samedi, novembre 15, 2025

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Syrie–Russie : la visite du nouveau dirigeant syrien à Moscou, entre quête de reconnaissance, menaces turques et israéliennes, et retombées pour le Liban

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Une séquence calibrée pour la reconnaissance

La visite du nouveau dirigeant syrien à Moscou s’inscrit dans une séquence minutieusement calibrée pour obtenir des gages de reconnaissance internationale. À son arrivée, le chef de l’exécutif syrien a mis en avant trois priorités : « stabiliser l’appareil d’État », « sécuriser les frontières » et « rétablir des flux économiques de base ». Le Kremlin a répondu en réaffirmant son « soutien à l’intégrité territoriale de la Syrie » et sa disponibilité à « accompagner les étapes de la normalisation institutionnelle ». La délégation syrienne a présenté un dossier technique couvrant la sécurité des axes, la remise en route de corridors logistiques, l’approvisionnement en blé, carburants et médicaments, ainsi qu’un calendrier de réformes administratives présenté comme un levier de confiance à l’égard des bailleurs neutres.

Le message politique de Moscou

Côté russe, le message a été double : signaler la continuité de l’appui stratégique tout en encourageant Damas à adopter des gestes « lisibles » à l’adresse des voisins et des organisations internationales. Le président russe a insisté sur des « mécanismes pratiques » : sécurisation d’itinéraires humanitaires, coordination avec les agences onusiennes, et garanties pour les opérateurs économiques appelés à intervenir dans la remise en état de réseaux de base (électricité, eau, santé). À huis clos, des interlocuteurs russes ont évoqué la nécessité de « réduire les irritants » avec la Turquie au Nord et d’éviter l’engrenage provoqué par les frappes israéliennes au Sud-Ouest, en privilégiant un format de déconfliction renforcé.

Ankara, la ligne rouge au Nord

La dimension turque a dominé les échanges sur la sécurité. D’un côté, Ankara maintient sa doctrine d’« opérations préventives » contre les groupes qu’elle classe terroristes le long de la bande frontalière ; de l’autre, Damas exige la restitution graduelle de postes syriens sur des points clefs et le retrait de milices supplétives. Dans le langage diplomatique, les deux positions ont été résumées par une formule déjà connue : « pas d’escalade, mais pas de recul stratégique ». La délégation syrienne a martelé qu’« aucune solution durable n’est possible sans une désescalade au Nord », tandis que Moscou a plaidé pour des « arrangements tactiques » : patrouilles coordonnées, zones tampons recentrées et circuits de plainte opérationnels pour limiter les frictions autour des axes M4 et M5.

Israël, frappes et dissuasion

Au Sud, la série d’attaques attribuées à Israël contre des cibles syriennes ou alliées rappelle la fragilité de l’équilibre. Dans les entretiens, la partie syrienne a parlé d’« actes d’agression » et de « violations répétées de la souveraineté ». La réponse russe a privilégié une rhétorique de retenue, appelant à « la prévention de l’escalade régionale ». Damas a présenté des données sur les dégâts infligés à des infrastructures logistiques et à des dépôts, en insistant sur le coût économique et symbolique de ces frappes. Moscou a encouragé une « documentation systématique » des incidents et le recours à des voies diplomatiques pour éviter le piège d’une réponse qui ouvrirait un cycle incontrôlé.

L’agenda économique et humanitaire

Au-delà de la sécurité, l’essentiel des discussions a porté sur l’économie de survie. La Syrie a demandé des facilités pour des cargaisons de céréales, médicaments et équipements médicaux, ainsi que des lignes de crédit limitées destinées aux importations vitales. « Il faut sauver la saison et éviter une nouvelle vague d’exode », a résumé un membre de la délégation, évoquant la flambée des prix et les coupures d’électricité. Moscou a répondu par des promesses ciblées : augmentation des volumes de blé subventionné, fourniture d’intrants pharmaceutiques via des partenaires, et assistance technique sur des centrales électriques à faible capacité. Ces engagements restent conditionnés à des garde-fous de traçabilité afin d’éviter la captation par des réseaux parallèles.

