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Beyrouth : l’immobilier en chute libre dans une ville en crise

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Le marché immobilier libanais, jadis un pilier de l’économie nationale et une vitrine de l’attractivité de Beyrouth, traverse une période de turbulence sans précédent. La crise économique entamée en 2019, amplifiée par l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth en août 2020 et les incertitudes politiques persistantes, a entraîné une chute spectaculaire des prix des biens. Les investisseurs étrangers, qui alimentaient autrefois le secteur, se détournent, effrayés par l’instabilité. Pendant ce temps, certains promoteurs tentent de séduire les expatriés et la diaspora libanaise avec des offres alléchantes, tandis que la reconstruction post-explosion stagne, faute de financements suffisants. Entre désillusion et espoirs fragiles, le secteur immobilier beyrouthin reflète un pays en quête de stabilité.

Une chute brutale des prix des biens

Avant 2019, Beyrouth était un marché immobilier florissant, porté par une demande soutenue des investisseurs étrangers, notamment du Golfe, et de la diaspora libanaise. Les prix moyens dans la capitale atteignaient 4300 USD par mètre carré, avec des quartiers prisés comme Achrafieh et Hamra frôlant les 4500 USD/m². Mais la crise économique, marquée par la dévaluation de la livre libanaise de plus de 90 % et une crise bancaire qui a gelé les dépôts, a renversé la donne. En 2024, les prix moyens à Beyrouth sont tombés à 2800 USD/m², soit une baisse d’environ 35 % en cinq ans. Achrafieh affiche désormais 3500 USD/m², Hamra 3000 USD/m², et Mar Mikhaël, autrefois un quartier branché, oscille autour de 2600 USD/m².

Cette dégringolade est encore plus marquée dans les zones touchées par l’explosion du port. À Gemmayzeh, les prix affichés restent à 4000 USD/m², mais les transactions réelles se concluent autour de 2400 USD/m², soit une chute de 40 %. Cette correction reflète une réalité brutale : la crise a érodé la confiance des acheteurs, et l’absence de financements bancaires a tari la demande locale. En 2022, la valeur totale des ventes immobilières a atteint 21,7 trillions de livres, en baisse de 7,6 % par rapport à 2021, avec une diminution de 26,2 % du nombre de transactions. Le retour sur investissement (ROI) à Beyrouth, qui a grimpé à 25 ans en 2024, signale un marché devenu peu rentable et risqué.

Les investisseurs étrangers en retrait

Les investisseurs étrangers, notamment ceux du Golfe, ont longtemps été un moteur du marché beyrouthin. Entre 2008 et 2011, leur appétit pour des appartements haut de gamme à Achrafieh ou des projets commerciaux au centre-ville avait dopé les prix. Mais depuis 2019, la combinaison de l’instabilité politique, de la crise économique et des tensions régionales – comme la guerre en Syrie ou la crise diplomatique avec le Qatar – a refroidi leur enthousiasme. En décembre 2020, un professionnel du secteur notait que ces investisseurs ne franchiraient plus le seuil du marché libanais tant que la situation ne se stabiliserait pas.

La menace d’une inclusion du Liban dans la liste grise du Groupe d’Action Financière (GAFI), évoquée en 2024, accentue cette méfiance. Les acheteurs du Golfe, qui préféraient Beyrouth pour son climat et son potentiel touristique, se tournent désormais vers des marchés plus sûrs comme Nice ou Miami, où les prix, bien que plus élevés, offrent une stabilité politique et économique. « Les ressortissants des pays du Golfe ne vont pas mettre de l’argent dans un pays sous la botte du Hezbollah », observait un analyste en juillet 2023, soulignant également l’état déplorable des infrastructures – routes délabrées, déchets omniprésents – comme un frein supplémentaire.

Des offres attractives pour la diaspora

Face à ce désintérêt, certains promoteurs tentent de relancer le secteur en ciblant les expatriés et la diaspora libanaise, qui représente une manne potentielle de « dollars frais » (espèces ou transferts de l’étranger). En 2022, la demande pour des appartements entre 200 000 et 300 000 USD était qualifiée d’« exponentielle » dans des quartiers comme Achrafieh ou Ras Beyrouth, portée par des Libanais possédant des liquidités hors du système bancaire local, en crise depuis 2019. Ces acheteurs, souvent des expatriés vivant en Afrique ou dans le Golfe, cherchent un pied-à-terre ou un placement à long terme.

