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Fuite des criminels vers la Syrie : Beyrouth et Damas peuvent-ils coopérer ?

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L’assassinat récent d’Emil Hadifa à Mazraat Yachouh a mis en lumière un problème récurrent au Liban : la fuite des criminels vers la Syrie pour échapper à la justice. De plus en plus de suspects impliqués dans des crimes graves profitent de la porosité des frontières pour disparaître avant d’être arrêtés. Face à cette impunité croissante, la question d’une coopération judiciaire entre Beyrouth et Damas se pose avec une urgence nouvelle.

Ce cas n’est pas isolé. Selon les statistiques récentes, les meurtres et agressions ont augmenté de 35 % au Liban depuis 2022, en raison de l’appauvrissement de la population et du manque de moyens des forces de l’ordre. Les témoignages de commerçants et de résidents montrent que les braquages, extorsions et cambriolages sont devenus monnaie courante, particulièrement dans les zones où la présence policière est quasi inexistante.

Au-delà du drame humain, le meurtre d’Emil Hadifa reflète une tendance inquiétante : de plus en plus de citoyens estiment que l’État est incapable de garantir leur sécurité. Dans certaines régions, la population a commencé à s’organiser en groupes de protection privés, comblant ainsi le vide laissé par les forces de l’ordre.

Pourquoi la coopération entre Beyrouth et Damas est-elle bloquée ?

Les accords de coopération judiciaire entre le Liban et la Syrie existent, mais leur application reste largement inefficace, empêchant l’extradition de nombreux criminels recherchés par la justice libanaise. En théorie, ces accords devraient permettre un transfert rapide des suspects vers Beyrouth, mais en pratique, de multiples obstacles entravent leur mise en œuvre, rendant ces engagements diplomatiques presque inopérants.

L’un des principaux freins à cette coopération réside dans la complexité des relations entre les deux pays, marquées par des tensions historiques et des intérêts divergents. Tandis que certains responsables politiques libanais appellent à une normalisation des échanges sécuritaires avec Damas, d’autres s’y opposent fermement, estimant que la Syrie instrumentalise ces discussions pour renforcer son influence sur les affaires libanaises. Cette division crée un climat de méfiance, où tout accord bilatéral est perçu à travers le prisme des rivalités politiques internes, rendant toute avancée sur le sujet particulièrement difficile.

De plus, la situation sur le terrain complique davantage l’application des procédures judiciaires. De nombreux fugitifs libanais parviennent à se réfugier dans des zones syriennes échappant au contrôle direct des autorités de Damas, notamment celles administrées par des factions armées ou des groupes d’influence locale. Ces régions constituent de véritables sanctuaires pour les criminels en fuite, où les lois libanaises n’ont aucune portée et où même les forces syriennes ont du mal à intervenir. Ainsi, même en cas de volonté politique d’extradition, l’arrestation effective des suspects demeure un défi majeur.

Enfin, la surveillance des frontières entre les deux pays est loin d’être efficace. Avec ses 375 kilomètres de lignes frontalières accidentées et une multitude de passages illégaux, cette zone constitue un corridor idéal pour les criminels cherchant à disparaître. Les forces de sécurité libanaises, en sous-effectif et manquant de moyens technologiques, peinent à assurer un contrôle efficace de ces zones. Les patrouilles sont sporadiques, et certaines routes de contrebande sont connues de longue date sans que des mesures concrètes n’aient été mises en place pour les fermer. Cette incapacité à sécuriser les frontières renforce le sentiment d’impunité parmi les criminels, qui savent qu’ils peuvent échapper aux poursuites simplement en traversant vers le territoire syrien.

