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Perspective: Inflation, banques en faillite, pauvreté, comment le Liban s’est ruiné

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Le Liban est confronté à l’une des pires crises économiques de son histoire moderne. Depuis 2019, le pays connaît un effondrement financier sans précédent, marqué par la faillite du système bancaire, une hyperinflation galopante et une pauvreté endémique. La livre libanaise a perdu plus de 95 % de sa valeur, les salaires ne permettent plus de couvrir les besoins essentiels, et les infrastructures du pays sont en déliquescence. Cette crise est le résultat de décennies de mauvaise gestion, de corruption systémique et d’un modèle économique basé sur l’accumulation d’une dette insoutenable. Mais au-delà des indicateurs économiques, c’est toute la structure sociale libanaise qui est en train de s’effondrer. L’exode massif des jeunes, la montée de la criminalité liée à la misère et la dégradation des services publics rendent le quotidien insoutenable pour la majorité des Libanais. Dans ce contexte, quelles sont les racines de cette crise ? Quels impacts concrets pour la population ? Et surtout, existe-t-il encore une issue pour le Liban ?

Un modèle économique bâti sur une dette incontrôlable

Pendant plusieurs décennies, le Liban s’est appuyé sur un système économique artificiellement soutenu par les banques et les capitaux étrangers. Depuis la fin de la guerre civile en 1990, l’État libanais a adopté un modèle basé sur l’endettement massif pour financer son fonctionnement. À défaut de ressources propres suffisantes, le pays a privilégié une approche reposant sur le financement extérieur et le soutien de la diaspora libanaise, réputée pour sa prospérité et sa forte présence dans le secteur bancaire international. Cette stratégie, qui semblait viable dans un premier temps, a progressivement révélé ses failles structurelles, rendant le Liban de plus en plus vulnérable aux chocs économiques et aux fluctuations des marchés financiers.

Grâce à une parité fixe entre la livre libanaise et le dollar américain (établie en 1997), le pays a pu attirer des dépôts étrangers et maintenir une stabilité apparente. Cette politique de change visait à renforcer la confiance des investisseurs et des épargnants en garantissant une convertibilité stable entre la monnaie locale et le billet vert. Elle avait aussi pour objectif d’attirer les capitaux de la diaspora et des États du Golfe, dont les investissements représentaient une source essentielle de devises étrangères pour l’économie libanaise. Toutefois, ce système reposait sur une illusion monétaire : l’État empruntait à des taux très élevés pour rembourser d’anciennes dettes, dans un schéma proche d’un système de Ponzi.

Ce modèle était d’autant plus risqué qu’il dépendait largement des dépôts bancaires en devises étrangères. Les banques libanaises, encouragées par les autorités, ont investi massivement dans les obligations d’État, attirant des dépôts en dollars avec des taux d’intérêt atteignant jusqu’à 10-15 %. Cette stratégie leur permettait de financer le déficit budgétaire chronique du gouvernement tout en réalisant des marges considérables. Mais derrière cette façade de rentabilité se cachait une dépendance extrême aux flux de capitaux entrants. Tant que les dépôts continuaient d’affluer, le système pouvait fonctionner ; mais dès que les investisseurs ont commencé à douter de la capacité de l’État à rembourser sa dette, l’équilibre a été rompu.

Cette bulle financière a tenu jusqu’en 2019, lorsqu’un ralentissement des flux de capitaux et une crise de liquidité ont précipité l’effondrement. Plusieurs facteurs ont contribué à cet arrêt brutal. D’une part, la crise économique mondiale et l’instabilité régionale ont réduit les entrées de capitaux, en particulier celles de la diaspora libanaise et des investisseurs arabes. D’autre part, la montée des tensions politiques internes et les manifestations populaires contre la corruption ont aggravé la défiance des épargnants envers le système bancaire. À cela s’ajoute l’effondrement du secteur immobilier, qui était un moteur clé de l’investissement au Liban et un pilier du financement bancaire.

