Élections me renvoie à la terminologie d’origine : élire, l’élu. Élection, le mot dans sa finesse n’est pas forcement quelque chose de massif, de populaire ; plutôt une question de courants. Affinités électives.

Le dimanche 6 mai, à vélo dans le Metn, je traverse de nombreux villages, de coutume, paisibles et silencieux, un ou deux vieux sur le perron, ou un chat qui ronronne ou un chien attache qui aboie. Ces mêmes villages avaient pris une allure de kermesse, de rassemblements et dans ceux plus grand comme celui de Mrouj, vibrant et accueillant ce jour-là, les élections sont l’occasion d’une fête. Orange, blanc, vert, etc., ils sont cote a cote, toutes les couleurs.  Ça n’est pas une pub pour Benetton, mais presqu’une pub pour le Liban.  Cette ambiance multicolore bon enfant et sur fond de musique met un sourire dans ma tête. Des gens tous âges confondus qui se saluent, se pressent pour aller aux urnes, avant de se retrouver pour une manouche ou un mezzés dans les bons et chaleureux bouis-bouis de la place. Lorsque je passe à vélo ; on me hèle en français avec un sourire “tu as voté ?” Je ne sais pas pourquoi avec le vélo, il y a présomption de langue étrangère. Je leur signale que oui, depuis tôt le matin.

Depuis tôt le matin, de nombreuses personnes ont pris la route, parfois seules, parfois en pan familiaux entiers, pour retrouver le Sud, Tripoli, Ehden, etc. La montagne, la cote, dans ses replis et remous.  Certains y ont saisi l’opportunité de faire un long week-end. L’exercice du droit de vote s’est avère l’occasion de retrouvailles en famille ; l’occasion de retrouvailles dans et avec les terres d’origine. Le 6 mai avait quelque chose de festif..

Et le lendemain, la gueule de bois.   Pas de femmes à l’Assemblée, pas de jeunes, pas de membres de la société civile ou très peu. Le lendemain on comprend qu’on a été leurre par l’ivresse. Que l’autre s’est joue de nous – en nous donnant un semblant de choix – juste pour renforcer sa position, pour se faire mousser. Malgré ça, on n’arrive pas a avoir la haine. On est juste triste et on s’en va. On tourne les pas. Et encore une fois on cherche à placer son attention ailleurs. Et on essaie malgré tout de se dire que ce moment étincelle, n’était pas un feu de paille ; qu’il a allumé ou rallume quelque chose en soi, le désir, l’envie de participer, de jouer. Qu’il nous a fait prendre conscience que l’enfant en soi n’est pas mort, et qu’il prend la balle au vent… Et que rien que pour ceci, ce moment avait du sens.  C’est peut-être palliatif comme l’aspirine après la gueule de bois ; ça aide a ne pas coaguler en tous cas … en dépit de la déception.

Quelques jours plus tard, dans le souk de Byblos, j’achète une galette au fromage dans un petit resto/bar qui vient d’ouvrir.  Pendant que j’attends la galette qui chauffe, le jeune homme derrière le comptoir capte des bribes d’un semblant de conversation téléphonique que j’essaie d’avoir avec une autrichienne qui ne parle pas l’anglais. Il me raconte qu’il apprend lui-même l’allemand et qu’il s’en va poursuivre son master d’ingénierie en Autriche – 5000 EUR de frais bien moins que la fac au Liban – et qu’il travaille au resto pour payer sa scolarité. Nous les Méditerranéens au sang chaud finissons par partir en ce moment, en Allemagne, en Autriche ; même les jeunes… Prise par la conversation et ses rêves d’espace et de possibles, en résonance avec les miens, j’ai oublié de lui demander s’il a voté. Il me tend la main, se présente “Mahmoud”. Il ne veut pas prendre le prix de la galette ; il veut me l’offrir a tout prix, “pour l’amitié”, me dit-il. Il me raconte qu’il attend la réponse pour l’université en juillet;  moi aussi, pour un autre départ; avec nos vingt années qui nous séparent.

Voilà pourquoi je n’avais pas envie de repartir du pays, voilà pourquoi je suis revenue, pour ces affinités électives ; voilà pourquoi j’ai voulu voter. Peut-être que j’étais ivre ; pourtant sans alcool. La même semaine post–électorale, j’assiste au Café des Lettres a une rencontre avec une auteure japonaise en résidence d’écrivain à Beyrouth. Son propos est autour de l’expression dans différentes langues, des mots justes et de ceux qui nous manquent. J’apprends les mots yukenet natsukashiien japonais, la nostalgie de la saison qui vient de nous quitter, chacun avec une connotation différente ; plus ou moins heureuse, les subtilités d’une culture, “Natsukashii”est la nostalgie comme sentiment heureux de se remémorer les bons moments. En dépit de la gueule de bois, je suis “natsukashii” du dimanche 6 mai au matin, des 4 et 5 mai, la veille de ce rendez-vous, “natsukashii” de ces jours ou j ‘ai cru.

Nicole Hamouche
Consultante et journaliste, avec une prédilection pour l’économie créative et digitale, l’entrepreneuriat social, le développement durable, l’innovation scientifique et écologique, l’édition, les medias et la communication, le patrimoine, l’art et la culture. Economiste de formation, IEP Paris ; anciennement banquière d’affaires (fusions et acquisitions, Paris, Beyrouth), son activité de consulting est surtout orientée à faire le lien entre l’idée et sa réalisation, le créatif et le socio-économique; l’Est et l’Ouest. Animée par l’humain, la curiosité du monde. Habitée par l’écriture, la littérature, la créativité et la nature. Le Liban, tout ce qui y brasse et inspire, irrigue ses écrits. Ses rubriques de Bloggeur dans l’Agenda Culturel et dans Mondoblog-RFI ainsi que ses contributions dans différentes publications - l’Orient le Jour, l’Officiel Levant, l’Orient Littéraire, Papers of Dialogue, World Environment, etc - et ses textes plus littéraires et intimistes disent le pays sous une forme ou une autre. Son texte La Vierge Noire de Montserrat a été primé au concours de nouvelles du Forum Femmes Méditerranée.

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