Fouad Makhzoumi : l’ambition contrariée d’un leadership sunnite en mutation

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Le retrait de Saad Hariri de la vie politique a laissé un vide significatif au sein de la communauté sunnite libanaise, déjà fragmentée par des décennies de rivalités internes et de pressions extérieures. Dans ce paysage recomposé, Fouad Makhzoumi s’est imposé comme l’un des prétendants les plus visibles à un rôle central. Homme d’affaires devenu député, chef du Hizb al-Hiwar al-Watani, il multiplie les initiatives pour faire émerger une autorité alternative. Mais cette ambition, construite sur des bases patrimoniales et des réseaux confessionnels fragiles, rencontre des résistances structurelles et sociales majeures.

Un homme d’affaires à la conquête d’un espace politique

Makhzoumi incarne un modèle de réussite personnelle que certains comparent volontiers à celui de Rafiq Hariri : fortune bâtie à l’étranger, discours moderniste, volonté affichée de reconstruction nationale. Toutefois, cette comparaison s’arrête souvent à la surface. Son entrée en politique, concrétisée par une élection au parlement en 2018, repose sur un ancrage électoral limité et dépendant, selon plusieurs observateurs, du soutien circonstanciel de l’électorat chiite dans certaines circonscriptions.

Sa campagne actuelle pour les municipales beyrouthines illustre cette tentative de repositionnement. Il cherche à constituer une liste transversale mêlant figures religieuses, notables locaux et acteurs de la société civile. Mais cette composition hétérogène est soumise à des calculs confessionnels rigides et à des compromis qui affaiblissent la cohérence de son projet. Dans un environnement où l’influence politique repose encore largement sur des structures clientélistes ou communautaires enracinées, son absence de base militante stable constitue un handicap majeur.

Le leadership sunnite entre éclatement et recomposition

La crise d’autorité dans la communauté sunnite s’est accélérée depuis le retrait de Hariri, mais elle ne date pas d’hier. Les tentatives de reconstitution d’un pôle unificateur peinent à dépasser les clivages traditionnels. Makhzoumi, dans ce contexte, se positionne comme une figure de recours. Il multiplie les contacts avec le mufti Abdel Latif Derian et certains cheikhs influents, cherchant à capter une légitimité religieuse en complément de son ancrage économique.

Cette stratégie s’appuie également sur une diplomatie parallèle : Makhzoumi entretient des relations suivies avec des représentations étrangères, notamment saoudienne, espérant obtenir un appui régional qui renforcerait sa crédibilité interne. Mais cette approche comporte des limites. Le soutien de Riyad à Nawaf Salam à la tête du gouvernement est interprété comme un désaveu indirect de sa candidature municipale. Ce revers stratégique rappelle la difficulté pour un acteur local de s’imposer durablement sans relais puissants à l’international.

Une campagne municipale comme miroir d’ambitions nationales

Les municipales à Beyrouth ne sont pas un enjeu local ordinaire. Elles constituent un laboratoire des rapports de force communautaires et un tremplin pour les ambitions nationales. Makhzoumi l’a compris et en fait un levier central de sa stratégie. Il tente d’imposer des candidatures compatibles avec ses objectifs, distribuant les rôles au sein de la liste selon un schéma présidentialisé avant l’heure. Cette volonté de contrôle agace certains partenaires, qui dénoncent un comportement autoritaire et une absence de concertation.

Les négociations nocturnes, les promesses de financement, et l’offre de sièges réservés aux partenaires sont des outils classiques dans le paysage libanais. Makhzoumi les mobilise, mais sans bénéficier d’une structure partisane solide pour en garantir l’efficacité. Sa tentative de positionner un proche parent sur la liste tout en niant publiquement toute mainmise personnelle affaiblit son image et nourrit les critiques sur le double discours entre transparence revendiquée et pratiques discrétionnaires.

