La rénovation du concept d’e-gouvernement : l’exemple du Liban

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Rania Fakhoury, Université Libanaise

Comment faire en sorte que ce que l’on appelle l’e-gouvernement, ou gouvernement électronique profite aux citoyens ? En prenant en compte les profils et les attitudes de tous les groupes socio-économiques qui composent une société. Nous allons le comprendre avec le cas du Liban.

Mais tout d’abord, quelques éléments de contexte. L’idée du e-gouvernement date du milieu des années 1950. Néanmoins, les initiatives et les programmes relatifs à ce concept ne se sont développés qu’à partir des débuts des années 1990. Depuis, les projets d’e-gouvernement se multiplient dans le monde entier. En 2013, près de 449,5 milliards de dollars ont été investis dans ce domaine, dont 8 milliards dépensés pour le programme d’e-gouvernement aux États-Unis.

Et pourtant, malgré tous les efforts, l’adoption des systèmes d’e-gouvernement par les utilisateurs finaux – les citoyens – reste en deçà des attentes. En 2014, l’utilisation de ces outils est de 46 % dans l’UE (alors que l’objectif de l’Union européenne est d’atteindre de 50 % en 2015, inscrit à l’Agenda numérique européen).

De grosses différences entre les pays

Il est cependant à noter que ce taux d’utilisation varie beaucoup selon les pays. Par exemple : 80 % des citoyens des pays nordiques (Islande, Danemark, Norvège, Suède et Finlande) utilisent des services électroniques tandis que l’utilisation en l’Italie est de moins de 20 %. Au Royaume-Uni, 45 % des citoyens utilisent l’Internet pour interagir avec les autorités publiques (moins que la moyenne de l’OCDE qui est de 50 %). Ce constat est également vrai dans le cas des pays en développement. Alors que près de 41 % des citoyens interagissent avec les autorités publiques à travers l’Internet en Turquie, ce pourcentage tombe à 2 % en Égypte.

Ce faible taux d’utilisation des e-services montre que certaines catégories de la population sont laissées de côté. Ce qui est contraire aux principes véhiculés par les constitutions de ces différents États qui garantissent l’équité entre tous. Le problème est encore plus aigu dans les pays en voie de développement parce que les profils des citoyens dans ces pays sont souvent très différents. Une étude menée en Afrique à propos des non-utilisateurs montre que « les gens qui ne possèdent pas les compétences, y compris les personnes âgées, ainsi que ceux issus de milieux à faible revenu n’utilisent pas l’e-gouvernement ». Ceux qui délaissent ces services électroniques publics sont des personnes non qualifiés, des femmes au foyer, des chômeurs, des personnes dont le revenu du ménage mensuel est inférieur à la moyenne, les plus de 65 ans et les personnes handicapées.

Parias de l’électronique

Ces catégories restent marginalisées, ils sont comme des parias de l’électronique. Les gouvernements élus devraient rechercher ces personnes, et développer de nouveaux outils pour les atteindre. Pour cela, un nouveau concept d’e-gouvernement apparaît nécessaire.

En effet, le système actuel vise un citoyen idéal : toujours rationnel et technophile. Or, le gouvernement doit aider tous les citoyens à accéder à des services adaptés à leurs caractéristiques, leurs besoins et leurs désirs. On a donc besoin d’un nouveau concept de e-gouvernement qui concerne l’ensemble les catégories de citoyens, y compris les marginalisés. Il proposera ses services à tous, en fonction des besoins et désirs et non pas de la capacité à utiliser les outils TIC. Chaque pays devra avoir la capacité et la liberté de développer ou d’adapter une grande variété d’outils en fonction du contexte social, administratif et économique.

Faire appel à des intermédiaires

Parmi ce qui peut être mis en œuvre, la mise en place d’intermédiaires. Ils peuvent être définis comme toute organisation privée ou publique qui facilite la communication et la coordination entre les fournisseurs de services publics et les usagers. Au début, les promoteurs du e-gouvernement avaient proposé de se débarrasser de ces intermédiaires pour réduire les coûts et la corruption et ainsi éliminer les barrières pour optimiser les services électroniques.

Cependant, en 2014, une enquête des Nations-Unis sur l’e-gouvernement a proposé que l’on réintroduise des intermédiaires pour palier au défaut d’utilisation des e-services. Elle a évoqué la création de kiosques et veut encourager le partenariat entre les secteurs publics et privés, ou encore d’autres acteurs.

Classe d’informatique à Bamako, Mali.
Robin Taylor — Flickr, CC BY

Concernant les pays en développement, il est nécessaire d’introduire des intermédiaires humains pour combler les lacunes en matière de ressources sociales et techniques des citoyens. Dès 2001, un auteur comme Heeks avait proposé des modèles de ré-intermédiation dans les pays du sud qui insèrent un intermédiaire humain entre le citoyen et l’infrastructure numérique. Certains chercheurs soulignent également que les citoyens sont plus susceptibles de faire confiance à un intermédiaire qu’à leur propre gouvernement, reflétant une attitude de méfiance. Encore plus essentielle est la capacité des intermédiaires à répondre aux besoins locaux des citoyens.

L’exemple libanais

Exemple de ce processus de nouvel e-gouvernement au Liban. Pour toucher les citoyens et répondre aux besoins locaux, on peut faire appel à un intermédiaire potentiel, le mukhtar, ou l’élu du quartier. Il est le chef de la communauté locale et apparaît également comme le représentant des autorités centrales. Le mukhtar est élu pour six ans au suffrage universel direct, au scrutin uninominal majoritaire et ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés. Il facilite et traite (et signe) des procédures administratives pour les citoyens de son quartier tels que l’acte de naissance et de décès, l’attestation du lieu de résidence ainsi que les papiers administratifs nécessaires pour le passeport ou les listes des circonscriptions électorales.

Dans certains villages du Liban, il peut aller jusqu’à assurer des services administratifs. Une étude du PNUD menée en 2014 montre que 64 % des chefs locaux, susceptibles d’influencer leurs communautés sont des mukhtars.

En plus, le mukhtar est au courant des besoins des habitants de sa localité et de leurs différents types de problèmes. Souvent, les mukhtars sont appelés à résoudre des différends et des conflits locaux. L’importance de ces mukhtars n’a pas échappé au PNUD qui a essayé d’intégrer ces élus locaux à beaucoup de leurs initiatives. Toutes ces caractéristiques font des « mukhtars » de très bons candidats pour jouer ce rôle d’intermédiaires mentionné plus haut et nous proposons de les inclure dans toutes les futures initiatives de type e-gouvernement au Liban.

Le cas des mukhtars au Liban n’est pas un cas isolé. Il existe d’autres projets impliquant des intermédiaires pour essayer de relancer l’e-gouvernement. Certains pays tels que l’Arabie saoudite et la Jordanie ont déjà eu plusieurs initiatives en ce sens.

Devant ces résultats, les dirigeants gouvernementaux des pays en voie de développement vont-ils enfin admettre que l’e-gouvernement dans sa version classique est un échec, remettre en question ce concept et travailler à se rapprocher de tous leurs citoyens à travers d’autres outils ?

Rania Fakhoury, Chercheur associé au Laboratoire de Recherche en Entrepreneuriat, Finance et Audit (LaREFA), Université Libanaise

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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