Pour séduire cette clientèle, les prix ont été ajustés à la baisse. Un appartement de 150 m² avec balcon, visité en janvier 2022, était proposé à 1400 USD/m², deux fois moins cher qu’avant la crise. Dans le luxe, des transactions entre 1 et 4 millions USD restent actives, notamment à Tabaris ou Furn el-Hayek, où les acheteurs fortunés recherchent des vues dégagées et des commodités comme l’électricité 24h/24. « Ils savent que c’est le bon moment d’acheter », notait un agent immobilier en mai 2022. Cependant, l’offre reste limitée : les bons appartements sont rares, et les propriétaires ayant acheté entre 2020 et 2021 avec des chèques bancaires hésitent à vendre à perte en dollars frais.

Malgré ces efforts, la diaspora reste prudente. En juillet 2023, un commentaire sur les réseaux sociaux soulignait : « Les Libanais de la diaspora n’ont pas les moyens ni l’envie d’investir à fond perdu au Liban. » Beaucoup ont vu leurs épargnes gelées dans les banques libanaises, et les crises économiques dans leurs pays d’accueil – dépréciation des monnaies en Afrique, ralentissement au Golfe – limitent leur capacité d’investissement.

La reconstruction du port en panne sèche

L’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, qui a tué plus de 180 personnes et dévasté des quartiers entiers comme Gemmayzeh et Mar Mikhaël, a porté un coup supplémentaire au marché immobilier. Les dégâts, estimés entre 3 et 5 milliards USD, ont ravagé des zones autrefois prisées par les investisseurs et les jeunes professionnels. Pourtant, près de cinq ans plus tard, la reconstruction reste au point mort, freinée par un manque criant de financements.

Dès août 2020, l’UNESCO annonçait des conférences internationales pour collecter des fonds pour le patrimoine architectural beyrouthin, mais les résultats concrets tardent. En août 2021, une aide internationale de 370 millions USD était promise, mais conditionnée à des réformes que les dirigeants libanais, paralysés par des luttes confessionnelles, n’ont pas mises en œuvre. Le port, principal point d’entrée des marchandises et du blé (90 % importé), reste partiellement opérationnel, accentuant l’inflation et la pénurie. « La destruction du port devrait aggraver le marasme économique », prévoyait un analyste en août 2020, une prophétie qui s’est réalisée.

Dans les quartiers sinistrés, les « requins de l’immobilier » ont flairé une opportunité dès 2020, proposant des rachats à prix cassés. Un résident de Gemmayzeh racontait en août 2020 avoir reçu une offre pour sa maison endommagée alors qu’il sortait de chirurgie. Des mesures temporaires, comme l’interdiction de vendre des bâtiments historiques sans l’accord du ministère de la Culture, ont freiné ces transactions, mais les propriétaires, incapables de financer les réparations (parfois 200 000 USD), restent vulnérables.

Un secteur à deux vitesses

Le marché beyrouthin évolue désormais à deux vitesses. Le haut de gamme résiste mieux : en mai 2022, des ventes entre 1 et 4 millions USD à Beirut Terraces ou Abdel Wahab 618 montraient une demande persistante des Libanais fortunés et expatriés. Mais le marché moyen et bas de gamme s’effondre. Les promoteurs, dont beaucoup ont fait faillite depuis 2019, abandonnent des chantiers, laissant des acheteurs sur plan sans recours. En 2021, un rapport notait que les prix avaient chuté de 50 à 60 % par rapport à 2019, un hôtel à Ras Beyrouth se vendant à 1100 USD/m² contre 3200 USD/m² deux ans plus tôt.

Les loyers commerciaux, dopés par la restauration à Badaro ou Mar Mikhaël en 2023, contrastent avec la stagnation des ventes foncières. Une parcelle à Ras Beyrouth passait de 12 à 10,8 millions USD en six mois en 2023, signe d’un ajustement forcé des propriétaires. Mais la méfiance reste : « L’immobilier à Beyrouth, c’est un marché de mensonges », déplorait un utilisateur en juillet 2023, reflétant une défiance généralisée.

Perspectives incertaines

Le marché immobilier beyrouthin ne se relèvera pas sans une stabilisation politique et économique. Les réformes exigées par le FMI – transparence, lutte contre la corruption – restent lettre morte, bloquant l’aide structurelle. La diaspora pourrait être une bouée de sauvetage, mais son retour dépend d’un regain de confiance. Quant à la reconstruction du port, elle nécessitera des investissements massifs que ni l’État ni les donateurs privés ne semblent prêts à engager. En attendant, Beyrouth oscille entre un passé glorieux et un présent de désolation immobilière.

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Newsdesk Libnanews
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