Les derniers articles

Articles liés

La montée en puissance des plateformes de streaming dans le monde arabe : une révolution à double tranchant

- Advertisement -

Dans le monde arabe, l’essor fulgurant des plateformes de streaming comme Netflix, Shahid, OSN+ et StarzPlay a transformé la manière dont des millions de téléspectateurs consomment du contenu audiovisuel, supplantant progressivement les chaînes satellitaires et les salles de cinéma qui dominaient jusque-là. Ces services numériques produisent désormais des séries et des films originaux conçus pour séduire un public régional, tout en naviguant sous les contraintes des politiques de censure locales. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, portés par des investissements massifs, se positionnent comme les leaders de cette industrie naissante, reléguant les productions égyptiennes et libanaises, autrefois piliers du cinéma arabe, à un rôle secondaire. Si le streaming élargit l’accès aux contenus arabes, notamment pour la diaspora internationale, il privilégie des récits commerciaux consensuels, au détriment des films d’auteur et des œuvres engagées. Entre uniformisation culturelle, influence des capitaux du Golfe et déclin des cinémas traditionnels, cette révolution numérique redéfinit l’identité audiovisuelle arabe, offrant à la fois des opportunités inédites et des défis profonds.

Une transformation numérique : le triomphe du streaming

L’émergence des plateformes de streaming a marqué un tournant radical dans le monde arabe, bouleversant des décennies de domination télévisuelle. Netflix, qui a pénétré le marché régional avec des doublages en arabe dès son lancement, compte aujourd’hui des millions d’abonnés à travers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, une croissance spectaculaire depuis son arrivée dans la région il y a quelques années. Shahid, soutenu par le géant saoudien MBC, s’impose comme un leader local avec une audience massive, dopée par des séries phares qui attirent des dizaines de millions de vues. OSN+, basé à Dubaï, et StarzPlay, également émirati, complètent ce paysage avec des catalogues riches, mêlant productions hollywoodiennes et contenus locaux, et séduisant des millions d’utilisateurs grâce à une accessibilité sans précédent.

Cette révolution s’appuie sur une infrastructure numérique en pleine expansion. La pénétration d’Internet dans les pays du Golfe frôle les 100 %, tandis que des nations comme le Maroc ou l’Égypte atteignent des taux significatifs, portés par une jeunesse connectée – plus de la moitié de la population arabe a moins de 30 ans. La généralisation de la 5G dans les grandes villes, combinée à l’omniprésence des smartphones, a fait du streaming un mode de consommation dominant : une large majorité des abonnés regarde des séries ou des films sur des écrans mobiles, une tendance bien plus marquée que dans les marchés occidentaux. Avant cette vague numérique, les chaînes satellitaires régnaient en maître, notamment pendant le Ramadan, période de pic d’audience où des feuilletons attiraient des dizaines de millions de téléspectateurs chaque soir. Aujourd’hui, ces chaînes voient leurs revenus publicitaires s’effriter, tandis que les plateformes captent une part croissante d’un marché audiovisuel régional estimé à plusieurs milliards de dollars.

Le streaming offre une flexibilité que la télévision linéaire ne peut égaler. Les abonnements, souvent à moins de 10 dollars par mois, sont bien plus abordables que les billets de cinéma dans des villes comme Riyad ou Dubaï, où une place dépasse fréquemment les 15 dollars. Cette accessibilité, conjuguée à une offre disponible à la demande, a été amplifiée par les bouleversements des dernières années, notamment les périodes de confinement qui ont poussé des centaines de millions d’Arabes à se tourner vers leurs écrans. Ce qui a commencé comme une alternative est devenu une norme, redéfinissant les attentes d’un public désormais habitué à consommer du contenu à son rythme, loin des grilles horaires rigides des diffuseurs traditionnels.