Aujourd’hui, la dette publique libanaise dépasse les 100 milliards de dollars, soit plus de 180 % du PIB, un des ratios les plus élevés au monde. Cette situation place le Liban parmi les pays les plus endettés de la planète, avec une charge de remboursement insoutenable pour un État incapable de générer des recettes suffisantes. Incapable de faire face à ses obligations financières, le gouvernement a déclaré un défaut de paiement en mars 2020, marquant le début officiel de la débâcle financière. Cette annonce a eu un effet immédiat : le pays a été coupé des marchés internationaux, les créanciers étrangers ont gelé toute aide, et les agences de notation ont abaissé la note souveraine du Liban à un niveau proche de l’insolvabilité totale.

Ce défaut de paiement a révélé l’ampleur du dysfonctionnement du système économique libanais. L’État ne disposait pas des outils nécessaires pour gérer une telle crise, et les institutions financières se sont retrouvées incapables d’assurer la liquidité nécessaire pour relancer l’économie. La situation s’est aggravée avec l’effondrement progressif de la livre libanaise, provoquant une hyperinflation qui a laminé le pouvoir d’achat des ménages et accéléré la paupérisation de la population.

Au-delà des chiffres, l’échec du modèle économique libanais repose sur une mauvaise gestion chronique, une corruption endémique et un manque de réformes structurelles. Depuis des années, les institutions internationales, notamment le FMI et la Banque mondiale, alertaient sur la nécessité de revoir les politiques budgétaires et monétaires du pays. Mais les dirigeants ont continué à privilégier des solutions à court terme, préférant s’appuyer sur un système financier instable plutôt que de mettre en place des réformes durables. Cette fuite en avant a fini par provoquer un effondrement systémique dont les répercussions se font toujours sentir aujourd’hui.

L’une des principales leçons de cette crise est que la stabilité économique ne peut pas reposer uniquement sur des politiques monétaires artificielles et un endettement excessif. Le Liban, en s’appuyant uniquement sur les flux de capitaux extérieurs et la spéculation financière, a négligé le développement d’une économie productive capable de générer de la croissance et de l’emploi. Tant que ce modèle ne sera pas révisé en profondeur, toute tentative de redressement restera fragile et exposée aux mêmes risques qu’auparavant.

Le naufrage du secteur bancaire et la ruine des épargnants

Le secteur bancaire libanais, autrefois considéré comme l’un des plus solides du Moyen-Orient, s’est retrouvé en faillite du jour au lendemain. Pendant des décennies, les banques libanaises avaient bâti leur réputation sur une gestion prudente des capitaux et une capacité à attirer les dépôts de la diaspora. Elles bénéficiaient d’une stabilité apparente grâce à leur rôle central dans le financement de l’État et à un système monétaire qui garantissait une parité fixe avec le dollar américain. Mais en réalité, ce modèle bancaire reposait sur un équilibre fragile, largement dépendant des flux de capitaux entrants et des investissements étrangers.

Les banques ont gelé les retraits en dollars dès octobre 2019, empêchant des millions de Libanais d’accéder à leurs économies. Ce verrouillage brutal a été justifié par les autorités bancaires comme une mesure temporaire pour éviter une ruée sur les liquidités et protéger le système financier d’un effondrement immédiat. Pourtant, cette décision a eu des conséquences dramatiques sur l’ensemble de la population. Privés d’accès à leurs devises, les épargnants ont vu leur argent bloqué indéfiniment, sans possibilité de transfert vers des comptes étrangers ni d’utilisation à leur valeur réelle.

