mardi, mai 20, 2025

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La GAFI et la liste grise : menace sur l’économie libanaise

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Un nuage toxique enveloppe Beyrouth. En ce 3 mars 2025, le Liban reste embourbé sur la liste grise du Groupe d’Action Financière (GAFI), une désignation qui, selon Al Sharq Al Awsat, compromet gravement son accès aux marchés financiers internationaux. Inscrit sous surveillance renforcée depuis le 25 octobre 2024 pour ses failles dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, le pays voit son économie – déjà exsangue avec un PIB réduit à 22 milliards de dollars et 80 % de sa population sous le seuil de pauvreté –menacée par un isolement croissant. L’opacité bancaire et les liens présumés entre certaines institutions et desréseaux illégaux aggravent la crise, tandis que le gouvernement de Nawaf Salam, en poste depuis le 8 février,tente de rassurer par des réformes. Mais les importations vacillent, l’inflation s’emballe, des sanctions pointent,et le spectre d’une liste noire plane.

Une économie sous perfusion : le poids de la liste grise

Le placement du Liban sur la liste grise du GAFI en octobre 2024 n’est pas un coup de tonnerre inattendu. Cette décision, prise lors de la plénière de Paris, découle du rapport d’évaluation mutuelle (REM) de mai 2023, qui dénonçait des lacunes criantes : absence d’évaluation nationale des risques depuis 2012, traçabilité quasi inexistante des transactions financières, et incapacité à poursuivre efficacement les crimes financiers. Moins sévère que la « liste noire » – réservée à l’Iran et la Corée du Nord – la liste grise impose une surveillance accrue et un plan d’action correctif, avec un délai exceptionnel jusqu’en 2026 en raison de la guerre de 2024 contre Israël. Mais pour un pays déjà à genoux, cette étiquette amplifie une crise économique entamée en 2019.

Avant cette débâcle, le secteur bancaire libanais était le moteur économique, attirant 170 milliards de dollars de dépôts grâce à des taux d’intérêt exorbitants (jusqu’à 15 % en 2018). Aujourd’hui, ces fonds sont gelés, les pertes estimées à 72 milliards par le FMI en 2022 (possiblement plus en 2025), et la livre s’échange à 89 000 pour un dollar au marché noir, contre 1 507 officiellement. La guerre de 2024 – 8,5 milliards de dégâts, 3 500 morts – a détruit ports et infrastructures, tandis que l’économie dollarisée à 70 % repose sur des transactions en espèces (9,9 milliards en 2022, 46 % du PIB selon la Direction générale du Trésor français). Selon Al Sharq Al Awsat du 3 mars 2025, rester sur la liste grise complique l’accès aux marchés financiers internationaux, un handicap critique pour un pays dépendant des importations (80 % des besoins alimentaires) et des transferts de la diaspora (6 milliards en 2024). Entre isolement bancaire et pressions externes, le Liban risque de sombrer plus profondément.

L’opacité bancaire : un talon d’Achille persistant

Le nœud du problème réside dans l’opacité des transactions bancaires. Le GAFI critique un système financier où les flux échappent à tout contrôle, exacerbé par une « cash economy » galopante. Avant 2019, les banques, sous la direction de la Banque du Liban (BDL) et de Riad Salamé (gouverneur jusqu’en juillet 2023), ont prêté 50 milliards de dollars à un État au bord de la faillite, finançant une dette publique de 105 milliards (150 % du PIB en 2024). Mais une partie significative – jusqu’à 20 milliards selon un audit avorté d’Alvarez & Marsal en 2020 – aurait été siphonnée vers des comptes offshore entre 2019 et 2021, impliquant banquiers, politiciens et proches du pouvoir dans un réseau opaque.

Les soupçons de liens avec des activités illégales pèsent lourd. Le Hezbollah, classé organisation terroriste par les États-Unis et l’UE, est accusé depuis des décennies d’utiliser des banques libanaises pour financer ses opérations via des circuits parallèles – estimations de 700 millions de dollars annuels par le Trésor américain en 2022. Bien que la BDL ait imposé des contrôles en 2015 sous la pression des sanctions américaines (loi Hizballah International Financing Prevention Act), ces mesures restent superficielles : les transactions en espèces, passées de 4,5 milliards en 2020 à 9,9 milliards en 2022, contournent les radars. « Le système est une passoire », notait un rapport de Libnanews en août 2024, pointant l’absence d’audit indépendant depuis 2019 et une justice paralysée – Salamé, sous mandat d’arrêt international depuis 2023, reste intouchable localement. Cette opacité, dénoncée par le GAFI, entrave toute sortie de la liste grise.

Les conséquences économiques : importations, exportations et inflation en péril

Rester sur la liste grise du GAFI n’est pas une simple formalité : c’est un étranglement économique aux multiples facettes. Sur les importations, l’impact est immédiat. Le Liban importe 80 % de ses besoins – 15 milliards de dollars en 2023, dont 6 milliards de carburants et 3 milliards de denrées alimentaires – via des lettres de crédit gérées par des banques internationales. Depuis novembre 2024, des géants comme JPMorgan et Citibank resserrent leurs relations de correspondance avec les banques libanaises, augmentant les délais de traitement de 10 à 15 jours et les coûts de 20-30 %, selon l’Association des importateurs libanais. « Un sac de blé coûte 10 % de plus à cause des frais bancaires », déplorait un négociant du port de Beyrouth le 1er mars 2025. Ces surcoûts, répercutés sur les prix, menacent la sécurité alimentaire dans un pays où le panier moyen coûte 200 dollars mensuels, contre un revenu médian de 50 dollars.

