Image by Abdullah_Shakoor on Pixabay
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Alors que les musulmans du monde entier doivent se rendre à La Mecque pour observer le pèlerinage annuel, la brouille diplomatique entre Riyad et Doha complique la donne pour les ressortissants du Qatar. Mais l’Arabie Saoudite est-elle vraiment en droit d’empêcher certains musulmans de participer au hadj?

Wahhabisme

Le 5 juin dernier, l’Arabie saoudite, avec les Emirats arabes unis (EAU), le Bahreïn et l’Egypte, a rompu ses relations diplomatiques avec le Qatar, accusé de soutenir le terrorisme dans la région et d’entretenir des relations serrées avec l’Iran.

La République islamique, leader du monde musulman chiite — 10 % des croyants musulmans —, est depuis quarante ans la bête noire de Riyad, à la tête des populations sunnites — 90 % des musulmans. Il n’en fallait pas plus pour organiser l’isolement de Doha, à coup d’embargo et de sanctions économiques, ainsi que d’exigences un peu farfelues, comme l’arrêt de la chaîne de télévision qatarie, Al-Jazira.

Ce n’est que devant le risque sérieux d’empêcher les Qataris de se rendre à La Mecque que l’Arabie saoudite a tenté d’assouplir sa position. En apparence du moins. Le pèlerinage (ou hadj) est l’un des cinq piliers de l’islam, avec la profession de foi, la prière, le soutien financier aux pauvres et le jeûne du Ramadan. Autrement dit : tout musulman qui en a les moyens — pécuniaires et physiques — est tenu, au moins une fois dans sa vie, d’effectuer ce rite incontournable. Même si les lieux saints se trouvent dans un pays dont les dirigeants sont ouvertement hostiles à une population ou un pays, comme le Qatar ou l’Iran.

Car impossible de nier que l’Arabie saoudite a fait du pèlerinage, qu’elle organise depuis l’arrivée des Saoud au pouvoir, dans les années 1930, une arme politique redoutable. Certaines voix, dans le monde musulman, s’élèvent d’ailleurs pour dénoncer le prosélytisme religieux effectué par Riyad, chaque année, lorsque se pressent plusieurs millions de fidèles sur son territoire. Adepte du wahhabisme, le royaume saoudien a fait de ce courant de l’islam rigoriste et traditionnel, dont certains estiment qu’il est à l’origine de toutes les doctrines djihadistes modernes — d’Al-Qaïda à l’Etat islamique en passant par Boko Haram —, une religion d’Etat.

Internationalisation

Le 30 juillet dernier, Doha avait d’ailleurs exprimé ses inquiétudes à ce sujet, alors que l’Arabie saoudite « a refusé de communiquer au sujet des garanties de sécurité des pèlerins [qataris] et de leur assistance pour leur hadj » selon un communiqué du ministère des Affaires islamiques du Qatar. Et, malgré son appel à vouloir « connaître les entités haut placées compétentes en Arabie saoudite, capables d’offrir ces garanties », il semble qu’il n’ait toujours pas été entendu.

C’est donc non sans une certaine appréhension que les musulmans qataris doivent se rendre à La Mecque. Tout comme les Iraniens, d’ailleurs. Riyad a autorisé les fidèles chiites — qui doivent également observer l’obligation du pèlerinage — à revenir dans la ville sainte, alors que, l’an dernier, ces derniers avaient été interdits de déplacement. En cause : les relations extrêmement tendues entre les deux pays depuis la « révolution islamique » de l’Iran en 1979. Régulièrement, l’Arabie saoudite est accusée de conduire une politique ouvertement anti-chiite, comme très récemment, avec la mise à mort de plusieurs opposants à Qatif, dans l’est du pays.

Devant le risque de prosélytisme religieux, certains dignitaires du monde musulman aimeraient en tout cas que la gestion du hadj soit davantage internationalisée. C’est notamment le cas de l’Indonésie, plus grand pays musulman du monde, qui pointe également du doigt la sécurité autour de l’événement, qui laisse à désirer. Très fréquemment, des bousculades de grande ampleur provoquent la mort de centaines de pèlerins — en 2015, plus de 2 000 d’entre eux avaient ainsi péri.

De son côté, Riyad refuse d’entendre parler d’une éventuelle internationalisation de l’organisation du pèlerinage, qu’elle associe ni plus ni moins à une « déclaration de guerre ouverte ». L’Arabie saoudite veille ainsi jalousement sur « ses » lieux saints, et n’hésite pas à faire du hadj un instrument diplomatique, au détriment des croyances de bon nombre de musulmans…

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