La quête de reconnaissance : gestes attendus

Pour transformer l’accueil protocolaire en reconnaissance concrète, la feuille de route évoquée à Moscou comporte des « gestes de gouvernance » : procédures de contrôle aux frontières, lutte contre les trafics (captagon, carburants), mise en place de référents administratifs dans les gouvernorats clés et accès sécurisé pour des missions d’évaluation humanitaire. L’entourage du dirigeant syrien assure que « ces signaux ne visent pas un rebranding politique, mais la réactivation minimale d’un État fonctionnel ». Les partenaires extérieurs demandent, en contrepartie, la publication d’instructions claires aux services de sécurité et l’ouverture de canaux avec les municipalités pour garantir des « zones de continuité » où l’aide puisse circuler.

Effets d’onde au Liban : sécurité frontalière

La visite à Moscou a des effets immédiats sur le Liban. Le premier levier concerne la frontière Nord et la Békaa. Les autorités libanaises redoutent que toute opération turque élargie ou tout contre-coup syrien ne pousse de nouveaux groupes à franchir la frontière. Des responsables sécuritaires, en coordination avec la FINUL sur le plan de la méthode, ont renforcé la surveillance de passages non officiels et la traque des réseaux de trafic. « Le Liban ne peut absorber une nouvelle pression aux points de passage », a résumé un cadre sécuritaire, évoquant la nécessité d’une « vigilance quotidienne » et de mécanismes d’alerte avec les postes syriens.

Effets d’onde au Liban : économie et contrebande

Sur le plan économique, Beyrouth suit de près les promesses russes à Damas, car toute amélioration de l’offre alimentaire en Syrie peut réduire l’attractivité de la contrebande transfrontalière, notamment sur les farines et carburants. À l’inverse, si les flux promis tardent, les circuits illicites risquent d’augmenter, avec un impact sur les prix au Nord et dans la Békaa. Des acteurs économiques libanais s’inquiètent de « distorsions de marché » quand des produits subventionnés en Syrie se retrouvent dans des circuits parallèles côté libanais, ou l’inverse. Des réunions techniques ont été tenues pour synchroniser, autant que possible, contrôles et échanges d’informations entre administrations voisines.

Effets d’onde au Liban : réfugiés et retours

La dimension la plus sensible demeure celle des réfugiés syriens. À Beyrouth, la priorité affichée est la sécurité des retours « volontaires et documentés ». La visite à Moscou nourrit l’idée d’un cadre de garanties : listes nominatives, corridors surveillés, et points de contact pour signaler tout incident. « Sans un dispositif vérifiable, nous ne pouvons pas encourager des mouvements de population qui exposeraient les familles », souligne un responsable libanais. La Russie se pose en facilitateur, mais les ONG rappellent la nécessité d’un monitoring indépendant. Dans ce dossier, la marge de manœuvre libanaise reste dépendante d’engagements concrets côté syrien, et de l’aptitude de Damas à imposer des instructions claires à ses services.

Posture israélienne et calculs libanais

La poursuite de frappes israéliennes en territoire syrien pèse sur la scène libanaise, car chaque incident soulève la crainte de dérapages autour de la frontière Sud. Les décideurs libanais insistent sur la « compartimentation » des dossiers : tenir la ligne de désescalade au Sud, maintenir la coordination via les mécanismes existants, et éviter que les ripostes syriennes ou alliées ne se traduisent par un effet domino. Un haut responsable résume la doctrine : « Nous ne voulons pas que la carte syrienne se joue via le Liban. »

Le facteur turc vu de Beyrouth

Ankara demeure la variable clé du Nord syrien. Pour Beyrouth, une stabilisation partielle des arrangements turco-russes réduirait la pression sur les passages illégaux et la contrebande. Inversement, une opération turque d’ampleur pousserait de nouveaux flux vers la Békaa et Akkar. Les services libanais, déjà sous contrainte de moyens, cherchent à renforcer la présence dissuasive là où le relief rend la surveillance difficile. Des élus de la frontière rapportent une « fatigue sociale » dans les communes, entre flambée des loyers, pression sur l’emploi agricole et tensions autour des services de base.

Circuits énergétiques et arbitrages techniques

La relance de chantiers énergétiques en Syrie, si elle se concrétise, pourrait repositionner les circuits d’importation et de transit. Des experts libanais évoquent des « fenêtres d’opportunité limitées » pour mutualiser certaines opérations logistiques (pièces de rechange, services techniques), sous réserve de strictes conformités réglementaires. Dans l’immédiat, l’hypothèse la plus pragmatique reste celle d’un « lissage » des risques d’approvisionnement côté syrien, afin de contenir l’appel d’air de la contrebande vers le Liban.

