La réserve d’or du Liban, entre spéculation politique et nécessité stratégique
Au cœur d’un effondrement financier historique, le Liban reste assis sur un trésor national rarement évoqué sans controverse : ses réserves d’or. Dans une déclaration publiée dans le Nahar, Wassim Mansouri, ancien gouverneur par intérim de la Banque du Liban (BDL), a livré une mise au point directe : la vente ou la mise en location de cet or n’est ni à l’ordre du jour, ni destinée à compenser les pertes des déposants. Ses propos tranchent avec les spéculations politiques et économiques qui entourent depuis des mois le sort du métal précieux stocké dans les coffres de la banque centrale.
Une clarification face à l’impasse financière
Dans le contexte d’une paralysie économique persistante et d’une confiance quasi inexistante dans le système bancaire, l’idée d’un recours à l’or national refait régulièrement surface. Plusieurs partis politiques ont proposé de vendre une partie de ces réserves pour honorer des dettes ou rembourser des déposants. Mansouri a répondu fermement à cette tentation : il n’y aura aucune allocation directe des revenus issus de l’or au profit des déposants.
Selon lui, cette approche serait non seulement juridiquement et institutionnellement problématique, mais elle risquerait aussi de précipiter une perte définitive d’un des derniers actifs tangibles du pays. Il rappelle que l’or du Liban constitue une garantie souveraine et que tout projet de vente ou de location doit répondre à des règles strictes, validées par la loi.
Pas d’option de vente sans cadre législatif
Le discours de Mansouri insiste sur l’indépendance de la Banque du Liban et la nécessité de préserver cette réserve stratégique. En cela, il renvoie à la loi interdisant explicitement toute vente de l’or sans une autorisation législative spécifique du Parlement. Il rejette les accusations de blocage institutionnel, affirmant que la Banque ne saurait agir hors de ce cadre.
Par ailleurs, il précise que toute discussion sur l’utilisation des revenus générés par la location de l’or, ou par sa transformation en titres financiers, ne peut avoir lieu qu’après une réforme complète du système économique et bancaire. Sans cadre légal clair, il estime qu’aucune opération ne doit être envisagée.
Les barres d’or : un héritage de 1948
Les réserves en question datent pour la plupart de 1948, année à laquelle la Banque du Liban a commencé à constituer son stock d’or en parallèle de la consolidation de sa monnaie nationale. Mansouri rappelle que cet or, majoritairement conservé sous forme de lingots, a été acheté à l’époque à des taux avantageux, ce qui confère à la BDL un avantage comptable certain.
Ces réserves sont aujourd’hui réparties entre les coffres situés au Liban et ceux détenus à l’étranger, notamment aux États-Unis. Si la valeur actuelle de ces lingots est difficile à estimer précisément, elle dépasse largement les montants officiellement déclarés, du fait de la rareté et de la pureté de certains d’entre eux. C’est pourquoi, selon Mansouri, l’idée d’une simple liquidation constitue une grave erreur stratégique.
Une question de souveraineté monétaire
Dans ses propos, l’ex-gouverneur par intérim insiste également sur la dimension symbolique et politique de l’or. Ce dernier représente une garantie ultime pour la souveraineté financière du Liban. En temps de crise ou de besoin d’accords internationaux, notamment avec le Fonds monétaire international (FMI), ces réserves constituent un levier de négociation majeur.
Selon lui, engager l’or dans un processus de liquidation sans avoir restructuré l’économie et restauré la confiance institutionnelle, reviendrait à hypothéquer le peu de crédibilité monétaire encore disponible. Il alerte également contre les tentatives de certains acteurs politiques qui utilisent le sujet comme un outil de pression ou de populisme, sans comprendre les implications à long terme.
Des tentatives d’investissement via des institutions étrangères
Mansouri révèle également que la Banque du Liban a été approchée par des institutions financières étrangères, notamment américaines, pour envisager des mécanismes de location de l’or. L’idée serait de permettre au Liban de tirer un revenu régulier de ses réserves sans en compromettre la propriété.
Ces offres, bien que séduisantes sur le plan financier, ne peuvent être considérées que dans un cadre juridique réformé. Il rappelle que toute opération sur l’or, qu’elle soit interne ou externe, reste soumise à une série de validations gouvernementales et parlementaires. Dans l’état actuel des institutions libanaises, toute précipitation serait dangereuse.
La vraie solution selon Mansouri : des réformes, pas des ventes
Pour Wassim Mansouri, la solution ne réside pas dans la mobilisation de l’or, mais dans la refonte du système bancaire, la rationalisation des dépenses publiques et la reconstruction de la confiance dans les institutions. Il appelle à un effort collectif pour sortir de la logique de gestion de crise permanente.
Il souligne qu’avant même de penser à utiliser les réserves stratégiques, le Liban doit clarifier sa stratégie économique, établir un programme avec le FMI, et mettre en œuvre les réformes attendues depuis des années. Selon lui, vendre l’or sans avoir posé ces fondations reviendrait à consommer la dernière carte sans espoir de relance.
L’opinion publique et la pression politique
La déclaration de Mansouri vise également à répondre aux attentes de l’opinion publique, qui voit dans l’or un moyen de recouvrer une partie de ses dépôts perdus. Il rappelle toutefois que l’émotion ne doit pas dicter les décisions économiques, surtout lorsque celles-ci portent sur des actifs nationaux.
Il appelle les parlementaires à prendre leurs responsabilités et à s’opposer à toute décision précipitée. Il soutient qu’un débat sain est nécessaire, mais que les décisions doivent être prises dans l’intérêt du pays sur le long terme, et non pour calmer une colère légitime mais mal orientée.
Une position alignée sur la stabilité monétaire
Enfin, Mansouri insiste sur le rôle fondamental que joue l’or dans l’équilibre des bilans de la BDL. Sa valeur comptable permet de stabiliser la monnaie nationale face à la perte de confiance généralisée. Il constitue également un outil d’évaluation crédible pour les partenaires économiques internationaux.
Vendre cet or, ou même l’utiliser comme garantie, pourrait déclencher un enchaînement de conséquences monétaires incontrôlables, notamment en cas de rupture du lien de confiance entre la Banque et ses partenaires. Le maintien de cette réserve intacte reste donc un impératif de stabilité.