Patrimoine Libanais : Silence, on détruit !

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Qu’il est doux de voir les acteurs de la scène culturelle s’agiter et semer par-ci par-là des séminaires, des conférences, des formations, des diners de galas, des voyages, des tournées, des inspections, etc.

À voir les choses de loin, on croirait que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, alors qu’en faisant quelques pas vers la réalité, l’on serait tenté de dire : ce n’est que trop de bruit pour rien.

La dernière prouesse en date est une formation avec le partenariat de l’ICCROM, sur la préservation du patrimoine en temps de conflit ou des catastrophes naturelles. Des reportages sur nos petits écrans nous ont montré des «experts» qui apprennent comment intervenir en cas de sinistre afin de sauver les objets archéologiques en tout genre. Louable, diriez-vous. Certes. Mais le travail des archéologues ne consiste-t-il pas principalement à chercher parmi les décombres des reliques du passé enfouies sous terre ? Interrogation toute bête peut-être …

Cependant, ce ne sont ni les guerres ni les séismes ni les incendies qui sont à craindre au Liban. La guerre civile en est une preuve ; il a fallu un Homme de conscience comme le très regretté Maurice Chehab qui a su, par sa sagesse, son bon sens et son patriotisme, épargner nos trésors archéologiques de la mauvaise foi, de l’ignorance ou de la bêtise humaine.

Les réelles menaces exposant nos marqueurs historiques sont les experts sans consciences, locaux et étrangers, qui détruisent notre patrimoine en toute impunité. Les médias libanais préoccupés par la médisance et les bricoles attisant les instincts confessionnels et partisans, ne se rendent pas compte que des crimes sont perpétrés quasi quotidiennement contre notre héritage culturel, et omettent, volontairement ou non, de braquer les projecteurs sur les centaines de délits quotidiens : les permis frauduleux rongeant ce qui reste des bâtisses traditionnelles, les hérésies de démantèlement total ou partiel puis de réintégration – qui n’a presque jamais eu lieu – des vestiges archéologiques dans les projets HLM luxueux aux prix exorbitants dévorant la capitale libanaise et au-delà, les vols et vandalismes à la pelle, et la liste est longue.

Le pire des dangers n’est pas seulement la présence de tels escrocs, mais réside surtout dans le mutisme de la majorité de tous ceux qui sont au courant, collègues ou autres, et qui assistent aux pires des carnages, préférant observer le silence, que ce soit par désintéressement ou par crainte de montrer du doigt le trafic des pièces archéologiques au-delà et même à l’intérieur des frontières, les destructions totales ou même partielles de complexes archéologiques phéniciens, hellénistiques, romains, byzantins, etc.

L’omerta sicilienne semble régner également dans les sphères archéologiques au pays des cèdres, et les témoins de notre «mémoricide» qui choisissent de faire la «sourde oreille», ne savent-ils pas qu’en optant pour la non-dénonciation de crimes éradiquant la culture et la mémoire de tout un peuple, ils se transforment automatiquement en complices des criminels… ???

Le peuple est préoccupé par les soucis pécuniaires, par le pain, le prix de l’essence, la santé, l’éducation. Légitime. Il a été abêti par la force depuis des décennies à un tel point d’oublier que le Liban n’est pas un pays dont l’économie compte principalement sur l’industrie, sur certaines matières premières ou autres, mais sur le secteur du Tourisme. Et qu’est-ce qui attirent les touristes en général ? Le patrimoine sous toutes ses facettes diriez-vous.

A cause des destructions incessantes de nos sites archéologiques, du fait de l’application «extensive» du principe absurde et inadéquat de «l’Archéologie dans le vide» et de la priorité assurée aux intérêts privés au détriment de l’Intérêt Public, les sites de Baalbeck, Byblos, Beyrouth, Tyr, Tripoli… risquent de disparaitre un jour (partiellement ou même totalement), et Le Liban perdrait, sans aucun doute, l’avantage d’être une adresse touristique incontournable …

Commençons tout d’abord par se débarrasser des prédateurs du patrimoine pullulant dans les institutions publiques et privées, pour ensuite, prendre comme modèle le patriotisme égyptien suite à l’incendie de l’Institut d’Égypte au Caire, où nous avons vu des dizaines de bénévoles sauver des décombres des milliers de documents et d’archives. Partant de ce principe, pour qu’une telle formation en vue de la préservation des artefacts en temps de conflits ou de catastrophes naturelles soit vraiment utile et efficace, elle devrait être généralisée au niveau de toute la population, surtout celle avoisinante aux Musées ou autres centres d’exposition ou de stockage …

Nous sommes en plein désastre archéologique, et une catastrophe naturelle n’aggraverait pas les choses, et une telle formation destinée à moins d’une dizaine d’individus n’est malheureusement pas la solution à nos problèmes. Notre unique salut pour la sauvegarde de notre patrimoine libanais n’est qu’un RÉVEIL DES CONSCIENCES

Pour rappel :

Mission « archéocalyptique » à Beyrouth ou le retour de Hans Curvers au Liban ?

Au nom de cette identité et de ce patrimoine libanais qu’on massacre

Port phénicien de Beyrouth : L’ICOMOS sceptique face aux propos du ministère, propose l’intervention de ses experts

Le Patrimoine de Tripoli à son tour, victime des destructions arbitraires

Contre-vérités et manipulations médiatiques à la veille de la marche pour le patrimoine libanais

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Marie Josée Rizkallah
Marie-Josée Rizkallah est une artiste libanaise originaire de Deir-el-Qamar. Versée dans le domaine de l’écriture depuis l’enfance, elle est l’auteur de trois recueils de poèmes et possède des écrits dans plusieurs ouvrages collectifs ainsi que dans la presse nationale et internationale. Écrivain bénévole sur le média citoyen Libnanews depuis 2006, dont elle est également cofondatrice, profondément engagée dans la sauvegarde du patrimoine libanais et dans la promotion de l'identité et de l’héritage culturel du Liban, elle a fondé l'association I.C.H.T.A.R. (Identité.Culture.Histoire.Traditions.Arts.Racines) pour le Patrimoine Libanais dont elle est actuellement présidente. Elle défend également des causes nationales qui lui touchent au cœur, loin des équations politiques étriquées. Marie-Josée est également artiste peintre et iconographe de profession, et donne des cours et des conférences sur l'Histoire et la Théologie de l'Icône ainsi que l'Expression artistique. Pour plus de détails, visitez son site: mariejoseerizkallah.com son blog: mjliban.wordpress.com et la page FB d'ICHTAR : https://www.facebook.com/I.C.H.T.A.R.lb/

3 COMMENTAIRES

  1. Au mois de novembre 2011, je pouvais lire dans L‘Orient-Le-Jour que la citadelle croisée de Beyrouth révélait sa splendeur. Des fouilles archéologiques étaient organisées dans le bloc 94, rue Argentine (parallèle à la rue Foch), secteur Marfa’. Mais depuis impossible d’en savoir plus ? Un compte rendu de ces fouilles a-t-il été publié ? Merci pour votre réponse.

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