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Le secret bancaire et gestion des pertes au centre du débat de la nomination de Karim Souaid

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Le 28 mars 2025, le Liban se trouve à un carrefour décisif dans sa tentative de réformer un système financier ravagé par une crise débutée en 2019. Parmi les mesures phares, la levée partielle du secret bancaire, pilier historique du modèle bancaire libanais, est en cours d’examen, tandis que la question du partage des pertes bancaires – estimées à plus de 72 milliards de dollars – cristallise les tensions. Le nouveau gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Karim Souaid, nommé le 27 mars, se retrouve au centre d’une controverse sur la responsabilité des banques, alors que le gouvernement cherche à concilier transparence, justice sociale, et pressions internationales. Ces enjeux, relayés par Al Joumhouriyat, Al Akhbar, et Al Liwa’ ce jour-là, mettent en lumière les défis d’un pays en quête de redressement économique.

Levée du secret bancaire : un pas vers la transparence

La réforme de la loi sur le secret bancaire, en vigueur depuis 1956, figure parmi les priorités du gouvernement libanais pour restaurer la crédibilité d’un secteur financier en lambeaux. Selon Al Joumhouriyat du 28 mars 2025, un projet d’amendement a été approuvé lors d’une récente séance ministérielle, visant à faciliter les enquêtes sur les transferts illégaux de fonds et les pratiques de dissimulation fiscale. Soutenu par la Banque mondiale, ce texte est présenté comme un outil clé pour rétablir la confiance des déposants, dont les fonds – plus de 100 milliards de dollars – restent gelés depuis cinq ans.

Historiquement, le secret bancaire a été un atout majeur du Liban, attirant des capitaux étrangers grâce à une confidentialité quasi absolue. Cependant, depuis l’effondrement économique de 2019, il est devenu un symbole d’opacité, accusé d’avoir protégé des élites politiques et financières qui auraient siphonné des milliards de dollars à l’étranger, tandis que les citoyens perdaient l’accès à leurs épargnes. Des audits préliminaires, comme celui d’Alvarez & Marsal interrompu en 2020, avaient révélé des flux suspects, mais l’absence de transparence avait bloqué toute avancée significative.

Le projet d’amendement, selon Al Joumhouriyat, autoriserait l’accès aux données bancaires dans le cadre d’enquêtes judiciaires ou fiscales, sous la supervision d’une commission indépendante. Cette mesure répond aux exigences de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), qui conditionnent leur aide à une transparence accrue. Pour les déposants, elle offre une lueur d’espoir : identifier les responsables des pertes et récupérer des actifs détournés pourrait poser les bases d’une indemnisation, bien que limitée. Cependant, des banquiers et certains politiciens, cités anonymement par Al Liwa’, s’inquiètent qu’une levée trop large du secret bancaire ne décourage les investisseurs étrangers, dans un pays qui rêve de redevenir un hub financier régional.

Gestion des pertes bancaires : Karim Souaid sous pression

La question du partage des pertes bancaires, estimées à 72 milliards de dollars par la Banque mondiale, reste le nœud gordien des réformes financières. Lors d’une séance ministérielle récente, relayée par Al Akhbar le 28 mars 2025, plusieurs ministres ont interpellé Karim Souaid sur la responsabilité des banques dans cette crise. Selon le journal, Souaid aurait répondu que « le droit de propriété est garanti par la Constitution » et que toute solution doit respecter l’article 15, semblant ainsi rejeter une contribution directe des établissements financiers aux pertes accumulées.

Cette position a immédiatement suscité des critiques acerbes. Al Liwa’ rapporte que des membres du gouvernement craignent que Souaid, fraîchement nommé dans un climat de controverse, ne cherche à protéger les banques au détriment des déposants. Cette crainte est alimentée par son profil : connu pour son opposition aux conditions strictes du FMI, Souaid semble privilégier une approche conservatrice, où l’État et les épargnants absorberaient l’essentiel des pertes, plutôt que de responsabiliser les actionnaires bancaires. Cette ligne rappelle celle de Riad Salamé, gouverneur de la BDL pendant 30 ans, accusé d’avoir favorisé les intérêts des banques au prix d’une ingénierie financière désastreuse.