Les exportations, bien que marginales (3,2 milliards en 2023, 15 % du PIB), souffrent aussi. Les produits agricoles – fruits, légumes, huile d’olive – et industriels (plastiques, meubles), principalement destinés au Golfe et à l’Europe, dépendent de paiements internationaux fluides. La liste grise complique les transferts, décourageant les acheteurs étrangers : les exportations vers l’Arabie saoudite, tombées de 600 millions de dollars en 2018 à 200 millions en 2024 après l’embargo de 2021, pourraient encore chuter de 10 %, selon la Chambre de commerce de Beyrouth. « Nos clients demandent des garanties qu’on ne peut plus offrir », confiait un exportateur de Tripoli le 28 février.

L’inflation, déjà écrasante à 50 % en 2024 (après 221 % en 2023), risque une nouvelle flambée. La hausse des coûts d’importation, combinée à une dévaluation persistante (89 000 livres/dollar aujourd’hui, potentiellement 100 000 d’ici juin sans réformes), pourrait porter l’inflation à 60 % en 2025, malgré une aide saoudienne de 1 milliard promise le 3 mars. Les ménages, survivant grâce aux transferts de la diaspora (6 milliards en 2024, 25 % du PIB), verront ces fonds retardés par des contrôles accrus, réduisant leur pouvoir d’achat. « Un dollar de plus sur le pain, c’est une journée sans manger », témoignait une mère de famille à Saïda le 2 mars.

Les sanctions ajoutent une couche de danger. Bien que la liste grise n’entraîne pas de sanctions directes, elle amplifie les mesures existantes : les sanctions américaines sur le Hezbollah (plus de 200 individus et entités visées depuis 2018) pourraient s’étendre à des banques suspectées de complicité, comme en 2011 avec la Lebanese Canadian Bank (fermée pour 150 millions de dollars de flux illicites). L’UE, jusque-là prudente, envisage des restrictions sur les transactions libanaises si le GAFI durcit sa position. « Chaque mois sur la liste grise nous rapproche des sanctions », avertissait l’économiste Sami Nader le 1er mars.

Le gouvernement face au défi : réguler sous pression

Le gouvernement Salam s’active pour éviter l’asphyxie. Le 1er mars 2025, le ministre de la Justice Henri Khoury a mandaté l’avocat fiscaliste Karim Daher pour diriger un comité chargé de sortir le Liban de la liste grise, selon L’Orient Today. Ce comité travaille sur trois axes : mise à jour des registres de bénéficiaires effectifs (actuellement à 30 % de conformité), renforcement de la Commission d’enquête spéciale (SIC) de la BDL avec 20 inspecteurs supplémentaires, et sanctions contre les activités non déclarées (amendes jusqu’à 500 000 dollars par infraction). Une circulaire de février 2025 oblige les banques à créer des unités anti-corruption et à signaler les personnes politiquement exposées (PPE), un effort salué par le GAFI mais jugé cosmétique sans audits indépendants.

Le plan d’action du GAFI, accepté en octobre 2024, donne au Liban jusqu’en 2026 pour corriger 10 failles, dont le financement du terrorisme et l’indépendance judiciaire. Mais les obstacles sont immenses. Le Parlement reste divisé : les réformateurs (FL, indépendants, 45 sièges) soutiennent les mesures, tandis que les protectionnistes (Hezbollah, CPL, PSP, 50 sièges) freinent, protégeant leurs réseaux. Le Hezbollah rejette toute transparence menaçant son économie parallèle, estimée à 1 milliard de dollars annuels par des experts indépendants. « Pas de capitulation face à l’Occident », tonnait Hassan Fadlallah le 2 mars, alors que Samir Geagea plaidait pour une « refonte totale ». Nabih Berri, président du Parlement, ralentit les débats, cherchant un consensus introuvable.

Une économie en sursis : entre sanctions et liste noire

Les conséquences s’alourdissent à chaque instant. Les importateurs signalent des hausses de prix de 15-20 % depuis novembre 2024, menaçant les stocks alimentaires – le blé, importé à 90 %, pourrait atteindre 300 dollars la tonne d’ici avril contre 250 aujourd’hui. Les exportateurs perdent des contrats : une firme de Sidon a vu ses livraisons vers Dubaï suspendues par manque de garanties bancaires le 27 février. L’inflation galope : un sac de pain, passé de 35 000 livres en 2024 à 50 000 en mars 2025, illustre une spirale hors de contrôle. Les sanctions, si elles s’étendent, pourraient geler 2 milliards de dollars d’actifs bancaires à l’étranger, selon une note interne de la BDL datée de janvier.

Le risque d’une liste noire plane comme une épée de Damoclès. Si le Liban échoue à respecter son plan d’action d’ici 2026, le GAFI pourrait l’y basculer – un scénario « catastrophique », selon Toufic Gaspard, économiste, le 2 mars. La liste noire entraînerait une coupure quasi totale des relations bancaires internationales, réduisant les importations à 20 % de leur niveau actuel (3 milliards de dollars) et les transferts de la diaspora de 50 % (3 milliards). « Ce serait la mort économique », prédisait-il, estimant un PIB réduit à 15 milliards d’ici 2027 dans ce cas. Les manifestations du 2 mars (5 000 déposants devant la BDL) et une grève prévue le 10 mars montrent une société prête à exploser.

Le gouvernement Salam joue son va-tout : sortir de la liste grise ou sombrer dans l’isolement. Mais entre divisions internes et résistance populaire, l’économie libanaise vacille sur un fil, menacée par un chaos sans retour.

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