Le Golfe à la barre : une domination par l’argent

L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis se sont imposés comme les locomotives de cette industrie naissante, grâce à des ressources financières colossales. Le marché du streaming dans le Golfe représente aujourd’hui la majorité des revenus audiovisuels de la région, éclipsant des pays comme l’Égypte et le Liban, qui dominaient autrefois grâce à leur héritage cinématographique. Riyad, dans le cadre de sa Vision 2030 visant à diversifier son économie au-delà du pétrole, a investi des sommes considérables dans des studios locaux comme MBC Studios et Telfaz11, produisant des séries à gros budget qui rivalisent avec les standards internationaux. Une série saoudienne récente, tournée avec des moyens dépassant les 10 millions de dollars, a attiré des dizaines de millions de spectateurs sur Shahid, illustrant cette ambition de grandeur. Les Émirats, quant à eux, misent sur OSN+ et StarzPlay pour positionner Dubaï comme un hub régional, avec des productions ambitieuses financées à hauteur de centaines de millions de dollars, attirant même des talents étrangers pour des coproductions avec des géants comme Netflix.

Cette puissance financière marginalise les industries historiques. L’Égypte, qui a produit des milliers de films depuis le début du XXe siècle et reste une référence culturelle, voit ses studios lutter avec des budgets annuels dérisoires comparés à ceux du Golfe, handicapés par une économie fragilisée par des années d’instabilité. Le Liban, autrefois surnommé le « Hollywood de l’Orient » pour ses drames audacieux et ses comédies raffinées, est encore plus vulnérable : sa production audiovisuelle s’est effondrée sous l’effet d’une crise économique qui a réduit ses revenus à une fraction de ce qu’ils étaient il y a dix ans. Les séries libanaises, qui brillaient autrefois sur les écrans régionaux, dépendent désormais de coproductions avec des chaînes du Golfe comme MBC ou Rotana, qui injectent des millions mais imposent leurs priorités éditoriales, souvent au détriment de l’originalité ou de la critique sociale.

Cette domination reflète aussi des objectifs politiques. L’Arabie saoudite utilise le streaming pour projeter une image de modernité, alignée sur des réformes comme l’ouverture des cinémas ou l’assouplissement des restrictions sociales, tout en gardant un contrôle strict sur les récits diffusés. Les Émirats, avec des investissements massifs dans les médias, cherchent à concurrencer les grands centres de production mondiaux, attirant des réalisateurs et des acteurs internationaux pour renforcer leur soft power. Ces ambitions contrastent avec les productions égyptiennes, souvent cantonnées à des comédies populaires à petit budget, et libanaises, dont l’audace créative est freinée par un manque de fonds et une dépendance croissante aux capitaux extérieurs, transformant des hubs culturels historiques en acteurs secondaires d’un marché dominé par les pétrodollars.

Censure et consensus : une créativité bridée

La montée des plateformes de streaming ne s’est pas faite sans compromis, la censure restant une barrière incontournable dans le monde arabe. Chaque pays impose ses propres règles : l’Arabie saoudite interdit les contenus jugés contraires aux valeurs islamiques – scènes explicites, homosexualité, critiques religieuses – tandis que les Émirats surveillent les thèmes politiques sensibles, notamment ceux liés aux soulèvements populaires ou aux rivalités régionales. Netflix, qui a cédé à la pression saoudienne en retirant un épisode satirique il y a quelques années, adapte ses productions pour éviter les controverses : une série égyptienne récente a vu ses dialogues sur la corruption expurgés pour une diffusion sans accroc. Shahid, sous l’égide de MBC, censure une part significative de ses contenus originaux, supprimant toute mention de sujets comme la laïcité ou les droits des minorités pour se conformer aux normes locales.

Cette censure entraîne une uniformisation des récits. La grande majorité des séries diffusées sur ces plateformes se concentrent sur des drames familiaux, des thrillers dépolitisés ou des comédies inoffensives, évitant les sujets qui pourraient heurter les sensibilités ou défier le statu quo. Un thriller saoudien à succès, centré sur un criminel historique, a captivé des millions de spectateurs sans jamais aborder les tensions sociales sous-jacentes, une prudence qui reflète les priorités commerciales et politiques des producteurs. Les séries libanaises, souvent coproduites avec des partenaires du Golfe, subissent le même sort : une production récente sur la crise économique a été réécrite pour éliminer toute critique des bailleurs de fonds saoudiens, sacrifiant sa portée au profit d’une audience plus large mais moins exigeante. Cette tendance relègue les films d’auteur – des œuvres primées internationalement qui explorent la pauvreté, la guerre ou les inégalités – à des plateformes marginales ou à des festivals, où elles peinent à rivaliser avec les budgets et la visibilité des blockbusters numériques.

