ONG strictement libanaises d’exercer un droit de regard sur les procédures des marchés publics et des plaintes pour corruption à tous les niveaux de la hiérarchie administrative.

Ces ONG devront par contre être soumises à l’obligation d’être financées exclusivement par des libanais, selon une montant limité, chaque donateur en tant que personne privée, justificatif d’identité à l’appui, le tout faisant l’objet d’une publicité vérifiable par chaque citoyen.

Ce choix signifiera des difficultés générées par toute entreprise en soi d’une part, mais aussi par les faiblesses et erreurs liées à la mise en place de nouveaux mécanismes économiques d’autre part. 

De plus, ce gouvernement devra faire face aux opérations de sabotages des États-Unis et de leurs affidés, sans parler du plaisir qu’ils auront à amplifier toute erreur ou tout dérapage d’un gouvernement qui ne se soumettra pas à leurs bottes. Des campagnes de dénigrement, de diffusion de fausses nouvelles, de propagandes en tous genres et autres techniques de déstabilisation seront régulièrement orchestrées au Liban comme à l’échelle, régionale mondiale. 

La perspective de l’exploitation du gaz et du pétrole ne fera qu’accentuer encore plus la rage haineuse des israélo-américains et leurs affidés contre toute politique indépendante et souveraine. 

Malgré tout, seul ce second choix pourra permettre de satisfaire à terme les besoins de l’extrême majorité de la population libanaise. 

Sacrifices pour sacrifices, difficultés pour difficultés, il serait temps de tourner la page du néolibéralisme, de la corruption qui lui est inhérente et des inégalités galoppantes, et qui sont autant de sources d’appauvrissement et de privations. 

Dans ce cas de figure, il serait indispensable de suspendre sine die tout paiement de la dette et d’asseoir cette mesure par un référendum si les exigences des créanciers internationaux s’avéraient contraires aux intérêts nationaux et devaient hypothéquer la mise en place du renouveau de l’économie. Fort de cette légitimité populaire, le gouvernement pourra prendre le temps de renégocier la dette en s’appuyant sur un rapport de force en sa faveur.

Dans le même ordre d’idée, il serait urgent de mettre sous contrôle toutes les banques et auditer leur état réel sans recourir pour autant aux institutions financières internationales qui sont toutes à la solde des États-Unis.

Malgré tout, la mise en place d’une politique économique souveraine ne peut occulter la nécessité de trouver une solution aux malversations passées. Humiliation n’est pas justice, punition n’est pas forcément justice, pas plus que procès et emprisonnements ne sont nécessairement féconds pour guérir un pays malade de la corruption et de la spoliation. Il serait judicieux à ce titre de négocier avec les présumés auteurs de ces malversations la rétrocession à l’État jusqu’à hauteur de 50 à 70% de leurs avoirs bancaires et patrimoniaux, afin d’éviter un procès et une condamnation. 

C’est ce que font les États-Unis comme l’Europe pour des questions de corruption, de blanchiment ou d’évasion fiscale. C’est le même type de méthode qu’ont utilisé, dans un tout autre domaine, l’Afrique du Sud pour sortir de l’apartheid et le Rwanda pour tourner la page du génocide.

Une telle procédure implique un engagement strict. Cela signifierait clairement que tous les comptes et avoirs patrimoniaux seraient dévoilés à la justice, et que si un compte ou un avoir quelconques étaient découverts par la suite, ils seraient confisqués dans leur intégralité, avec la possibilité ouverte d’un procès cette fois.

Une solution négociée permettrait à la personne incriminée d’éviter un procès et la prison, et surtout de mettre à profit cet accroc pour s’engager cette fois à utiliser son réseau de relations et son savoir-faire pour œuvrer pour son pays et se donner la possibilité de recouvrer ainsi son honorabilité. Elle permettrait au pouvoir de trouver des moyens pour mettre en œuvre sa politique. Elle permettrait enfin de recréer un climat de confiance non seulement avec la population mais aussi la diaspora libanaise dont le concours est si précieux et si aigu dans cette conjoncture aussi douloureuse que dangereuse pour l’avenir du Liban.

Scandre Hachem

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