La crise de confiance ou la chaise vide

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Le Palais Présidentiel de Baabda (Liban)

Toute relation humaine repose en grande partie, sur un lien de confiance, autrement dit sur un sentiment de sécurité. Dès que la confiance vacille ou diminue, tout le rapport à l’autre s’en trouve ébranlé, puis petit à petit altéré et s’il n’est pas restauré, à travers une franche explication, il finit par disparaître.

 Il y a bien sûr la confiance des personnes, avec lesquelles on vit sous le même toit et celle des personnes, avec lesquelles on travaille sur les mêmes lieux. Ceux avec qui on partage un quotidien, un vécu et peut être un avenir voire un destin. Bien sûr on ne peut accorder totalement sa confiance, à tout être humain qui passe et qui nous apparaît, à prime abord comme un inconnu  (même si on croit en l’humanité de façon abstraite et générale) mais à partir du moment, qu’il est connu et reconnu, à travers un processus conscient ou inconscient d’identification, on crée le lien. Pourtant parfois avec l’usure du temps, les rendez vous manqués, les malentendus successifs, les intérêts contradictoires, les aspirations divergentes, les frustrations accumulées, l’autre perd à nouveau son relief et de familier, il redevient à nouveau étranger. On ne se souvient plus de l’avoir côtoyé ou même croisé .Il y une rupture du lien, à laquelle succèdent  la méfiance puis  l’amnésie.

Il y va des peuples comme des individus. Parfois il y a un vécu positif qui les unit, une cause commune, un projet partagé. Et puis parfois à cause d’amères déceptions, de trahisons opportunistes  ou tout simplement d’évolutions dissemblables, le tissu social se fragmente.

Qu’on le veuille ou pas, il y a eu une véritable guerre civile au Liban, qui risque souvent de se raviver. Il faut déjà reconnaître plus de quatre décennies après, la triste et  tragique réalité de cette guerre et s’interroger honnêtement, pourquoi elle a eu lieu et quels seraient les moyens qu’elle ne se répète plus. Un siècle après la proclamation du Grand Liban(1920) on s’interroge encore sur notre identité  culturelle : Est on arabe ou pas ? Sommes-nous d’Orient ou d’Occident ? Notre système est il démocratique ou patriarcal ?

La question identitaire demeure au cœur du débat, de toute société pluriculturelle .C’est uniquement après l’avoir définie, qu’on peut la traduire par un système politique adapté.

Le pluralisme culturel qui devrait appartenir à tous, en tant qu’héritage commun et valeur ajoutée, s’est transformé en un cloisonnement qui nous pousse, à nous enfermer dans nos communautés et nos sous groupes, pour nous protéger les uns des autres. Les groupes culturels humains qui constituent le tissu social libanais et qui avaient développé au fil du temps, une manière de vivre commune et une façon d’être spécifique, tendent de plus en plus, à s’éloigner les uns des autres et à se confronter. On a l’impression qu’ils n’appartiennent plus au même corps social, à la même entité nationale et que leurs volontés, au lieu de converger, vont dans des directions multiples voire opposées, dont les référents  (parfois eux-mêmes en conflit), sont au-delà de nos frontières.

Et bien sûr la vacance de la présidence de la république prive  tous les Libanais symboliquement, du cadre référent interne, que personne d’autre ne peut remplacer au sein de l’Etat, à moins d’un coup d’Etat et d’une confiscation du pouvoir. En privant le Liban d’un président de la république, on rend le corps libanais dysfonctionnel .On décapite par le vide, la tête de l’Etat et le symbole de son unité et de sa souveraineté.

Il faut à tout prix restaurer d’urgence et en priorité, la fonction fédératrice et vitale du chef de l’Etat, à laquelle aucun autre ne peut se substituer durablement  (chef de gouvernement, chef du parlement, chef communautaire….) C’est la figure du Père (éventuellement détenu par une femme) qui manque et tout groupe se structure autour d’elle. Même si le père (d’une famille ou d’une communauté ou d’une nation) doit souvent incarner selon le cas,  une double figure : celle de l’autorité  et celle de la compréhension. En assurant la survie du groupe, le père assure sa propre survie. Souvent d’ailleurs les peuples se choisissent par alternance, des pères castrateurs et des pères conciliateurs, (Bush-Obama ; Sarkozy-Hollande ; Gorbatchev –Poutine ; Najad-Rohani …..).

En maintenant le Liban dans cette situation de précarité, d’insécurité et de  vacance institutionnel, on fragilise de plus en plus l’entité libanaise. La politique de la chaise vide est désastreuse car c’est tout le pays qui est paralysé et déséquilibré .Au delà de la personne du président, c’est la fonction qui est neutralisée, niée et menacée. Les Libanais (de tous bords) sont ils tellement divisés, qu’ils ne trouvent plus quelqu’un de valable, pour parler  en leur nom, les représenter collectivement  et garantir la continuité, à travers la constitution du système politique ?

Un pays sans président depuis presque deux ans et une formation communautaire paramilitaire au sein de l’Etat, qui mène pour son compte des combats communautaires au-delà de frontières, c’est déjà un corps qui ne réfléchit plus, qui fuit sa réalité et ne sait plus où aller.

Bahjat Rizk
Avocat à la cour, écrivain libanais, professeur universitaire, attaché culturel à la délégation du Liban auprès de l’UNESCO (depuis 1990) a représenté le Liban à de multiples conférences de l’UNESCO (décennie mondiale du développement culturel-patrimoine mondial

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