Les plateformes privilégient également la quantité sur la qualité. Netflix produit désormais une quinzaine de séries arabes par an, contre une poignée il y a quelques années, mais la plupart adoptent des formats courts conçus pour une consommation rapide, répondant à la demande d’un public jeune habitué au visionnage intensif. Shahid, avec une vingtaine de séries annuelles, recycle souvent des succès turcs ou indiens adaptés au goût local, tandis que OSN+ mise sur des coproductions à gros budget mais peu risquées artistiquement. Cette course à la production, qui génère des revenus substantiels, marginalise les œuvres engagées : sur des dizaines de séries originales proposées chaque année, seules quelques-unes osent aborder des thèmes comme les conflits régionaux ou les droits humains, et elles attirent bien moins de vues que leurs homologues commerciaux, limitant leur influence dans un paysage dominé par le divertissement pur.

Une audience élargie : la diaspora et au-delà

Le streaming a ouvert les contenus arabes à un public mondial, en particulier la diaspora – des millions d’Arabes vivant en Europe, en Amérique du Nord et ailleurs. Netflix, avec une portée dans près de 200 pays et des sous-titres en dizaines de langues, a exporté des séries jordaniennes ou égyptiennes à des audiences internationales, cumulant des dizaines de millions de vues hors de la région. Shahid, accessible dans plus de 150 pays, cible les expatriés saoudiens et émiratis avec des drames familiaux qui résonnent avec leur nostalgie, tandis que StarzPlay séduit un public occidental curieux des thrillers orientaux. Une part croissante des abonnés à ces plateformes réside hors du monde arabe, générant des centaines de millions de dollars de revenus internationaux et offrant une visibilité sans précédent à une industrie longtemps cantonnée à ses frontières.

Cette expansion marque une rupture avec le passé. Avant l’ère du streaming, les films arabes dépendaient des festivals internationaux ou des chaînes piratées pour atteindre un public étranger, avec des audiences limitées à quelques millions de spectateurs au mieux. Aujourd’hui, une série syrienne sur les marchés traditionnels peut attirer des millions de vues en Europe ou au Canada, surpassant largement les chiffres des sorties en salles d’œuvres similaires il y a une décennie. Les algorithmes des plateformes, qui recommandent ces contenus à des centaines de millions d’utilisateurs mondiaux, amplifient cette portée, offrant une vitrine globale à des récits qui étaient autrefois cloisonnés. Cependant, cette ouverture privilégie les productions grand public : une comédie égyptienne légère peut dominer les classements internationaux, tandis qu’un drame social poignant sur les réfugiés reste confiné à un public restreint, malgré sa disponibilité en ligne.

La diaspora joue également un rôle économique crucial. Les expatriés libanais, dont le nombre a explosé ces dernières années, financent une part significative des séries locales via des abonnements ou des dons en ligne, soutenant des productions qui reflètent leur identité culturelle. Une série sur une catastrophe récente au Liban a ainsi levé des fonds substantiels auprès de cette communauté, illustrant une connexion vitale dans un contexte de crise économique régionale. Pourtant, cette manne tend à renforcer les contenus consensuels, les donateurs privilégiant souvent des récits accessibles plutôt que des œuvres expérimentales, limitant l’impact de cette ouverture sur la diversité artistique.

Les salles de cinéma en péril : un déclin inexorable

L’essor du streaming a un revers majeur : la chute drastique de la fréquentation des cinémas dans le monde arabe. Les salles, qui attiraient des dizaines de millions de spectateurs chaque année il y a une décennie, ont vu leur public se réduire de manière significative, passant sous la barre des 100 millions dans la région. En Arabie saoudite, où les cinémas ont rouvert après une interdiction de plusieurs décennies, des centaines d’écrans flambant neufs ont vu leurs recettes s’effondrer malgré des films à succès, les spectateurs optant pour le confort du streaming à domicile. Aux Émirats, les multiplexes ultramodernes de Dubaï et Abu Dhabi, qui généraient des centaines de millions de dollars avant la pandémie, enregistrent une baisse constante des entrées, les nouveautés étant disponibles en ligne quelques semaines après leur sortie.

