mardi, novembre 11, 2025

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Inflation et survie : le quotidien des ménages libanais face à l’économie effondrée

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Une inflation devenue permanente

L’inflation n’est plus au Liban un épisode de crise, mais un état structurel de l’économie. En octobre 2025, l’indice des prix à la consommation affiche une hausse annuelle de 235 %, confirmant la spirale enclenchée depuis 2020. Les ménages subissent une inflation cumulative supérieure à 1 000 % en cinq ans. Cette hausse vertigineuse s’explique par la dévaluation continue de la livre libanaise, passée de 1 500 à plus de 89 000 livres pour un dollar, et par la disparition progressive des subventions publiques. Le pays importe près de 80 % de ses besoins alimentaires et énergétiques, ce qui rend les prix intérieurs directement dépendants des taux de change. Le panier alimentaire moyen d’un foyer libanais coûte aujourd’hui 3,9 millions de livres par semaine, soit l’équivalent du salaire mensuel d’un fonctionnaire de catégorie moyenne. Dans ce contexte, le coût de la vie dépasse les capacités d’adaptation de la majorité des familles, tandis que les écarts de richesse se creusent au profit des détenteurs de devises.

La flambée des prix alimentaires

Les produits de base ont connu des augmentations spectaculaires. Le kilo de riz, vendu 1 500 livres avant la crise, dépasse 25 000 livres en octobre 2025. Le pain, subventionné de façon partielle, coûte 50 000 livres le paquet contre 2 000 en 2019. Le lait en poudre, autrefois à 15 000 livres, s’affiche désormais à 300 000. Le prix des légumes locaux a augmenté de 40 % depuis janvier, et celui des fruits de 35 %. L’huile de cuisson, passée de 3 000 à 60 000 livres le litre, est devenue un symbole du renchérissement. Dans les supermarchés, les étiquettes changent chaque semaine. Les importateurs ajustent leurs prix en fonction des fluctuations du dollar, sans contrôle réel des autorités. Le ministère de l’Économie effectue des inspections ponctuelles mais n’a pas les moyens d’imposer des plafonds. Les détaillants répercutent immédiatement toute variation de change sur les consommateurs. Les marchés populaires, où se fournit une grande partie de la population, ne sont plus accessibles : les prix y ont triplé en un an. Cette volatilité constante détruit toute prévisibilité économique et plonge les familles dans une angoisse quotidienne.

Carburants et énergie : la spirale du coût de la survie

L’énergie est au cœur du mécanisme inflationniste. Le prix du carburant a été multiplié par huit depuis 2021. Le litre d’essence se vend plus de 200 000 livres, celui du diesel 190 000. Ces tarifs pèsent directement sur le transport, l’électricité et l’agriculture. La compagnie nationale d’électricité, incapable d’assurer plus de quatre heures de courant par jour, a contraint les foyers à s’abonner à des générateurs privés. Les abonnements résidentiels varient entre 35 et 60 dollars par mois selon la région, soit plus de la moitié du salaire minimum. Le coût de la tonne de gaz pour la cuisson a doublé depuis l’été, atteignant 1,8 million de livres. Les pénuries intermittentes aggravent la situation : les files d’attente aux stations-service réapparaissent régulièrement. Le prix du transport collectif a triplé en un an, rendant les déplacements professionnels ou scolaires prohibitifs. Les zones rurales sont les plus touchées, faute de transports publics. Cette crise énergétique renforce l’isolement économique et social de larges pans du territoire.

Le logement, un fardeau impossible

Le secteur immobilier reflète lui aussi la fracture sociale. Les loyers, désormais facturés en dollars, ont augmenté de 50 à 70 % depuis 2023. Dans les quartiers populaires de Beyrouth, un appartement de deux pièces se loue entre 150 et 250 dollars mensuels, une somme hors de portée pour les familles payées en livres. Les expulsions se multiplient, souvent sans décision judiciaire. Les propriétaires refusent les paiements en monnaie locale et privilégient les locataires disposant de revenus en devises. Dans les régions rurales, la situation n’est guère meilleure : les habitations traditionnelles nécessitent des réparations que les habitants ne peuvent plus financer. Le coût des matériaux de construction — ciment, fer, aluminium — a augmenté de plus de 400 % depuis 2019. Les ménages les plus pauvres se replient vers des logements insalubres ou des abris de fortune. L’habitat informel s’étend, notamment dans la banlieue sud et à Tripoli, où les immeubles illégaux se multiplient. L’accès au logement devient une ligne de fracture entre les détenteurs de devises et la majorité appauvrie.