L’impact sur la sécurité au Liban

L’absence de contrôle efficace sur la fuite des criminels vers la Syrie alimente un sentiment d’impunité grandissantparmi la population libanaise. Face à l’incapacité des autorités à appréhender et juger ces fugitifs, de nombreux citoyens estiment que l’État a perdu tout contrôle sur la situation sécuritaire. Cette perception d’abandon s’accompagne d’une montée en flèche des actes criminels, car les délinquants savent qu’ils disposent d’une voie de sortie quasi garantie en cas d’arrestation imminente. Cette faille dans le système judiciaire ne se limite pas aux infractions mineures ; elle s’étend également aux crimes les plus graves, notamment les meurtres, les braquages et les extorsions violentes, rendant le climat d’insécurité encore plus pesant.

Cette situation profite également aux réseaux de criminalité organisée, qui exploitent cette porosité frontalière pour structurer et étendre leurs activités. Selon des sources sécuritaires, plusieurs filières de trafic de drogue, d’armes et d’êtres humains ont renforcé leur présence dans les zones frontalières, utilisant le territoire syrien comme base arrièrepour leurs opérations. Ces organisations criminelles profitent du manque de coopération judiciaire entre Beyrouth et Damas, ainsi que du contrôle limité des forces libanaises, pour transporter leurs marchandises et faire transiter leurs membres sans entrave. Dans certaines régions du nord et de la Békaa, les trafiquants sont même mieux armés et mieux organisés que les forces de sécurité locales, ce qui rend toute tentative de répression particulièrement risquée.

Les forces de l’ordre dénoncent un déséquilibre croissant dans l’application de la loi. D’un côté, les autorités libanaises tentent d’imposer des lois strictes et des peines sévères pour juguler l’escalade de la violence, mais de l’autre, l’absence d’un contrôle efficace des frontières réduit ces efforts à néant. Certains criminels, bien que condamnés par contumace, continuent d’opérer librement depuis la Syrie, menant leurs affaires à distance et retournant au Liban lorsque l’occasion se présente. Ce phénomène de récidive facilitée aggrave encore davantage la crise sécuritaire, en renforçant la perception que les criminels ne risquent pratiquement rien. Tant que cette faille ne sera pas comblée par des accords d’extradition ou un renforcement du contrôle des frontières, le cycle de l’impunité continuera d’alimenter la montée de la violence.

Quelles solutions pour améliorer la coopération judiciaire ?

Pour lutter contre cette impunité, plusieurs options sont envisagées par les autorités libanaises et les experts en sécurité.

Une première mesure serait d’intensifier la surveillance des frontières et d’augmenter les effectifs des forces de l’ordre dans les zones sensibles, notamment dans la Békaa, Akkar et le Nord du Liban. Cependant, cette solution reste difficile à mettre en œuvre en raison du manque de ressources budgétaires et de l’effondrement du financement des forces de sécurité.

Une autre option serait d’établir un cadre de coopération judiciaire plus strict entre Beyrouth et Damas. L’instauration d’un traité d’extradition renforcé permettrait de faciliter le retour des criminels libanais réfugiés en Syrie, à condition que les deux gouvernements parviennent à un accord politique.

Enfin, une coopération renforcée avec les organisations internationales pourrait permettre d’exercer des pressions diplomatiques pour obtenir l’arrestation de fugitifs via Interpol ou d’autres instances judiciaires internationales. Cette approche a déjà été utilisée dans d’autres affaires criminelles transnationales impliquant des réseaux de blanchiment d’argent et de terrorisme.

Le Liban peut-il sortir de cette spirale d’impunité ?

La multiplication des crimes et des fuites vers la Syrie met en péril l’État de droit au Liban et affaiblit encore davantage les institutions judiciaires. Tant que les criminels continueront à échapper aux poursuites en franchissant la frontière, la violence risque de s’accentuer et de fragiliser encore davantage la stabilité du pays.

Pour espérer freiner cette dérive, il est urgent que Beyrouth adopte une stratégie plus ferme et s’attaque à ce problème de manière structurelle. La coopération judiciaire avec la Syrie est un enjeu majeur, et son blocage pourrait avoir des conséquences désastreuses sur l’ensemble du système sécuritaire libanais.

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Newsdesk Libnanews
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