Dans un Liban marqué par la défiance envers les institutions et les médias traditionnels, les réseaux sociaux s’imposent comme un vecteur incontournable de l’information et de l’expression citoyenne. « Selon une étude récente, 72 % des Libanais utilisent les réseaux sociaux comme principale source d’information. Les plateformes comme Twitter et TikTok sont devenues des terrains d’expression politique, permettant aux citoyens de dénoncer la corruption et de mobiliser l’opinion publique », rapporte un journal local. Cette montée en puissance redéfinit la communication politique dans un pays en crise, mais elle soulève aussi des questions brûlantes sur la désinformation et la manipulation, dans un contexte où la vérité devient un enjeu disputé.
Une rupture avec les médias traditionnels
La statistique est frappante : 72 % des Libanais se tournent vers les réseaux sociaux pour s’informer, reléguant journaux, télévisions et radios au second plan. Cette bascule s’explique par une méfiance croissante envers les médias traditionnels, souvent perçus comme des porte-voix des élites politiques ou des factions confessionnelles. Depuis la crise économique de 2019, marquée par une dévaluation de la livre de plus de 98 % et une pauvreté touchant 80 % de la population selon l’ONU, les chaînes historiques – MTV, LBCI ou Al-Jadeed – ont perdu en crédibilité, accusées de partialité ou de relayer des narratifs déconnectés des réalités quotidiennes.
À l’inverse, les plateformes numériques offrent une accessibilité immédiate et une diversité de voix. Twitter, avec ses débats en temps réel, et TikTok, avec ses vidéos courtes et virales, dominent ce paysage. « Les plateformes sont devenues des terrains d’expression politique », note l’étude, un phénomène amplifié par la pénétration d’Internet au Liban – environ 86 % de la population y avait accès en 2023, selon la Banque mondiale – malgré les coupures d’électricité chroniques. Les jeunes, qui représentent près de 40 % des 5 millions d’habitants et subissent un chômage dépassant 40 % (OIT, 2023), sont les moteurs de cette transition, utilisant ces outils pour contourner une censure implicite et donner un écho à leurs frustrations.
Une arme contre la corruption
L’exemple le plus marquant de cette influence remonte à la révolution d’octobre 2019, lorsque les hashtags comme #ثورة_17_تشرين (#Révolution17Octobre) et #كلن_يعني_كلن (#TousVeutDireTous) ont mobilisé des dizaines de milliers de Libanais dans les rues pour dénoncer la corruption endémique et l’incurie de la classe politique. Six ans plus tard, cette dynamique persiste. « Permettant aux citoyens de dénoncer la corruption », les réseaux sociaux servent de mégaphone pour exposer les scandales – détournements de fonds publics, contrats opaques, ou impunité des élites – qui échappent souvent aux radars des médias traditionnels.
Sur Twitter, des comptes influents, anonymes ou non, publient des fuites documentées – contrats douteux, preuves de blanchiment – tandis que TikTok démocratise le message avec des vidéos satiriques ou des témoignages bruts de citoyens ordinaires. En 2024, une campagne virale dénonçant les pénuries de carburant a forcé des responsables locaux à s’expliquer publiquement, preuve que ces plateformes peuvent générer une pression tangible. « Mobiliser l’opinion publique » n’est plus un slogan : c’est une réalité où un simple post peut déclencher des débats nationaux ou raviver des mouvements de contestation dans un pays où les institutions restent paralysées, comme en témoigne le vide présidentiel de plus de deux ans résolu en janvier 2025 avec l’élection de Joseph Aoun.
Une dynamique politique transformée
Cette évolution redessine la communication politique au Liban. Les partis traditionnels – Forces libanaises, Hezbollah, Courant patriotique libre – ont investi les réseaux sociaux pour contrer les critiques et rallier leurs bases, mais ils peinent à rivaliser avec la spontanéité des citoyens ordinaires. Les figures émergentes, comme les indépendants élus en 2022 issus de la société civile, doivent leur visibilité à des campagnes numériques low-cost, souvent plus efficaces que les coûteuses publicités télévisées d’antan. « Modifie la dynamique de la communication politique », cette bascule donne aux Libanais un pouvoir inédit pour façonner le discours public, loin des filtres des rédactions alignées.
Mais cette démocratisation a un revers. Les réseaux sociaux, bien qu’ils amplifient les voix marginalisées, ne garantissent pas la véracité des informations. « Pose des défis en matière de désinformation et de manipulation », prévient l’analyse, un risque d’autant plus aigu dans un Liban polarisé où les rumeurs prospèrent. En 2023, une fausse annonce sur Twitter, prétendant la démission du gouverneur de la Banque du Liban, avait semé la panique sur les marchés avant d’être démentie. Sur TikTok, des vidéos manipulées accusant des factions rivales de « trahison » circulent sans contrôle, exacerbant les tensions confessionnelles dans un pays où l’équilibre communautaire reste fragile.
Les dangers de la désinformation
La dépendance aux réseaux sociaux expose les Libanais à des campagnes orchestrées, internes ou externes. Des acteurs politiques locaux, mais aussi des puissances régionales – Iran, Arabie saoudite, ou même Israël – sont soupçonnés d’utiliser des bots et des trolls pour influencer l’opinion, notamment sur des sujets brûlants comme le conflit avec le Hezbollah ou les réformes économiques. Une étude de l’Université américaine de Beyrouth en 2022 estimait que 30 % des comptes Twitter actifs au Liban lors des élections législatives étaient automatisés, diffusant des messages biaisés ou provocateurs pour semer la discorde.
Les citoyens, faute d’éducation numérique généralisée, peinent à trier le vrai du faux. Avec seulement 10 % des écoles publiques offrant des cours d’alphabétisation numérique en 2023, selon l’UNICEF, la population reste vulnérable aux fake news. Cette faiblesse est d’autant plus critique que les réseaux sociaux, en l’absence de régulation, deviennent des champs de bataille idéologiques où la vérité est souvent sacrifiée au profit de l’émotion ou de la viralité.
Une révolution numérique à double tranchant
L’influence croissante des réseaux sociaux au Liban est une arme à double tranchant. Elle a libéré la parole dans un pays étouffé par la censure et la corruption, offrant une tribune aux sans-voix et un levier pour défier le statu quo. Mais elle expose aussi une société fragilisée à des manipulations qui pourraient approfondir les divisions. L’élection de Joseph Aoun, soutenue par des campagnes numériques pro-stabilité, montre le potentiel positif de ces outils, tout comme les 95 millions de dollars débloqués par les États-Unis pour l’armée illustrent un regain d’intérêt international. Pourtant, sans cadre pour contrer la désinformation, cette révolution risque de transformer l’opinion publique en un terrain miné, où la colère légitime des Libanais pourrait être détournée au profit d’agendas obscurs.