Ceux qui tentaient de récupérer leurs fonds étaient contraints d’accepter des retraits en livres libanaises dévaluées, avec des taux de conversion fixés arbitrairement par les banques. Alors que le taux officiel restait figé à 1 500 livres libanaises pour un dollar, les banques appliquaient des taux nettement inférieurs à la réalité du marché noir, où la monnaie locale perdait quotidiennement de sa valeur. Cette pratique a permis aux établissements financiers de limiter leurs pertes, mais elle a surtout appauvri des milliers de déposants, qui ont vu leur pouvoir d’achat s’effondrer du jour au lendemain.

Ce verrouillage des dépôts a provoqué une ruine généralisée de la classe moyenne, qui avait placé ses économies dans un système bancaire qui semblait fiable. Depuis plusieurs générations, les Libanais considéraient les banques comme un pilier de la stabilité économique du pays. Les travailleurs indépendants, les enseignants, les fonctionnaires et les petites entreprises confiaient leur épargne aux banques dans l’espoir de sécuriser leur avenir. En quelques mois, cet espoir s’est transformé en cauchemar. Des milliers de retraités ont vu leurs pensions fondre sans possibilité de récupérer leur argent, tandis que des entreprises ont dû fermer faute de fonds pour payer leurs fournisseurs ou leurs salariés.

L’impact sur l’économie a été immédiat et brutal. Les investissements productifs ont été réduits à néant, car les entreprises ne pouvaient plus accéder aux crédits nécessaires pour poursuivre leurs activités. Les faillites se sont multipliées dans tous les secteurs, de l’immobilier au commerce, en passant par les industries locales qui dépendaient des importations. La paralysie du secteur bancaire a également entraîné une augmentation massive du chômage, forçant des milliers de travailleurs à quitter le pays en quête d’opportunités ailleurs.

La défiance envers les banques libanaises est aujourd’hui totale. Non seulement les citoyens ont perdu confiance dans le système bancaire, mais même les investisseurs étrangers hésitent désormais à injecter des capitaux dans un pays où les fonds peuvent être confisqués sans préavis. Cette méfiance généralisée a contribué à un effondrement du secteur financier, qui n’a toujours pas trouvé de solution viable pour rétablir la confiance.

L’absence de plan de restructuration clair empêche toute stabilisation du secteur financier. Alors que plusieurs scénarios ont été envisagés, notamment une restructuration des banques avec une répartition équitable des pertes entre les actionnaires, l’État et les déposants, aucune mesure concrète n’a été mise en œuvre. Les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) ont achoppé sur l’absence d’un consensus politique, et les élites libanaises continuent de repousser toute réforme susceptible d’affecter leurs intérêts.

Plusieurs experts estiment que jusqu’à 70 milliards de dollars de dépôts ont été purement et simplement perdus à cause de la mauvaise gestion et de la corruption des élites bancaires et politiques. Cette somme colossale représente un fardeau énorme pour l’économie libanaise, car elle ne pourra jamais être récupérée sans une restructuration profonde du système financier. En attendant, ce sont les citoyens qui paient le prix de cette crise, condamnés à vivre avec une monnaie en chute libre, un pouvoir d’achat réduit à néant et un avenir économique incertain.

Hyperinflation et paupérisation massive de la population

Avec la dévaluation de la livre libanaise, qui est passée de 1 500 LBP pour 1 USD en 2019 à plus de 90 000 LBP aujourd’hui, l’inflation a atteint des niveaux catastrophiques. Cette chute vertigineuse de la monnaie nationale a entraîné une perte de pouvoir d’achat massive pour l’ensemble de la population, y compris les classes moyennes qui ont vu leurs revenus fondre en quelques mois. La flambée des prix a touché tous les secteurs, de l’alimentation aux soins médicaux, en passant par l’énergie et le logement.

Selon les estimations, l’inflation annuelle dépasse 200 %, un niveau rarement observé en dehors des crises économiques les plus sévères de l’histoire moderne. Le coût des produits de première nécessité a explosé, rendant les biens de consommation inaccessibles pour une grande partie de la population. Le prix du pain a été multiplié par plus de 10 en trois ans, mettant sous pression des millions de familles qui dépendent du pain comme aliment de base. Autrefois subventionnée, la farine est devenue un produit hors de prix pour les ménages les plus modestes. Dans certaines régions du pays, les boulangeries ont même dû fermer en raison du coût prohibitif des matières premières et du manque d’approvisionnement.

