Une richesse stable mais peu diversifiée dans un contexte de crise prolongée
En 2025, le classement annuel de Forbes recense six milliardaires libanais, pour une fortune totale estimée à 12,3 milliards de dollars, soit une progression modérée de 4,2 % par rapport aux 11,8 milliards de dollars en 2024. Cette augmentation modeste contraste avec l’explosion des grandes fortunes mondiales, qui ont bondi de 13 % pour atteindre un record de 16 100 milliards de dollars de capital cumulé.
Ce décalage s’explique par la concentration des fortunes libanaises dans des secteurs traditionnels, fortement exposés aux aléas régionaux : télécommunications, immobilier, et négoce de métaux précieux. Contrairement aux tendances mondiales, les milliardaires libanais restent quasi absents des technologies émergentes et des secteurs financiers, limitant leur capacité de croissance à l’échelle internationale.
Évolution de la fortune cumulée des milliardaires libanais | Valeur (USD) | Variation annuelle |
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2024 | 11,8 milliards | — |
2025 | 12,3 milliards | +4,2 % |
Cette progression lente s’inscrit dans un environnement économique libanais en profonde récession, marqué par la dépréciation continue de la monnaie nationale, une crise bancaire aiguë et la contraction de l’activité réelle.
Une concentration extrême autour de dynasties économiques établies
Le classement Forbes 2025 confirme la prédominance de trois familles influentes : les Mikati, les Hariri et les Mouawad.
Najib Mikati, ancien premier ministre et fondateur d’Investcom (opérateur télécom historique intégré depuis au groupe sud-africain MTN), conserve avec son frère Taha Mikati la tête du classement, chacun affichant une fortune de 3,1 milliards de dollars, en progression de 10,7 % par rapport à 2024.
La famille Hariri, autre pilier du capitalisme libanais, suit de près. Bahaa Hariri, orienté vers l’immobilier international, voit sa fortune légèrement baisser à 2 milliards de dollars, tandis qu’Ayman Hariri et Fahd Hariri se stabilisent respectivement à 1,4 milliard et 1,2 milliard de dollars. Enfin, Robert Mouawad, joaillier de renommée mondiale, ferme la liste avec 1,5 milliard de dollars, stable par rapport à l’année précédente.
Classement Forbes 2025 des milliardaires libanais | Fortune estimée (USD) | Évolution annuelle | Secteur principal |
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Najib Mikati | 3,1 milliards | +10,7 % | Télécoms, investissements internationaux |
Taha Mikati | 3,1 milliards | +10,7 % | Télécoms, immobilier |
Bahaa Hariri | 2 milliards | -4,8 % | Immobilier, placements financiers |
Robert Mouawad | 1,5 milliard | stable | Joaillerie, métaux précieux |
Ayman Hariri | 1,4 milliard | stable | Immobilier, startups |
Fahd Hariri | 1,2 milliard | stable | Immobilier, construction |
Cette concentration extrême de la richesse révèle la forte hérédité du capital libanais, largement fondé sur la continuité familiale et la consolidation d’actifs patrimoniaux transmis sur plusieurs générations.
Une internationalisation indispensable face à la crise nationale
Face à l’effondrement de l’économie locale, ces milliardaires ont largement internationalisé leurs portefeuilles d’actifs. Les frères Mikati possèdent des participations dans des télécoms en Afrique et au Moyen-Orient, des projets immobiliers à Londres et des participations dans des fonds privés diversifiés.
La famille Hariri, quant à elle, a renforcé ses positions dans l’immobilier international, notamment aux Émirats arabes unis, en Arabie saoudite et en Europe, après avoir été très exposée aux marchés libanais et syriens.
Robert Mouawad, lui, a délocalisé depuis longtemps ses activités de joaillerie, avec des implantations majeures à Genève, Hong Kong et Dubaï, des places fortes du négoce de métaux précieux.
Cette internationalisation massive est une stratégie de survie. Elle permet aux milliardaires libanais de se prémunir contre les risques locaux : restrictions bancaires, instabilité politique et risque de défaut souverain.
Une absence criante dans les secteurs de croissance mondiale
Contrairement aux tendances observées ailleurs, les milliardaires libanais n’ont pratiquement aucune exposition aux secteurs porteurs de l’économie mondiale tels que la technologie, la santé, ou la finance numérique. Les milliardaires asiatiques, par exemple, ont massivement investi dans la tech, ce qui a permis à leurs fortunes de croître de 17 % en moyenne en 2025.
Cette sous-exposition prive les fortunes libanaises de relais de croissance pérenne. Le maintien d’une concentration sur les actifs traditionnels limite la capacité des élites libanaises à participer à la réinvention économique du pays ou à servir de catalyseurs d’innovation locale.
Un effet d’entraînement local quasi inexistant
La forte internationalisation des avoirs des milliardaires libanais signifie que les retombées économiques internes sont extrêmement limitées. Les investissements dans l’économie réelle locale sont rares, en dehors de quelques projets symboliques dans l’immobilier de luxe ou la philanthropie.
Cette absence d’effet d’entraînement est particulièrement problématique dans un contexte où l’économie libanaise est asphyxiée par la crise bancaire. Alors que les PME libanaises peinent à accéder au financement, les grandes fortunes continuent de privilégier des stratégies de protection patrimoniale à l’étranger.
La diaspora fortunée, un levier potentiel encore sous-exploité
Au-delà des fortunes recensées par Forbes, la diaspora libanaise compte un grand nombre d’entrepreneurs et de chefs d’entreprises prospères, particulièrement dans les pays du Golfe, en Afrique et en Amérique du Nord. Si la contribution de la diaspora au financement de la consommation libanaise est importante (estimée à 6,4 milliards de dollars de transferts en 2024), sa mobilisation sous forme d’investissement productif reste marginale.
Estimation des transferts de la diaspora libanaise | Montant (USD) | Part du PIB |
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2024 | 6,4 milliards | 18,2 % |
La crise de confiance envers le système bancaire et l’absence de garanties juridiques fiables freinent encore l’implication de cette diaspora fortunée dans des projets structurants pour le redressement économique du Liban.