La Banque du Liban (BDL) a publié en mars 2025 des résultats surprenants sur la balance des paiements (BoP), affichant un excédent cumulé de 5 368,3 millions USD, en opposition directe avec le déficit de 1 608,5 millions USDenregistré en mars 2024. Cette amélioration nominale considérable, soit un différentiel annuel de plus de 6,9 milliards USD, constitue une première dans les comptes extérieurs libanais depuis plus d’une décennie. Pourtant, cette apparente embellie masque des réalités structurelles fragiles. L’origine de cette hausse n’est ni un rebond de la production nationale, ni une reprise durable des exportations, mais essentiellement une revalorisation de l’or monétaire comptabilisé parmi les actifs extérieurs de la banque centrale.
Une lecture technique des données de la BDL
L’analyse rigoureuse impose de replacer cet excédent dans son cadre méthodologique. La BDL, depuis début 2024, applique les normes recommandées par le Fonds Monétaire International (FMI), notamment le BPM6 (Balance of Payments Manual, 6e édition, §6.64) et le Manuel des Statistiques Monétaires et Financières (MFSM-2016). En conformité avec la décision 37/20/24 du Conseil central de la BDL (13 septembre 2024), la définition des actifs extérieurs nets (Net Foreign Assets, NFA) a été modifiée. Sont désormais inclus : l’or monétaire (dont la valorisation dépend des marchés internationaux), les titres non résidents détenus par la BDL, ainsi que les devises et dépôts auprès de banques et institutions internationales. À l’inverse, sont exclus les euro-obligations souveraines libanaises et les prêts en devises aux banques locales. Ce glissement comptable entraîne mécaniquement une amélioration des réserves, sans modification réelle de la position extérieure nette du pays. La valorisation de l’or, dans un contexte de tensions géopolitiques mondiales, a amplifié cet effet, sans qu’aucun flux réel de capitaux ne vienne soutenir cette hausse.
Analyse des contributions à l’excédent
L’essentiel de la progression est attribué à la BDL elle-même. En cumul sur le premier trimestre 2025, les actifs extérieurs nets de la banque centrale ont crû de 4 828,1 millions USD, contre 540,3 millions USD pour l’ensemble des banques commerciales du pays. En mars 2025 uniquement, la BDL a enregistré une variation positive de 2 150 millions USD, contre 90,9 millions USD pour le secteur bancaire privé.
Institution | Variation NFA (mensuelle) | Variation NFA (cumulée) |
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Banque du Liban | +2 150 M USD | +4 828,1 M USD |
Banques commerciales | +90,9 M USD | +540,3 M USD |
Lecture : La dynamique de l’excédent repose donc quasi exclusivement sur des mouvements comptables au sein de la banque centrale. L’écart de performance entre le secteur public monétaire et les banques commerciales révèle une asymétrie préoccupante : les agents économiques privés restent en retrait, signe d’une confiance encore absente des marchés vis-à-vis de l’économie réelle libanaise. Cette concentration de l’excédent sur un seul acteur accentue le risque de volatilité si les conditions de marché venaient à évoluer.
Décomposition du bilan extérieur bancaire
L’évolution mensuelle du bilan des banques commerciales en mars 2025 illustre une recomposition des passifs et actifs liés aux non-résidents.
Poste | Variation mars 2025 (M USD) | Niveau total (M USD) |
---|---|---|
Dépôts des non-résidents | +62,83 | 21 000 |
Passifs du secteur financier non-résident | +43,96 | 2 580 |
Créances sur secteur financier non-résident | +30,7 | 5 070 |
Portefeuille de titres non-résidents | +220,1 | 1 120 |
Autres actifs extérieurs | -39,01 | 2 420 |
Lecture : La progression des dépôts non-résidents est modérée, à peine 62,8 millions USD sur un stock total de 21 milliards USD, ce qui reste loin des niveaux de 2017 où ces dépôts dépassaient les 35 milliards USD. L’augmentation de 220 millions USD sur les portefeuilles de titres non-résidents suggère un positionnement de court terme plus spéculatif que stratégique. En parallèle, la baisse des « autres actifs extérieurs » pourrait refléter une sortie de devises ou un recentrage sur des actifs plus liquides. Aucun de ces indicateurs ne permet de conclure à un retour de la confiance des investisseurs internationaux dans la structure bancaire libanaise.
Une amélioration nominale, mais structurellement fragile
Trois arguments majeurs limitent l’interprétation optimiste de ces chiffres. Premièrement, il s’agit essentiellement d’un effet prix (valorisation de l’or), et non d’un effet flux (entrées nettes de capitaux). Deuxièmement, les composantes productives du compte courant – balance commerciale, revenus de transferts, investissements directs étrangers – ne montrent aucune amélioration significative. Troisièmement, la dépendance à un actif unique (l’or) rend le système vulnérable à une correction brutale en cas d’inversion du marché des métaux précieux. Dans ce contexte, qualifier cet excédent de « redressement économique » relève plus d’une présentation optimiste que d’une réalité mesurable.
Données historiques : 2019–2025
Année | Solde cumulé (mars, en M USD) |
---|---|
2019 | -400 |
2020 | -1 200 |
2021 | -2 000 |
2022 | -2 500 |
2023 | -1 800 |
2024 | -1 608,5 |
2025 | +5 368,3 |
Lecture : L’évolution entre mars 2024 et mars 2025 constitue un tournant arithmétique sans précédent : une amélioration de près de 7 milliards USD en une année. Toutefois, ce redressement n’est pas corrélé à un changement structurel de l’économie réelle. Aucun secteur productif n’a été restructuré, aucune réforme budgétaire majeure n’a été finalisée, et les négociations avec le FMI restent bloquées sur les conditions de restructuration de la dette bancaire. Ce contexte empêche de qualifier cette évolution comme un signal de reprise macroéconomique.
Institutions clés
Banque du Liban (BDL)
La BDL est la banque centrale de la République libanaise. Elle supervise la politique monétaire, les réserves de change et la stabilité des prix. En 2023, elle disposait de 10,3 milliards USD de réserves brutes, dont 17 % sous forme d’or monétaire. Sa gouvernance a été critiquée par le FMI pour son manque de transparence comptable.
Fonds Monétaire International (FMI)
Le FMI est une organisation intergouvernementale réunissant 190 pays membres. Il intervient au Liban dans le cadre de missions techniques, avec pour objectif d’orienter une réforme du système bancaire, une restructuration de la dette et un contrôle des déficits jumeaux (fiscal et externe). Aucun accord formel n’est signé à ce jour.