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Dévaluation ratée : pourquoi le Liban ne peut pas sauver ses exportations

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Dollars partout : une économie qui échappe à la livre

Depuis la crise de 2019, le Liban a vu la livre libanaise s’effondrer, passant d’une parité fixe de 1500 livres libanaises/USD à plus de 100 000 livres libanaises/USD au marché noir en 2025. En théorie, cette dévaluation massive aurait dû relancer les exportations, un mécanisme connu sous le nom de dévaluation compétitive, en rendant les produits libanais plus attractifs à l’international. Pourtant, les exportations stagnent à 3 milliards USD (2023), loin de compenser un déficit commercial de 14,5 milliards USD. Pourquoi cet échec cuisant ? La dollarisation envahissante de l’économie, où le dollar domine les transactions quotidiennes, neutralise tout avantage compétitif. Pire encore, l’État lui-même a dollarisé des services essentiels comme les télécommunications, l’électricité et l’eau, renforçant cette dépendance au billet vert et sapant la livre libanaise.

De la théorie à la ruine : le mirage de la compétitivité

La dévaluation compétitive repose sur une logique limpide : une monnaie affaiblie réduit le prix des exportations à l’étranger et renchérit les importations, stimulant ainsi la production locale. Avant 2019, la livre libanaise, surévaluée à 1500 livres libanaises/USD, rendait les produits libanais – textiles artisanaux, huile d’olive, vins de la Bekaa – trop coûteux pour rivaliser sur les marchés mondiaux. Les importations, en revanche, dominaient (80-90 % des biens consommés), financées par les remises de la diaspora et les dépôts bancaires. La chute vertigineuse de la livre libanaise aurait dû inverser cette dynamique, offrant une opportunité en or à des secteurs exportateurs comme l’agroalimentaire ou la petite industrie.

Mais la réalité libanaise défie cette théorie. La dollarisation, accélérée par la crise bancaire de 2019 et le gel des dépôts (70 milliards USD de pertes estimées), a transformé le pays en une économie de facto en dollars. Les entreprises fixent leurs prix en USD, les salaires des employés qualifiés se négocient en billets verts, et même les ménages paient leurs générateurs privés en dollars via des circuits informels. Cette omniprésence du dollar annule l’effet attendu de la dévaluation : les coûts de production (carburant importé, machines, matières premières) restent indexés sur une monnaie forte, empêchant toute baisse significative des prix à l’exportation. Ajoutons à cela un coup de grâce porté par l’État : des services publics clés – télécommunications (factures de Ogero), électricité (EDL), eau – sont désormais tarifés en dollars, officialisant la marginalisation de la livre libanaise et rendant illusoire tout avantage compétitif.

Milliards envolés : un potentiel exportateur saboté

Imaginons un scénario idéal. Avec une livre libanaise dévaluée à un taux réaliste de 20 000-30 000 livres libanaises/USD (reflétant un PIB par habitant réel d’environ 5000 USD), les exportations auraient pu bondir. En 2023, elles s’élevaient à 3 milliards USD. Une dévaluation compétitive efficace aurait pu les augmenter de 50 % (hypothèse prudente), atteignant 4,5 milliards USD, réduisant le déficit commercial de 14,5 à 13 milliards USD. Sur cinq ans, cela représenterait un gain cumulé de 7,5 milliards USD, un bol d’air vital pour une économie exsangue. Mais ce calcul s’effondre face à la dollarisation. Une usine de transformation de fruits à Zahlé, par exemple, voit ses coûts d’énergie (générateurs privés) et d’emballages (importés) rester en dollars, tandis que ses ouvriers exigent des salaires partiellement dollarisés. Résultat : son prix en USD sur le marché international ne baisse pas, et elle perd toute compétitivité.

Pire, les infrastructures nécessaires à l’exportation sont en ruines. Le port de Beyrouth, détruit en 2020, fonctionne au ralenti, augmentant les coûts logistiques. L’électricité publique, limitée à 2-4 heures par jour, force les entreprises à dépendre de générateurs coûteux, payés en dollars. Même avec une livre libanaise faible, ces goulets d’étranglement – aggravés par une corruption endémique – rendent toute relance exportatrice chimérique.

Le paradoxe libanais : une dévaluation qui profite à personne

Pourquoi la dévaluation compétitive, qui a sauvé des pays comme la Turquie (exportations passées de 168 à 254 milliards USD entre 2018 et 2022 grâce à une lire dévaluée), échoue-t-elle au Liban ? La dollarisation en est la clé. Quand les prix intérieurs – des loyers aux intrants industriels – sont fixés en dollars, la faiblesse de la livre libanaise devient un détail insignifiant. L’État aggrave ce paradoxe en dollarisant ses propres services. Depuis 2022, les factures d’électricité (EDL) et d’eau sont indexées sur le dollar au taux du marché noir, tandis que les télécoms (Ogero) exigent des paiements en USD pour les abonnements internet. Cette politique, censée stabiliser les recettes publiques, enterre la livre libanaise et empêche toute réorientation vers une économie productive. Les exportateurs, coincés entre des coûts dollarisés et une monnaie nationale moribonde, ne peuvent ni réduire leurs prix ni concurrencer des rivaux régionaux comme la Jordanie ou l’Égypte.

La diaspora, avec ses remises tombant à 5,7 milliards USD en 2025, illustre aussi ce gâchis. Ces fonds, autrefois stérilisés par les banques pour maintenir la parité à 1500 livres libanaises/USD, servent aujourd’hui à acheter des biens importés en dollars (nourriture, carburant), pas à financer des usines ou des fermes. La corruption et l’absence de gouvernance – aucun gouvernement stable depuis 2021 – achèvent de torpiller toute tentative de relance. Là où la Turquie a investi dans ses infrastructures et ses PME, le Liban reste paralysé, victime d’un système rongé par ses élites.

Sauver le Liban : contourner la dollarisation ou périr

Pour transformer la dévaluation en atout, le Liban doit briser la spirale de la dollarisation et revitaliser son économie réelle :

  • Réintroduire la livre libanaise : Fixer un taux stable (20 000-30 000 livres libanaises/USD) et obliger son usage dans les transactions internes (salaires, services publics) via des subventions et des sanctions contre les paiements dollarisés informels. Cela réduirait les coûts en monnaie locale et rendrait les exportations viables.
  • Investir les remises hors banques : Créer un fonds souverain diaspora (1,1-1,7 milliard USD/an), géré via des fintechs internationales, pour financer des zones franches exportatrices à Tripoli et Saïda (1 milliard USD), visant 1-2 milliards USD/an d’exportations supplémentaires en cinq ans.
  • Reconstruction ciblée : Réhabiliter le port de Beyrouth (300-500 millions USD) et déployer 500 MW d’énergie solaire (400-500 millions USD) pour couper la dépendance aux générateurs dollarisés, abaissant les coûts industriels.
  • Dé-dollariser les services publics : Revenir à des tarifs en livres libanaises pour l’électricité, l’eau et les télécoms, avec des subventions ciblées pour les ménages pauvres, restaurant la pertinence de la monnaie nationale.

Sans ces réformes, la dollarisation continuera d’asphyxier l’économie, transformant la dévaluation en un fardeau plutôt qu’en une opportunité. Le Liban, riche en potentiel (terres fertiles, main-d’œuvre qualifiée), risque de rester un pays de survie, incapable de tirer parti de sa monnaie affaiblie.

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Newsdesk Libnanews
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