Samedi 6/6/2020 à grands renforts de mobilisation médiatique, des groupes de manifestants s’étaient donnés rendez-vous place des martyrs pour secouer le pourrissement en ravivant des revendications premièrement économiques (dénominateur commun), et aussi politiques contre les armes illégitimes du Hezbollah (contradiction avec l’état de droit) et pour le changement vagues ou spécifiques (élections anticipées mais aussi de régime, état laïc) pour remplacer le système sectaire actuel qui a mené à la faillite accélérée du pays.

Les parties au pouvoir ont bien essayé de décourager les citoyens de se joindre à la démonstration de force d’une quelconque opposition avec les outils usuels de menaces, d’avertissements, de l’intimidation préventive ou simplement des insinuations de trahison.

La suite du scenario était prévisible : des confrontations et des échanges à caractère confessionnel primaires ; le drame a été évité de justesse mais le message était passé (surtout sur la ligne symbolique de Chiyah- Ain ElRommaneh, et à l’entrée est du centre-ville). 

Carte

Mais, pratiquement, l’étau se resserre autour de la fédération des pouvoirs en place dont la situation n’est pas tenable.

Le FMI a entamé les réunions qui déboucheront sur une capitulation formelle qui imposera une restructuration de l’état libanais et par pratiquement au démembrement du système de clientélisme et du financement indirect sur lequel tout est bâti. Ce qui explique la panique (de surtout ceux qui étaient partis pour une régénération perpétuelle de leur mandats), et leur attitude défensive/agressive désorganisée et contradictoire. Mais le problème économique est bien réel et les discours primaires sont devenus monnaie non convertible.

Les états du golfe historiquement bienveillants et généreux pour renflouer les caisses exercent une pression formidable par leur retenue.

Les états européens (à leur tête la France historiquement concernée) s’abritent derrière les exigences du FMI qui reprennent entre autres les sujets de reformes associées à CEDRE et aux Paris I, II et III qui sont restés lettres mortes. Et ils ne peuvent plus ignorer les étalages d’opulence individuelles notoires des responsables libanais.

Les Etats Unis sont dans une guerre sans merci contre l’Iran partout où elle se trouve.  Et le projet de Caesar Syria Civilian Protection Act va leur amplifier les pressions sur Le Liban.

Et puis les interventions délibérées et assumées du Hizbollah dans plusieurs pays de la région, qui ont fini par aliéner leurs potentiels supports internationaux et neutraliser la cause de la résistance contre Israël et en ont fait la cible principale, sans autre forme de procès.

Pour répondre à ces défis : 

Le CPL, le plus grand groupe parlementaire libanais et allié indéfectible du Hizbollah persiste à utiliser le même langage dans une logique qui avait fait ses preuves pendant longtemps. Il est franchement déconnecté de la réalité.

Les partisans du président de la Chambre (l’autre constituante du duo chiite) qui considèrent leurs acquis non négociables et qui jouent tantôt sur leur légitimité électorale et tantôt enclenchent des attaques de paumés en service commandé pour couper court à quelconque discussion de fond.

Et bien sûr, le Hezbollah qui après le retrait syrien en 2005, est passé en première ligne, même politiquement, et est tombé dans le piège de la surenchère, des menaces vers l’intérieur, de l’intimidation qui confirment toutes les craintes à son égard et d’en faire objectivement la cible principale.

Constats

Le Liban est acculé à se plier aux exigences rationnelles du FMI comme tout autre pays en faillite sauf que sans ressources naturelles et actuellement sans crédibilité. Ceci se fera dans la douleur.

Le système politique post-Taef est tombé irréparablement même si ses funérailles n’ont pas encore été programmées. La problématique actuelle est uniquement la forme de son remplacement qui ne finit pas d’être articulée.

Dans les deux cas, la seule marge de manœuvre disponible est de ne pas trop pénaliser les moins protégés et de mitiger les dégâts.

Rupture

Depuis le 17 Octobre 2019, la cassure économique est devenue trop voyante et les simples citoyens laissés-pour-compte demandent des comptes aux responsables, sans exception. Ils remettent en question le système politique fastidieusement mis en place depuis 30 ans. Pour répondre à ce choc, les autorités sont passées par plusieurs approches (dans l’ordre et en parallèle) : le dénigrement, l’attaque, le déni, les insinuations de trahison, le spectre des groupes confessionnels outragés, la récupération des revendications (en essayant de les contenir au niveau strictement économique et social et de les vider de leur contenu). 

La crise du Corona virus a été un moment de répit de trois mois qui n’a malheureusement pas été bien utilisé pour au moins corriger l’approche et se remettre en question. Au lieu d’articuler un programme pratique avec des objectifs précis et des prises de décisions crédibles et constructives, les conseils de ministres supposés indépendants, s’offraient en spectacle lamentable pour décider (tenez-vous bien) du sort du barrage de Bisri ou de la troisième usine d’électricité à Selaata (lot de consolation) ou encore de la légalisation de la plantation de cannabis, histoire de faire passer encore des transactions lucratives ou populistes, sans oublier de se quereller sur les quotes-parts dans les nominations comme si de rien n’était. 

Les parties au pouvoir s’enfoncent et rendent inéluctable leur défaite cuisante. Toutefois, les libanais, dans leur sagesse durement acquise, savent très bien que quand une partie de leurs constituantes perd d’une façon humiliante, elle entraine tout un segment de partisans dans sa chute et crée un esprit revanchard et rancunier très destructeur à long terme, qui va aggraver les fractures et consolider le sectarisme primaire.

Aujourd’hui, les jeux sont faits et tergiverser, occulter ou craner ou essayer tous les bluffs du manuel ne changera en rien la direction des choses à venir. Au mieux, il fera durer le calvaire.

Leçons Utiles :

Nous devrons tirer des leçons utiles d’un exemple récent : en 1989, après un consensus international unique, la sortie de la violence aurait pu se passer en douceur, au lieu de se terminer en fracas et finir par créer un système monstrueux qui a fait perdre un temps précieux à tout un pays et entrainer un gâchis sans précèdent.  Mais l’entêtement incohérent et une lecture fausse de la situation réelle ont poussé à des confrontations évitables et absurdes qui ont résulté en une défaite sans ambiguïté pour les uns et dont les implications négatives se sont répercutées sur tout le monde, même sur les soi-disant vainqueurs.

Perspective :

Tous les libanais de bonne foi veulent passer à l’étape suivante de la structuration du pays ; ils veulent le faire en incluant tous les segments sur des bases saines (après avoir une bonne fois pour toutes arrêté de vouloir se rattacher à un quelconque pays/camp qui ne saurait les épanouir d’une façon ou d’une autre). Ils souhaitent sincèrement que les décideurs actuels comprennent objectivement où est l’intérêt ultime du pays et de ceux qui les suivent inconditionnellement.

Les dirigeants chiites (aujourd’hui mais hier maronites ou sunnites) et leurs alliés sont prisonniers de leur excédent de force relative, de leur dialectique, et de l’illusion qu’ils peuvent encore maintenir le modèle actuel et de retourner le courant. Mais ils ne proposent pas de plan de sortie de crise crédible qui pourrait inclure et rallier les autres constituantes du pays.

Est-ce que, directement ou indirectement, ces dirigeants sauraient enfin, dans un moment de lucidité prendre des initiatives braves de poser le problème objectivement et de trouver des solutions équilibrées et soutenables pour amorcer un atterrissage collectif en douceur ?

Non, il n’est pas trop tard pour bien faire. Mais le facteur temps joue contre une solution bien réfléchie.

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