Le secteur de la santé est également gravement touché. Les médicaments, autrefois subventionnés, coûtent désormais plusieurs fois le salaire moyen, rendant les traitements médicaux hors de portée pour de nombreux Libanais. Des médicaments essentiels, comme ceux destinés aux maladies chroniques (diabète, hypertension, maladies cardiaques), ne sont plus accessibles à la majorité de la population. La crise a provoqué un effondrement du système de santé, les hôpitaux étant incapables de payer leurs fournisseurs ou de maintenir leurs infrastructures en état de fonctionnement. De nombreux médecins et infirmiers, en quête de meilleures conditions de travail et de salaires décents, ont choisi l’exil, aggravant encore plus la pénurie de personnel médical.

Le carburant est devenu un luxe, avec des prix qui fluctuent en fonction des pénuries. Le prix de l’essence a explosé, rendant le transport quotidien extrêmement coûteux pour les travailleurs et les étudiants. Les files d’attente interminables devant les stations-service, qui étaient devenues une scène courante au plus fort de la crise, illustrent la dépendance du Liban aux importations de pétrole. Les pénuries d’électricité, causées par l’incapacité du gouvernement à financer les importations de fuel pour les centrales électriques, obligent les Libanais à se tourner vers des générateurs privés dont les coûts sont exorbitants. Dans certaines zones, les habitants ne disposent que de deux à trois heures d’électricité par jour, rendant la vie quotidienne extrêmement difficile, notamment pour les entreprises qui ne peuvent plus fonctionner normalement.

L’impact social de cette crise est catastrophique. Plus de 80 % des Libanais vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, selon les organisations internationales. Ce chiffre alarmant traduit une précarisation sans précédent de la population. Les salaires, payés en livres libanaises, ne permettent plus d’acheter des produits de première nécessité, obligeant de nombreuses familles à réduire drastiquement leurs dépenses alimentaires et médicales. L’aide humanitaire, bien que présente, ne suffit pas à compenser les besoins croissants de la population.

La montée en flèche du chômage et la baisse des salaires réels ont aggravé la détresse sociale. Le secteur privé, asphyxié par l’absence de financements et l’effondrement de la demande, ne peut plus embaucher ni investir. De nombreuses entreprises ont mis la clé sous la porte, incapables de faire face à l’augmentation des coûts d’importation et à la chute brutale de la consommation. Même les professions libérales, naguère épargnées par les crises économiques, sont désormais en difficulté. Des avocats, ingénieurs ou architectes se retrouvent sans clients et doivent chercher des opportunités à l’étranger pour survivre.

Cette situation a provoqué une montée des désespoirs migratoires. De plus en plus de Libanais tentent de quitter le pays, au risque de traversées dangereuses en mer ou de partir sans perspectives claires à l’étranger. La migration vers l’Europe a explosé, en particulier vers Chypre et l’Italie, où des centaines de réfugiés libanais ont été interceptés en mer par les gardes-côtes. D’autres cherchent à rejoindre le Canada ou les pays du Golfe, où la diaspora libanaise joue un rôle clé dans l’intégration des nouveaux arrivants.

Pour ceux qui restent au Liban, l’avenir semble de plus en plus incertain. Les jeunes, en particulier, se sentent piégés dans un pays sans avenir économique ni perspectives d’emploi. L’éducation, autrefois un secteur d’excellence au Liban, est menacée par le manque de financements et l’émigration des enseignants. Les universités privées, qui comptaient parmi les meilleures du monde arabe, peinent à maintenir leurs standards en raison de la chute des inscriptions et du départ massif de leurs professeurs vers l’étranger.

