Les Vacances : Obama au Kenya et le roi Salmane à Vallauris

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Le voyage du président américain dans le pays de ses ancêtres et la visite du souverain wahhabite en France cet été, ont révélé si besoin est, encore une fois, la différence structurelle culturelle, entre les valeurs individuelles (voire individualistes) occidentales et les valeurs communautaires (voire collectivistes) orientales et africaines. Cette problématique, avec ses avantages et ses inconvénients, ses tabous et ses anecdotes, demeure au cœur du décalage culturel de mœurs, entre les deux systèmes et les deux traditions.

Au Kenya, Obama a été reçu (c’est son 4 ème séjour, mais le premier en tant que président, depuis 2008) comme l’enfant du pays, venu à la rencontre de sa famille, de manière affective et chaleureuse, lui-même se présentant comme le ‘‘premier président américain, à venir au Kenya et le premier Kenyan, à devenir président des États-Unis’’. Certes, il était là, pour un sommet entrepreneurial, mais au-delà du rapport familial et hospitalier, le message politique d’évolution des mœurs, n’est pas passé et a dû faire face à une fin de non-recevoir et une indifférence courtoise et ferme. Obama a soutenu l’égalité des droits pour tous, rapprochant la discrimination culturelle raciale de celle de l’orientation sexuelle. Tout en concédant, que le vice-président kenyan, homophobe notoire et déclaré, ne soit pas présent pour l’accueil public officiel, le président du Kenya a souligné, sa solidarité politique avec son second et répondu sèchement, que cette question qu’Obama soulevait était un non-problème (no issue). Autrement dit, que la question ne se posait pas et qu’il n’en voyait, ni la pertinence, si l’acuité. Ce qui n’a pas empêché le président américain de renchérir, en souhaitant que l’Afrique se débarrasse, de l’appartenance ethnique et tribale et de la corruption quasi déclarée, pour pouvoir évoluer.

Obama restera comme le premier président noir ayant fait évoluer aux États – Unis, les droits des minorités sexuelles, n’hésitant pas à éclairer la façade de la Maison-Blanche, aux couleurs du drapeau Arc en ciel, le jour de la légalisation par la Cour suprême (par 5 voix contre 4) du mariage gay, dans les 50 états de la Fédération Américaine. Seule l’Afrique du sud, ‘nation arc en ciel’ a pu inclure sur le continent africain, dans sa constitution en 1996, grâce à Nelson Mandela, une disposition (théorique, mais souvent non appliquée), pour la protection des minorités sexuelles. Obama a également obtenu d’accorder, une sorte d’assurance médicale obligatoire aux plus pauvres (notamment les noirs), allant à l’encontre du système capitaliste américain, ultra libéral (protection des soins abordables ou Obamacare, validée aussi, par la Cour suprême).

Toutefois, ses multiples hésitations et tergiversations, récurrentes au niveau international, ont été assimilées parfois, à une forme de neutralité prudente ou de passivité, malgré certains succès évidents (Cuba, Iran), car il tentait d’éviter, à tout prix le conflit. La personne appelée probablement à lui succéder serait plutôt une personnalité à poigne, qu’elle soit démocrate (la redoutable Hillary, la moitié dure de Bill) ou républicaine (Jeb Bush, le troisième du nom, aussi conservateur que les deux premiers, marié à une Hispanique).

Quant au nouveau roi d’Arabie Saoudite, après une visite récente et empressée du président Hollande, il renouait (accompagné d’une suite de plus de mille personnes, qui avait loué au prix fort la plupart des hôtels aux alentours), avec une tradition de séjour estival, sur la Côte d’Azur, interrompue durant une décennie, par son prédécesseur le roi Abdallah. La polémique est intervenue, lors de la privatisation ponctuelle, d’une toute petite crique publique et l’installation provisoire, d’un ascenseur reliant, pour des considérations de sécurité, le Palais rénové à la plage (fréquentée par une petite poignée d’habitués dont des naturistes). Elle s’est accélérée, avec la prétendue mise à l’écart, d’une jeune femme gendarme, chargée de veiller à proximité, sur le monarque absolu.

Nous avons ainsi un second exemple, dans un sens inverse, de confrontation, d’une logique de non-discrimination (plage publique privatisée, discrimination sexiste) avec une culture patriarcale quasi absolue (souverain, gardien des lieux saints). La polémique (pétition signée par 150 000 personnes) a été surmontée dans un premier temps, par l’appât du gain (vente d’armes et de produits de luxe), si important, dans une société de consommation, en pleine et constante crise économique.

L’Occident idéaliste prône hélas souvent, à grands cris, de grands principes, mais doit rapidement se rabattre, de manière matérialiste, sur ses intérêts économiques (Libye, Iran, Egypte, Afrique, Pays du Golfe…). C’est la course frénétique aux contrats, pour maintenir une certaine qualité de vie.

Il faudrait souligner également, la grande sagesse du roi d’Arabie saoudite, véritable promoteur du dialogue des cultures (depuis de très longues années, notamment quand il était prince héritier) qui œuvre véritablement, à une ouverture sur l’Occident et qui préféra écourter son séjour (au bout d’une petite semaine) et poursuivre ses vacances, à Tanger au Maroc, où il est assuré d’être reçu, selon certaines règles d’hospitalité, par un souverain également de droit absolu. Ainsi la plage sera rendue hâtivement, dès ce mardi au public, selon la préfecture.

Un président noir américain, venu sur les traces de son père, qu’il a à peine connu, mais qu’il a idéalisé (livres publiés avant la présidence : ‘les rêves de mon père’ et ‘L’audace d’espérer’) ; Un nouveau roi, tourné vers la modernité, qui voudrait revenir sur la Côte d’Azur comme un signe d’ouverture : les deux déplacements durant les vacances, ont suscité des incompréhensions et des résistances, car ils ont souligné, la distance culturelle, entre une société occidentale égalitaire (et égalitariste), où l’individu est roi et la société orientale et africaine, où il s’inscrit prioritairement, au sein d’un ordre social, solidaire et hiérarchisé, qui parfois le condamne, mais peut être lui permet également, de se situer.

Quant au Liban, pays structurellement à deux vitesses, oscillant entre archaïsme et modernité, les vacances d’été s’illustrent quotidiennement par l’envahissement surréaliste et irresponsable des déchets et la prolifération merveilleuse et encore plus surréaliste des festivals d’été, tous à la programmation égale, méticuleuse et irréprochable. D’un côté, le dysfonctionnement de l’Etat et de l’autre, la vivacité mimétique et compétitive, des initiatives privées. Comment peut-on être autant dans la démesure et le déni ? Sommes-nous un peuple de résilients ou d’amnésiques ?

Outre les vacances politiques institutionnelles, devenues chroniques et permanentes, de par notre propre fait ou de par les interférences régionales (et probablement des deux), nous ne parvenons toujours pas à choisir, entre un président démocrate, mais peu opérationnel (avec une milice communautaire armée) et un président, semi-dictatorial, populiste, versatile et arbitraire. Nous continuerons donc à naviguer entre deux eaux, sans savoir quels flots, finiront par nous (em) porter.

Bahjat Rizk

Bahjat Rizk
Avocat à la cour, écrivain libanais, professeur universitaire, attaché culturel à la délégation du Liban auprès de l’UNESCO (depuis 1990) a représenté le Liban à de multiples conférences de l’UNESCO (décennie mondiale du développement culturel-patrimoine mondial

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