Une visite américaine sous haute tension
La récente visite de Morgan Ortagus, émissaire américaine au Moyen-Orient, à Beyrouth a ravivé les tensions entre les États-Unis et le Hezbollah, mouvement chiite libanais influent. Ses déclarations, qualifiant la participation du Hezbollah au futur gouvernement de « ligne rouge », ont déclenché une vive réaction politique et populaire au Liban.
Dans un discours sans équivoque, Ortagus a affirmé que « le règne de la terreur du Hezbollah au Liban et dans le monde a commencé à s’effondrer », saluant l’action d’Israël contre le groupe armé. Cette prise de position, perçue comme une ingérence flagrante dans les affaires libanaises, a provoqué une levée de boucliers au sein des milieux politiques et religieux du pays.
Réactions libanaises et tensions internes
Le Hezbollah n’a pas tardé à réagir par la voix de Mohammad Raad, chef de son bloc parlementaire, qui a dénoncé des propos malveillants et irresponsables, estimant qu’il s’agissait d’une atteinte à la souveraineté libanaise.
Dans la foulée, des partisans du mouvement ont exprimé leur colère à travers des manifestations à Beyrouth, bloquant les routes menant à l’aéroport avec des pneus enflammés. Certains protestataires ont symboliquement peint l’étoile de David et les mots « USA » et « Trump » sur la chaussée, invitant les véhicules à les écraser.
La présidence libanaise a tenté d’apaiser les tensions en publiant un communiqué sur X (anciennement Twitter), précisant que les propos d’Ortagus ne concernaient pas la présidence. Toutefois, une photo de la diplomate américaine arborant une bague ornée de l’étoile de David, prise lors de sa rencontre avec le président Joseph Aoun, a enflammé les réseaux sociaux, renforçant l’idée d’une provocation calculée.
Un gouvernement en suspens
La visite d’Ortagus intervient dans un contexte politique déjà tendu. Le Premier ministre désigné Nawaf Salam peine à former un gouvernement, confronté aux exigences des blocs dominants, dont le Hezbollah et le mouvement Amal, qui revendiquent leur quota de ministères.
L’administration américaine soutient une exclusion du Hezbollah du futur gouvernement, un scénario jugé inacceptable par une partie de la classe politique libanaise. Le mufti Jaafari, Sheikh Ahmad Qabalan, allié du Hezbollah, a rappelé que le groupe était une force nationale incontournable et a mis en garde contre un cabinet sans représentants chiites, qui pourrait plonger le pays dans l’inconnu.
Le bras de fer autour de la formation du gouvernement s’inscrit dans une crise plus large, où les institutions libanaises sont paralysées par un système de répartition confessionnelle du pouvoir qui complique toute réforme.
L’épineuse question du cessez-le-feu avec Israël
Outre la question gouvernementale, les tensions avec Israël restent un sujet brûlant. Depuis l’accord de cessez-le-feu du 27 novembre, censé mettre fin à plus d’un an d’hostilités, la situation reste fragile.
Selon l’accord, l’armée libanaise et les forces de l’ONU (FINUL) devaient remplacer le Hezbollah au sud du pays, tandis qu’Israël devait se retirer des territoires occupés. Cependant, le retrait israélien n’a pas été totalement respecté, prolongeant l’incertitude.
Ortagus a insisté sur le respect du nouveau délai fixé au 18 février pour un retrait israélien complet, tandis que le président Aoun a conditionné une paix durable à l’arrêt des attaques israéliennes et à la libération des captifs libanais.
Le Liban face à une impasse politique et économique
Le Liban traverse une crise économique sans précédent, nécessitant des réformes urgentes pour débloquer les aides internationales. Ortagus a exprimé son soutien à un gouvernement « dédié à la lutte contre la corruption », saluant la volonté du Premier ministre Nawaf Salam de ne pas inclure de figures politiques traditionnelles.
Toutefois, les blocages institutionnels et les luttes d’influence entre les grandes formations politiques rendent difficile toute avancée.
Le Hezbollah, affaibli par plus d’un an de conflit et la perte de plusieurs de ses cadres, continue de peser sur la scène politique libanaise. Son exclusion du gouvernement pourrait entraîner de nouvelles tensions et compliquer davantage une sortie de crise déjà délicate.
La déclaration d’Ortagus marque donc une escalade diplomatique, mais son impact sur la réalité politique libanaise reste incertain. Washington peut-il réellement imposer ses conditions face à un jeu d’alliances complexe et une population en plein désarroi ? La suite des événements le dira.