Les contradictions d’un leadership sans racines collectives

Le projet politique de Makhzoumi souffre de plusieurs contradictions. Il se présente comme un rénovateur du système, mais adopte des méthodes traditionnelles de contrôle des ressources électorales. Il invoque l’unité nationale, mais compose ses alliances sur une base confessionnelle stricte. Il aspire à l’autorité, mais sans disposer d’un appareil militant ou d’une vision idéologique claire. Ces ambiguïtés affaiblissent sa capacité à construire un récit partagé, condition nécessaire à l’émergence d’un leadership durable.

Ce constat renvoie à une typologie bien connue au Liban : celle des leaders patrimoniaux, fondés sur la richesse personnelle et les réseaux, mais dépourvus de structures politiques pérennes. Makhzoumi incarne cette figure de l’entrepreneur-politicien, capable de financer des campagnes et de mobiliser des relais ponctuels, mais incapable de transformer cet élan en force politique cohérente. Son projet semble suspendu à la conjoncture, sans legs institutionnel transmissible.

Instrumentalisation religieuse et absence de vision programmatique

Le recours à la légitimation religieuse est une constante dans la stratégie de Makhzoumi. Ses rencontres répétées avec le mufti Derian ne visent pas seulement un appui électoral mais aussi une reconnaissance symbolique de sa centralité dans la scène sunnite. Toutefois, cette alliance de circonstance repose sur des bases fragiles. Le mufti n’est pas un acteur politique en tant que tel, et sa capacité à influer sur les choix électoraux reste limitée à certains cercles restreints.

Sur le fond, la campagne de Makhzoumi se distingue par l’absence de programme détaillé. Les discours publics mettent l’accent sur la réforme, la compétence et la justice, mais sans décliner ces axes en politiques concrètes. Les observateurs notent un décalage croissant entre la rhétorique et la pratique, nourrissant un scepticisme latent parmi les électeurs potentiels. Cette vacuité programmatique alimente l’idée que sa démarche est avant tout personnelle, motivée par un désir de reconnaissance plus que par un projet de transformation collective.

Une diplomatie parallèle aux effets ambigus

L’un des traits distinctifs de Makhzoumi réside dans sa capacité à entretenir des liens avec plusieurs diplomaties actives au Liban. Son positionnement en tant qu’interlocuteur privilégié de certaines chancelleries, en particulier saoudienne, est un atout apparent mais aussi une source de vulnérabilité. L’absence de soutien explicite de Riyad à sa campagne municipale, au profit de Nawaf Salam, révèle les limites de cette approche. L’international ne peut suppléer les faiblesses locales.

Cette dépendance aux appuis étrangers soulève par ailleurs des questions sur la souveraineté du processus électoral. Si chaque candidat s’aligne sur une puissance régionale ou internationale, la fragmentation de l’arène politique risque de s’aggraver. Ce phénomène n’est pas nouveau au Liban, mais il prend une nouvelle ampleur dans un contexte de crise prolongée et de vacillement des institutions.

Perspectives et recompositions à venir

L’échec ou le succès de Makhzoumi aux municipales de Beyrouth constituera un test décisif pour sa trajectoire politique. En cas de victoire, il pourrait revendiquer un rôle élargi dans la refondation de la représentation sunnite. En cas d’échec, son isolement serait probablement renforcé, et son modèle de leadership remis en question. Mais au-delà de sa personne, c’est la capacité du Liban à produire de nouvelles figures d’autorité communautaire sans recourir aux schémas du passé qui est en jeu.

Le paysage sunnite reste éclaté, sans structures unificatrices ni récit fédérateur. L’émergence d’un leadership moderne, capable de transcender les clientélismes et les rentes historiques, suppose un changement de paradigme. Celui-ci ne peut advenir sans une réforme du système électoral, une redéfinition du rôle des institutions religieuses, et une ouverture réelle à des formes nouvelles de participation citoyenne. Makhzoumi, malgré ses ressources, n’incarne qu’un épisode dans cette transition encore inaboutie.

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