Une crise politique alimentée par des divergences internes et un bras de fer sur la nomination des ministres
Le processus de formation du gouvernement dirigé par Nawaf Salam est au point mort en raison de tensions politiques croissantes entre les différentes forces du pays. Le principal point d’achoppement reste la désignation du cinquième ministre chiite, un poste sur lequel le tandem Hezbollah-Amal exige un droit de regard exclusif. Nabih Berri, président du Parlement, a déclaré que «toute tentative d’imposer une figure chiite qui ne soit pas choisie par les représentants légitimes de cette communauté est une atteinte aux principes du système confessionnel du Liban». De son côté, Nawaf Salam, sous pression de Washington et Riyad, tente de proposer un candidat jugé plus indépendant. Cette divergence a conduit à une situation de blocage, empêchant toute avancée dans l’annonce du cabinet.
Ce bras de fer intervient dans un contexte où les influences étrangères jouent un rôle déterminant. Washington et Riyad ont posé comme condition à leur soutien financier et diplomatique la formation d’un gouvernement «sans aucune présence du Hezbollah», selon une source diplomatique citée par Al Sharq Al Awsat (08/02/2025). Cette position est perçue par plusieurs forces politiques libanaises comme une ingérence étrangère directe visant à imposer un agenda au pays. D’autres voix au sein de la classe politique libanaise estiment que le Hezbollah cherche lui aussi à verrouiller certaines nominations stratégiques, compliquant ainsi les négociations et risquant de prolonger la paralysie institutionnelle.
La visite de Morgan Ortagus : un élément déclencheur des tensions
L’impasse politique a été exacerbée par la visite récente de Morgan Ortagus, envoyée spéciale américaine au Liban, dont les déclarations ont ravivé les tensions. Lors d’une conférence de presse donnée au palais présidentiel, elle a affirmé que «les États-Unis ne soutiendront aucun gouvernement dans lequel le Hezbollah aura un rôle». Cette prise de position a provoqué une réaction immédiate des figures politiques libanaises, certaines dénonçant une ingérence flagrante dans les affaires internes du pays.
Le Hezbollah a rapidement réagi à ces déclarations. Un haut responsable du parti a déclaré dans Al Akhbar (08/02/2025) que «cette tentative américaine de dicter la formation du gouvernement libanais est une atteinte à la souveraineté du pays et une provocation que nous ne tolérerons pas». De son côté, le président Joseph Aoun a tenté d’adopter une position plus mesurée, affirmant que «les décisions concernant le gouvernement doivent être prises dans l’intérêt national et non sous la pression d’acteurs étrangers».
L’impact des déclarations d’Ortagus ne s’est pas limité aux sphères politiques. Des manifestations ont éclaté à Beyrouth et dans le sud du Liban, où des partisans du Hezbollah ont bloqué plusieurs routes en signe de protestation contre ce qu’ils qualifient de tentative de marginalisation orchestrée par les États-Unis. Un manifestant interrogé par Ad Diyar (08/02/2025) a affirmé que «cette ingérence est inacceptable. Nous ne laisserons personne décider à notre place qui doit être au gouvernement».
La médiation française et les scénarios possibles
Face à l’impasse politique, la France tente de jouer un rôle de médiateur. Paris, qui entretient des relations avec l’ensemble des acteurs libanais, propose une solution intermédiaire visant à nommer un ministre chiite neutre, accepté par Nawaf Salam mais aussi par les représentants chiites du Parlement. Cependant, cette solution semble fragile. Une source proche du dossier a confié à Al Sharq (08/02/2025) que «les États-Unis ne voient pas ce compromis d’un bon œil, car il laisserait encore au Hezbollah un certain poids dans le gouvernement».
D’un autre côté, Nabih Berri et le Hezbollah refusent toute tentative d’imposer un ministre qui ne serait pas directement choisi par eux. Selon Al Akhbar (08/02/2025), un membre du Hezbollah a déclaré que «toute tentative d’exclure notre camp du gouvernement entraînera une paralysie totale des institutions». Ce refus catégorique de compromis ajoute à la complexité du dossier et rend la formation du gouvernement encore plus difficile.
Dans ce contexte, plusieurs scénarios sont envisagés. Le premier serait la formation d’un gouvernement sans le Hezbollah, mais cette option risquerait de déstabiliser le pays et d’aggraver les tensions politiques et sociales. Le deuxième scénario, celui d’un compromis imposé par la France, semble difficile à mettre en œuvre sans l’accord de toutes les parties. Enfin, le dernier scénario, qui devient de plus en plus probable, est l’échec total de Nawaf Salam à former un gouvernement, ce qui prolongerait la crise institutionnelle et accentuerait les difficultés économiques.