Face à cette situation, la population libanaise oscille entre résignation et colère. Les manifestations sporadiques contre le gouvernement et les institutions bancaires continuent, bien que leur impact reste limité par la répression et la lassitude générale. L’absence de solutions politiques concrètes renforce le sentiment que le Liban est en train de s’effondrer sous le poids de ses propres contradictions, laissant des millions de personnes dans une incertitude totale.

L’impasse politique empêche tout redressement

Face à cette crise économique majeure, la réponse politique a été quasi inexistante. Alors que l’effondrement économique nécessitait des mesures urgentes et structurelles, les dirigeants libanais se sont montrés incapables d’adopter une stratégie cohérente pour sauver le pays du chaos financier. Les institutions de l’État, paralysées par des luttes de pouvoir interminables, ont multiplié les réunions et les annonces sans aboutir à des solutions concrètes. Chaque décision économique est devenue un enjeu politique, où les partis privilégient leurs propres intérêts plutôt que ceux du pays.

Depuis le début de la crise, les gouvernements successifs n’ont cessé de reporter les réformes nécessaires, préférant gérer la situation par des mesures temporaires inefficaces. L’absence de consensus entre les différentes factions a plongé le pays dans un immobilisme total, empêchant toute sortie de crise. Pendant que la population subissait de plein fouet la dévaluation de la monnaie, la flambée des prix et l’effondrement des services publics, les élites politiques ont maintenu le statu quo, évitant toute décision pouvant affecter leurs privilèges.

Le système politique confessionnel libanais, conçu pour garantir une représentation équilibrée des communautés, s’est transformé en un obstacle majeur à toute réforme. Chaque bloc politique cherche à protéger son influence et à empêcher ses rivaux d’obtenir des gains politiques à travers des décisions économiques. La gestion du pays est devenue une bataille permanente entre groupes d’intérêts opposés, empêchant toute action coordonnée. La formation du gouvernement, les nominations aux postes-clés et même les discussions budgétaires sont systématiquement entravées par ces rivalités.

Le gouvernement est incapable de prendre des mesures structurelles, et chaque tentative de réforme est bloquée par des intérêts divergents. Les discussions autour d’un plan de sauvetage économique ont été constamment retardées par l’intransigeance des partis politiques, qui refusent toute remise en question de leurs prérogatives. Certains groupes refusent de toucher aux subventions qui profitent à leurs bases électorales, tandis que d’autres rejettent toute réforme susceptible de nuire aux banques et aux élites financières qui financent leur influence politique.

Le Fonds monétaire international (FMI) a proposé un plan de sauvetage économique, conditionné à l’adoption de réformes structurelles essentielles. Parmi ces mesures figurent la restructuration du secteur bancaire, la réduction du déficit public et une lutte renforcée contre la corruption. Ces réformes sont considérées comme indispensables pour stabiliser l’économie libanaise et rétablir la confiance des investisseurs.

Cependant, ces réformes sont systématiquement bloquées par la classe politique, soucieuse de préserver ses privilèges et son contrôle sur les ressources du pays. Le FMI exige, entre autres, un audit des banques pour identifier les responsabilités dans la faillite du système financier et une réduction des pertes bancaires supportées par les citoyens. Or, ces demandes sont en contradiction avec les intérêts des élites bancaires et politiques, qui refusent d’assumer leur part de responsabilité dans l’effondrement économique.

Le programme du FMI prévoit également la mise en place d’un cadre législatif strict contre la corruption, un mal endémique qui gangrène l’administration libanaise depuis des décennies. La corruption est au cœur du système politique et économique du pays, alimentant des réseaux clientélistes et empêchant toute gestion efficace des ressources publiques. En bloquant les réformes anti-corruption, les dirigeants libanais protègent un système qui leur permet de détourner des fonds publics et de maintenir leur pouvoir sur les institutions étatiques.