Dialogue sécuritaire de voisinage

La visite a aussi relancé l’idée d’un dialogue sécuritaire de voisinage, sous parrainage russe. L’objectif serait d’aligner des protocoles minimaux sur la capture des trafics et les passages illégaux, avec des points focaux au niveau des gouvernorats. Des praticiens libanais plaident pour des « accords techniques à petite échelle » : échange d’alertes, synchronisation des contrôles à dates variables, et mécanismes de remise de personnes recherchées selon un canevas préétabli. Ces instruments, modestes, peuvent produire des effets cumulatifs s’ils sont tenus dans la durée.

Peu de leviers, beaucoup de gestion

Du point de vue libanais, la marge d’action sur la grande équation syrienne est limitée. Le rapport de forces régional ne se décide pas à Beyrouth, et les choix turcs et israéliens pèsent davantage que toute initiative locale. Les décideurs libanais misent donc sur la « gestion » : compartimenter les dossiers, documenter les incidents, tenir la frontière Sud et durcir, autant que possible, la lutte contre la contrebande au Nord. « Nous n’avons aucun moyen de pression direct sur Ankara ou Tel-Aviv ; notre levier, c’est la prévisibilité et la coordination », reconnaît un responsable.

La position russe et ses conditions

La Russie, pour sa part, lie son appui à des gages de gouvernance. Elle attend de Damas qu’il démontre sa capacité à exécuter des engagements simples : sécuriser des tronçons routiers, garantir la neutralité d’installations civiles, et fournir des garanties écrites aux acteurs humanitaires. Ce « réalisme conditionnel » vise à produire des résultats tangibles rapidement, afin de justifier la poursuite d’un soutien en période d’incertitude budgétaire à Moscou. Pour Beyrouth, cette conditionnalité est perçue comme une opportunité : si Damas stabilise des zones, la pression diminue côté libanais.

Impact politique au Liban

La lecture de la visite varie selon les blocs. Les formations qui privilégient la « normalisation de voisinage » y voient un pas vers une gestion plus prévisible de la frontière et une éventuelle coopération technique contre les trafics. Les partis attachés à la ligne dure rappellent que « rien n’a changé sur le fond » et que « la Syrie reste un théâtre d’affrontements par procuration », rendant illusoire tout pari de court terme. Au centre, une position pragmatique s’impose : « tout ce qui réduit l’incertitude » est accueilli favorablement, à condition de ne pas importer au Liban les oscillations syriennes.

Le test des prochaines semaines

Les effets concrets de la visite se mesureront sur trois indicateurs : le rythme des frappes au Sud syrien et leur retentissement régional ; la stabilité relative au Nord, conditionnée aux choix d’Ankara ; et la réalité des livraisons annoncées (blé, médicaments, intrants) qui influencent, de façon immédiate, les flux illicites transfrontaliers. À Beyrouth, l’appareil sécuritaire et économique se prépare à des scénarios contradictoires, oscillant entre « détente relative » et « friction persistante ».

Entre souveraineté syrienne et résilience libanaise

Pour Damas, la visite à Moscou est un acte de souveraineté, une manière de montrer que l’État se tient et qu’il dispose d’alliés. Pour Beyrouth, l’enjeu est plus prosaïque : réduire la pression aux frontières, endiguer les trafics et éviter des chocs d’offre sur des marchés déjà fragiles. Dans cet entre-deux, le Liban ne peut qu’additionner des micro-dispositifs de prévention et de coordination, sans prétendre infléchir la trajectoire syrienne. « On gère, on compartimente, on évite la casse », résume un haut fonctionnaire, conscient que l’essentiel des décisions se prend ailleurs.

Une équation régionale qui dépasse Beyrouth

La visite du dirigeant syrien à Moscou rappelle que les clés de la stabilisation demeurent largement externes. La Turquie fixe la température du Nord syrien, Israël module la pression militaire au Sud, la Russie arbitre les priorités sécuritaires et humanitaires selon ses propres contraintes, et les canaux internationaux conditionnent l’aide à des garde-fous de gouvernance. Le Liban, en première ligne des contrecoups, n’a d’autre choix que de rester en mode « résilience », en espérant que les promesses d’assistance à Damas produisent, par effet ricochet, un peu moins de pression sur ses frontières, ses marchés et ses services publics.

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