Le débat oppose deux camps. D’un côté, les défenseurs des déposants – certains ministres et des ONG locales – exigent que les banques, qui ont engrangé des profits colossaux via des taux d’intérêt allant jusqu’à 15 % avant 2019, contribuent via une recapitalisation ou une réduction de leurs actifs. De l’autre, Souaid et ses soutiens arguent que forcer les banques à assumer ces pertes violerait les droits constitutionnels et risquerait de provoquer leur effondrement total, paralysant une économie déjà exsangue. Cette impasse reflète une tension fondamentale entre justice sociale et stabilité financière, dans un pays où les deux sont désespérément nécessaires.

Critiques et attentes : transparence et indemnisation

La stance de Karim Souaid a ravivé les divisions au sein du gouvernement et de la société civile. Al Liwa’ cite des ministres anonymes qui dénoncent une politique qui « sacrifie les petits épargnants » – ceux dont les dépôts, souvent inférieurs à 100 000 dollars, représentent des années d’économies – pour préserver les intérêts des actionnaires bancaires. Des ONG locales, comme Kulluna Irada et Legal Agenda, ont intensifié leurs campagnes, réclamant la publication intégrale des audits bancaires, suspendus depuis 2020 sous la pression des lobbies financiers. Ces audits pourraient révéler l’ampleur des prêts douteux accordés à des proches du pouvoir et des transferts illicites estimés à 20 milliards de dollars entre 2017 et 2019, selon l’économiste Toufic Gaspard.

Ces organisations plaident aussi pour la création d’un fonds d’indemnisation pour les petits déposants, financé par une taxe sur les profits bancaires passés ou par la récupération des fonds détournés à l’étranger. La levée du secret bancaire, si elle est effective, pourrait faciliter cette traque, mais son succès dépendra d’une justice indépendante – un défi dans un système gangréné par la corruption – et d’une volonté politique claire, mise en doute par la position de Souaid. Sans ces mesures, les déposants risquent de rester les principales victimes d’une crise qu’ils n’ont pas causée.

Contexte : une crise financière historique

La crise financière libanaise, déclenchée en 2019, résulte d’un modèle économique basé sur une dette publique insoutenable (plus de 100 milliards de dollars en 2025), une politique monétaire risquée de la BDL, et une dépendance excessive aux dépôts étrangers. Les banques, attirant des capitaux avec des taux d’intérêt élevés, ont investi massivement dans des bons du Trésor, créant une pyramide de Ponzi qui s’est effondrée lorsque les flux se sont taris. Depuis, les déposants sont limités à des retraits mensuels de 100 à 200 dollars, tandis que leurs fonds restent bloqués, alimentant une colère sociale profonde.

La nomination de Karim Souaid, soutenue par une coalition incluant le président Joseph Aoun et Nabih Berri, a été critiquée pour son opacité et son apparente continuité avec les politiques passées. Son refus d’imposer une contribution directe des banques contraste avec les exigences du FMI, qui conditionne un prêt de 3 à 4 milliards de dollars à une restructuration bancaire impliquant la fermeture des établissements insolvables et une recapitalisation par les actionnaires. Cette divergence menace de prolonger l’isolement financier du Liban, alors que l’économie stagne et que l’inflation dépasse 200 % depuis 2024.

Implications économiques et sociales

La levée du secret bancaire, si elle est mise en œuvre, pourrait marquer un tournant en exposant les flux illicites et en facilitant la récupération d’actifs détournés, un préalable à toute indemnisation des déposants. Cependant, son efficacité dépendra de la capacité des autorités à surmonter les résistances internes et à garantir des enquêtes impartiales, un défi dans un pays où la justice est souvent influencée par les élites. Pour les déposants, cette transparence offre une chance de justice, mais sans fonds concret, leurs pertes resteront irrécupérables.

La gestion des pertes bancaires, telle que défendue par Souaid, a des conséquences majeures. Si l’État assume l’essentiel du fardeau, la dette publique s’alourdira, nécessitant des impôts supplémentaires ou une aide internationale massive, dans un contexte où les caisses sont vides. Si les déposants subissent un haircut massif (80-90 %), comme envisagé dans certains scénarios, la classe moyenne – déjà décimée – disparaîtra, aggravant une crise sociale où 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale. Cette approche protégerait les banques, mais au prix d’une injustice criante pour les épargnants, risquant de raviver les tensions sociales qui avaient explosé en octobre 2019.

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