L’Égypte, berceau du cinéma arabe, subit une crise encore plus marquée. Les salles du Caire, qui accueillaient des millions de spectateurs dans les années fastes, peinent à remplir leurs sièges, les billets devenant un luxe pour une population touchée par l’inflation et la pauvreté. Au Liban, où l’industrie cinématographique a été dévastée par une crise économique prolongée, la majorité des cinémas ont fermé leurs portes, et les rares survivants attirent une fraction de leur public d’antan – quelques centaines de milliers de spectateurs contre des millions il y a dix ans. Les films locaux, souvent disponibles sur des plateformes comme OSN+ ou Shahid dès leur sortie ou peu après, perdent l’attrait de l’expérience collective en salle, les spectateurs préférant l’intimité et l’économie du visionnage domestique.

Ce déclin menace une industrie déjà fragile. Les recettes des cinémas dans le monde arabe ont chuté de moitié par rapport à leur pic, et de nombreux exploitants envisagent de fermer leurs portes sans un soutien public ou privé qui semble hors de portée dans des économies en difficulté. L’Arabie saoudite tente de résister avec des politiques d’exclusivité – retardant la sortie en streaming de certains films – mais cette stratégie peine à inverser une tendance où les abonnements mensuels, souvent moins chers qu’une seule place de cinéma, séduisent un public lassé des contraintes physiques et financières des salles. Cette transition marque la fin d’une ère où le cinéma était un rituel social, remplacé par une consommation individualisée qui redéfinit les dynamiques culturelles de la région.

Une révolution ambiguë : entre progrès et perte d’identité

La montée en puissance des plateformes de streaming dans le monde arabe est une révolution ambiguë, porteuse de progrès mais aussi de risques. Elle a démocratisé l’accès au contenu : des dizaines de millions de personnes, de l’Algérie à l’Irak, consomment désormais des séries et des films à la demande, un bond spectaculaire par rapport aux audiences limitées des chaînes traditionnelles il y a dix ans. La diaspora, forte de millions d’individus, y trouve un lien précieux avec ses origines, générant des revenus qui soutiennent une industrie en quête de fonds. Les plateformes créent des emplois – des milliers de techniciens, acteurs et réalisateurs travaillent sur des productions originales – et rivalisent avec les standards internationaux grâce à des budgets dopés par le Golfe, offrant des séries visuellement sophistiquées qui attirent un public mondial.

Mais ce progrès a un coût culturel. L’uniformisation des contenus, sous l’effet de la censure et des impératifs commerciaux, étouffe la diversité qui faisait la richesse du cinéma arabe : les drames historiques ou sociaux audacieux, qui dominaient les écrans dans les années 1980, cèdent la place à des récits formatés pour plaire au plus grand nombre. Les films d’auteur, salués dans les festivals mais ignorés par les algorithmes, peinent à trouver leur place, tandis que les productions égyptiennes et libanaises, jadis emblématiques, s’effacent devant l’hégémonie du Golfe. Les séries turques ou indiennes, souvent plus audacieuses et moins censurées, captent une part croissante des audiences, menaçant l’identité narrative arabe au profit d’un modèle globalisé.

Les cinémas, symboles d’une expérience collective, s’effacent devant une consommation solitaire, tandis que la jeunesse, majoritaire dans la région, se détourne des récits complexes pour des divertissements immédiats. Cette révolution, qui a porté les contenus arabes sur la scène mondiale, risque de sacrifier leur profondeur sur l’autel du profit et de la prudence politique. Entre une visibilité sans précédent et une perte d’âme, le streaming redessine l’avenir audiovisuel arabe, laissant ouverte la question : cette industrie deviendra-t-elle un vecteur de culture ou un simple produit de consommation ?

- Advertisement -
Newsdesk Libnanews
Newsdesk Libnanewshttps://libnanews.com
Libnanews est un site d'informations en français sur le Liban né d'une initiative citoyenne et présent sur la toile depuis 2006. Notre site est un média citoyen basé à l’étranger, et formé uniquement de jeunes bénévoles de divers horizons politiques, œuvrant ensemble pour la promotion d’une information factuelle neutre, refusant tout financement d’un parti quelconque, pour préserver sa crédibilité dans le secteur de l’information.

A lire aussi