Au-delà de la résistance des élites politiques, les réformes sont aussi freinées par le manque de transparence et l’absence d’un cadre institutionnel fort. L’administration publique est inefficace, minée par le népotisme et le favoritisme, ce qui complique encore davantage l’application des mesures demandées par le FMI.

L’impasse politique et économique actuelle plonge le Liban dans une spirale de déclin continu. En l’absence de réformes structurelles, le pays ne peut pas espérer obtenir les 8 à 10 milliards de dollars d’aides internationales qui pourraient stabiliser la situation. Tant que les dirigeants refuseront d’agir dans l’intérêt général, le Liban restera un État en faillite, incapable de protéger sa population et de relancer son économie.

Quelles solutions pour sortir de la crise ?

Plusieurs pistes sont envisagées pour redresser l’économie libanaise, mais elles nécessitent une volonté politique forte et une mobilisation nationale. La restructuration du secteur bancaire est la première étape essentielle pour stabiliser le pays. Le système financier libanais s’est effondré sous le poids de la dette et de la mauvaise gestion des banques, qui ont utilisé les dépôts des citoyens pour financer un État en faillite. Une réforme profonde du secteur bancaire est donc indispensable pour restaurer la confiance des épargnants et attirer de nouveaux investissements.

Cela passe par un audit transparent des comptes des banques, afin de déterminer l’ampleur des pertes et d’identifier les responsabilités dans la gestion catastrophique des fonds déposés par les citoyens. Cet audit, exigé par les institutions financières internationales, est une condition préalable à toute assistance économique extérieure. Il permettrait également d’établir un plan de compensation pour les épargnants, dont une grande partie a perdu ses économies suite aux restrictions bancaires.

Une restructuration efficace doit aussi prévoir une répartition équitable des pertes entre les établissements financiers, l’État et les citoyens. Actuellement, ce sont les déposants qui supportent l’essentiel des pertes, tandis que les banques et les élites politiques tentent de limiter leur propre exposition à la crise. Une réforme équitable impliquerait que les banques assument une partie des pertes en puisant dans leurs actifs et en redistribuant leurs fonds propres. En parallèle, l’État devrait engager des mesures pour protéger les petits déposants et garantir un accès progressif aux fonds bloqués.

La lutte contre la corruption et la réforme des institutions sont également des conditions essentielles à un redressement durable. Le Liban ne pourra pas stabiliser son économie sans une refonte totale de ses institutions et une véritable lutte contre la corruption, qui gangrène le pays depuis des décennies. L’administration publique est minée par le népotisme et la gestion opaque des ressources, ce qui empêche toute gouvernance efficace.

Des mécanismes de transparence et de reddition de comptes doivent être mis en place pour éviter que l’argent public ne soit détourné. Cela passe par une refonte du cadre législatif, l’indépendance des institutions judiciaires et des audits réguliers sur l’utilisation des fonds publics. Une réforme des marchés publics est également nécessaire pour éviter la surfacturation des projets d’infrastructure, un phénomène récurrent qui a coûté des milliards de dollars au pays.

L’instauration d’une autorité anticorruption indépendante, dotée de réels pouvoirs d’enquête et de sanction, pourrait jouer un rôle central dans ce processus. Jusqu’à présent, les initiatives de lutte contre la corruption ont échoué en raison du manque de volonté politique et de l’ingérence des élites. Une véritable réforme nécessiterait une pression internationale et des sanctions ciblées contre les responsables impliqués dans des détournements de fonds.

L’appui des institutions financières internationales est un levier indispensable pour stabiliser la monnaie et financer des projets de relance économique. Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont déjà proposé des aides conditionnées à l’application de réformes structurelles. Toutefois, ces aides ne seront accordées que si les dirigeants libanais acceptent de mettre en place des mesures concrètes de stabilisation économique.