Les ménages à bout de ressources

L’économie domestique libanaise fonctionne désormais sur un mode de survie. Les familles adaptent leur consommation à la volatilité des prix. Les repas sont réduits à deux par jour, la viande et les produits laitiers disparaissent des menus. Le thé et le pain remplacent les repas complets. Les enfants souffrent de carences nutritionnelles : plus de 400 000 sont en situation de risque de malnutrition modérée ou sévère. Les soins médicaux sont repoussés, les médicaments importés deviennent inaccessibles. Les pharmacies affichent des hausses de 200 à 300 % sur les traitements essentiels. L’éducation subit le même choc : les frais scolaires, indexés sur le dollar, ont doublé, forçant des dizaines de milliers d’élèves à abandonner. Dans les villes, la solidarité familiale joue encore un rôle de tampon, mais elle s’effrite à mesure que tous les foyers s’appauvrissent. Le recours à l’endettement informel est devenu systématique : les familles s’endettent auprès des épiciers ou des voisins, accumulant des dettes qu’elles ne peuvent plus rembourser.

Une classe moyenne disparue

La classe moyenne, pilier de la stabilité du pays, a pratiquement disparu. Entre 2018 et 2025, son poids dans la population est passé de 45 % à moins de 10 %. Les professions libérales, les enseignants et les petits entrepreneurs ont glissé vers la précarité. Le pouvoir d’achat des salariés a été divisé par dix. Les entreprises locales réduisent leurs effectifs ou ferment. Le secteur privé, autrefois dynamique, ne représente plus qu’un quart du PIB. Les banques, en crise depuis 2019, bloquent toujours les dépôts, empêchant toute reprise du crédit. Le commerce de détail s’effondre, remplacé par des circuits parallèles de revente et de troc. Les anciens membres de la classe moyenne tentent de préserver une apparence de stabilité en combinant plusieurs emplois précaires. Les inégalités s’accentuent : 10 % de la population détient 70 % de la richesse nationale. Ce déséquilibre mine la cohésion sociale et alimente un sentiment d’injustice généralisé.

Les stratégies de survie et l’économie parallèle

Face à la désintégration économique, les ménages développent des stratégies de survie multiples. Le troc, la micro-production et l’autoconsommation refont surface. Dans les villages, les familles cultivent leurs potagers et élèvent des volailles pour réduire leurs dépenses alimentaires. Dans les villes, des réseaux d’entraide se forment pour partager le carburant ou les abonnements aux générateurs. Les transferts de la diaspora, estimés à 7 milliards de dollars par an, maintiennent à flot de nombreuses familles. Les associations caritatives, les ONG et les institutions religieuses distribuent des colis alimentaires à des centaines de milliers de personnes. L’économie parallèle, qui représente près de 55 % de l’activité nationale, devient le moteur réel du pays. Les transactions en espèces dominent, échappant à tout contrôle fiscal. Cette informalisation de l’économie crée un nouveau type d’équilibre : fragile, instable et inégalitaire.

Un quotidien vidé de perspectives

L’inflation chronique et l’absence de protection sociale plongent les ménages dans une forme de résignation. La consommation se limite à la survie immédiate. Le sentiment d’avenir disparaît. Les jeunes adultes retardent les mariages, les naissances reculent, et l’émigration devient la seule stratégie d’ascension sociale. Plus de 250 000 Libanais ont quitté le pays depuis 2020, principalement des diplômés. Les familles se fragmentent : les transferts d’argent assurent la subsistance, mais détruisent les liens humains. La pauvreté devient le cadre ordinaire de la vie quotidienne. Dans les marchés, les conversations tournent autour du prix du pain, du carburant et du dollar. La crise a transformé la société en un espace d’attente et de survie. Les ménages s’adaptent, mais chaque ajustement accentue la dépendance à l’aide extérieure et à l’économie informelle.

Un pays sous respiration artificielle

Le Liban vit aujourd’hui sous perfusion économique. L’inflation permanente détruit la valeur de la monnaie, la fiscalité s’effondre et les institutions ne fonctionnent plus. Les experts estiment que le pays est entré dans une phase de “dollarisation sociale” : une économie duale où les privilégiés paient en devises et les autres en livres sans valeur. La Banque centrale, incapable de stabiliser la monnaie, limite ses interventions à des injections ponctuelles. Les discussions avec le Fonds monétaire international n’ont pas encore débouché sur un accord de réforme. Tant que l’inflation restera hors de contrôle, le Liban ne pourra pas reconstruire sa base productive. L’économie domestique, vidée de substance, repose sur la résilience d’une population qui s’épuise à survivre. Dans ce pays où les chiffres de la pauvreté dépassent ceux des guerres passées, l’espoir d’un redressement s’éloigne à mesure que le prix du pain grimpe.

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