Une nuit de frayeur et d’effondrement
Dans la nuit du 5 au 6 juin 2025, les habitants de la banlieue sud de Beyrouth ont été réveillés par des bombardements israéliens d’une rare intensité. Les frappes ont visé plusieurs zones résidentielles, causant des dégâts matériels considérables et déclenchant un mouvement de panique. En l’absence de déclarations immédiates des autorités politiques, la réaction initiale est venue du terrain : habitants, associations de quartier et volontaires ont été les premiers à intervenir.
Les secours civils, non affiliés aux forces officielles, ont rapidement balisé les zones les plus touchées, mis à l’abri les blessés légers et orienté les familles vers des centres de refuge improvisés. Plusieurs écoles ont ouvert leurs portes pour accueillir les déplacés. Les témoignages recueillis indiquent une coordination spontanée entre groupes communautaires, souvent en dehors des circuits étatiques.
Des infrastructures locales mobilisées pour l’accueil d’urgence
Dès les premières heures après les frappes, des salles paroissiales, des centres culturels et des associations religieuses ont activé leurs réseaux pour distribuer des repas, des couvertures et des premiers soins. Cette mobilisation s’est faite en l’absence de toute directive gouvernementale. Certains quartiers ont réactivé des réseaux de solidarité mis en place lors des précédentes crises, notamment après l’explosion du port de Beyrouth en 2020.
Dans les hôpitaux proches, les volontaires ont aussi été appelés pour soutenir le personnel médical débordé. Le personnel de la Croix-Rouge libanaise et d’organisations confessionnelles a partagé les responsabilités, notamment dans la gestion des flux de blessés et l’identification des victimes.
Communication locale et alertes communautaires
Alors que les canaux officiels sont restés silencieux durant plusieurs heures, les groupes communautaires ont pris le relais en diffusant des alertes via les applications de messagerie instantanée. Ces messages comprenaient les zones à éviter, les endroits sécurisés, et les points de rassemblement pour les évacuations.
Certains quartiers ont mis en place des tours de garde informels, des jeunes se relayant pour surveiller les abords d’immeubles endommagés et signaler toute présence suspecte ou nouveau danger. Des vidéos prises depuis les toits des immeubles ont circulé dès l’aube, montrant les colonnes de fumée s’élevant au-dessus des ruines.
Une mémoire collective réactivée
La mobilisation rapide de la société civile s’explique aussi par la mémoire traumatique accumulée. De nombreux habitants ont vécu les conflits précédents et les crises internes. Cette expérience a généré des réflexes de solidarité immédiats. Plusieurs bénévoles ont affirmé agir « comme en 2006 » ou « comme après le port », selon des formulations rapportées dans les récits de terrain.
Les structures locales fonctionnent comme des relais sociaux là où l’État est absent. Cette dynamique est particulièrement visible dans les banlieues sud, historiquement marquées par une forte organisation communautaire, mais aussi dans les quartiers mixtes où des groupes de citoyens ont pris l’initiative de mutualiser les moyens.
Mobilisation confessionnelle et entraide intercommunautaire
Malgré la dimension communautaire du tissu associatif au Liban, la mobilisation observée a dépassé les clivages habituels. Des réseaux chiites, sunnites et chrétiens ont apporté un soutien aux zones frappées, notamment dans la fourniture de vivres, de produits médicaux et de carburant pour les générateurs électriques.
Cette entraide, bien que décentralisée, a permis de garantir une continuité des secours dans les premières 24 heures. L’absence de couverture médiatique officielle sur ces actions n’a pas empêché leur visibilité via les réseaux sociaux, où circulent des images d’équipes mixtes travaillant ensemble sur les lieux sinistrés.
Silence des institutions et rôle accru des structures parallèles
Alors que le président Joseph Aoun et le Premier ministre Nawaf Salam n’ont pas pris la parole publiquement après les frappes, la société civile a comblé ce vide communicationnel. Des figures locales, notamment des chefs religieux ou des responsables associatifs, ont assuré un rôle d’information et de coordination. Ce transfert de légitimité temporaire est symptomatique de la méfiance croissante à l’égard des autorités centrales.
Dans certains cas, des conseils municipaux ont pris l’initiative de centraliser l’aide, avec le soutien d’ONG internationales. Mais dans la majorité des cas, l’organisation est restée informelle, portée par des acteurs civils habitués à opérer en dehors des structures institutionnelles.
Médias communautaires et documentation de crise
Des photographes bénévoles et des collectifs citoyens ont documenté les destructions et les actions de solidarité, partageant leurs images via des plateformes numériques. Ces contenus, repris parfois à l’étranger, contrastent avec la relative absence des médias publics et de l’information officielle dans les premières heures suivant les bombardements.
Cette documentation a servi aussi à interpeller la communauté internationale. Plusieurs vidéos montrent des familles réfugiées dans des parkings souterrains, des enfants recevant des soins dans des halls d’immeubles, ou encore des cuisines collectives improvisées pour nourrir les déplacés.
Réseaux transnationaux et envois de dons
La diaspora libanaise, notamment en Europe et en Amérique du Nord, a réagi dans les heures suivant la diffusion des premières images. Des campagnes de dons ont été organisées via des associations établies, avec des transferts ciblés vers les quartiers affectés. Les transferts de fonds se sont appuyés sur des contacts directs entre les responsables associatifs à Beyrouth et les relais à l’étranger.
Ce soutien a permis de compenser le manque de logistique publique, en finançant l’achat de carburant, de médicaments ou de matériaux de secours. Il a aussi renforcé la légitimité des réseaux civils dans leur rôle de coordination.
Un écosystème civil sous pression
Cette réactivité ne masque pas les difficultés structurelles : épuisement des ressources, usure des équipes de volontaires, tensions dans la distribution. Plusieurs acteurs ont exprimé leur inquiétude quant à la durabilité de cet effort, d’autant plus que les attaques pourraient se répéter.
L’absence de relais institutionnels rend la tâche plus lourde. La gestion de crise repose entièrement sur des structures non étatiques, sans soutien logistique durable. La perspective d’une coordination nationale de la réponse reste hypothétique dans le climat politique actuel.
Une souveraineté populaire en action
En l’absence d’État protecteur visible, la société civile libanaise agit comme substitut : elle organise, protège, soigne, informe. Cette souveraineté populaire, fondée sur la mémoire, l’habitude de la crise et l’inventivité logistique, constitue l’un des derniers remparts face au chaos. Elle révèle aussi, par contraste, les failles béantes d’un appareil étatique effacé ou paralysé.
La mobilisation de ces réseaux témoigne d’une capacité d’auto-organisation, mais pose aussi la question de leur limite. Si la guerre venait à s’installer durablement, les structures civiles pourraient ne plus suffire. Sans coordination avec l’État ni soutien international, le Liban risque de s’enfoncer dans une crise humanitaire aggravée, gérée uniquement par ses propres citoyens.