Le FMI demande notamment une réforme du secteur bancaire, une réduction du déficit public et une amélioration de la transparence financière avant d’accorder une assistance financière. Si ces conditions sont remplies, le Liban pourrait bénéficier de prêts à faible taux d’intérêt et d’un accès facilité aux marchés internationaux pour refinancer sa dette. Cette aide permettrait également de stabiliser la livre libanaise, dont la chute libre a détruit le pouvoir d’achat des citoyens.

Cependant, l’expérience montre que les aides internationales ne peuvent pas, à elles seules, sauver un pays en crise si les réformes ne sont pas appliquées correctement. Plusieurs pays ayant traversé des crises similaires ont réussi à s’en sortir grâce à une combinaison de réformes économiques internes et de soutien extérieur. Pour que ce plan fonctionne au Liban, il est impératif que les fonds alloués par le FMI et la Banque mondiale soient strictement contrôlés pour éviter tout détournement par les élites politiques.

Enfin, le développement d’une économie productive est une nécessité absolue pour sortir d’un modèle basé sur la dette et les services financiers. Le Liban doit diversifier son économie en investissant dans des secteurs productifs et durables, capables de générer de la croissance et de l’emploi.

L’un des secteurs clés est l’agriculture, qui reste sous-exploitée malgré le potentiel fertile du pays. L’augmentation de la production agricole permettrait de réduire la dépendance aux importations et de garantir une meilleure sécurité alimentaire à la population. Actuellement, le Liban importe plus de 80 % de ses denrées alimentaires, une situation qui aggrave le déficit commercial et expose le pays aux fluctuations des prix mondiaux. Un plan de soutien aux agriculteurs et des investissements dans des infrastructures modernes (irrigation, stockage, transport) pourraient relancer ce secteur et offrir des emplois en zone rurale.

L’industrie est un autre domaine où le Liban pourrait renforcer sa compétitivité. Bien que le pays ne dispose pas d’un secteur manufacturier développé, certaines industries, comme la transformation agroalimentaire et la production de textiles, pourraient être dynamisées par des incitations fiscales et des aides aux entreprises locales. Développer une industrie exportatrice permettrait de réduire le déficit commercial et de générer des devises étrangères essentielles à la stabilisation de l’économie.

Enfin, le secteur des énergies renouvelables représente une opportunité majeure pour le Liban. Le pays souffre de pénuries chroniques d’électricité, et la dépendance aux importations de pétrole fragilise encore davantage ses finances. Le développement de l’énergie solaire et éolienne, grâce à des partenariats internationaux et des incitations aux investissements, pourrait permettre de réduire cette dépendance et d’améliorer l’accès à une électricité stable et abordable.

Pour réussir cette transition, le Liban devra également moderniser son cadre législatif afin de faciliter l’implantation d’entreprises dans ces secteurs et de renforcer la protection des investisseurs.

Le redressement de l’économie libanaise passe par une combinaison de mesures urgentes et de réformes structurelles à long terme. La réussite de ces réformes dépendra de la capacité des dirigeants à dépasser leurs querelles internes et à agir dans l’intérêt général. Tant que la classe politique continuera à faire obstacle aux changements nécessaires, le Liban restera piégé dans une spirale de crise économique et sociale. Une mobilisation nationale et une pression internationale accrues seront essentielles pour forcer la mise en place de ces solutions et permettre au pays d’entrevoir une sortie durable de la crise.

Un avenir incertain

L’économie libanaise est dans une situation critique, et l’absence de réformes compromet toute possibilité de reprise à court terme. Tant que la classe politique continuera à bloquer les initiatives de redressement, la crise s’aggravera, accentuant la pauvreté et la fuite des talents. Le Liban est à un tournant. Soit il engage enfin les réformes nécessaires pour reconstruire son économie, soit il continue sur la voie du déclin, avec des conséquences désastreuses pour sa population. Dans un pays marqué par l’instabilité et les ingérences extérieures, la reprise dépendra de la capacité des Libanais à reprendre en main leur avenir économique.

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