Liban: Entre hier et demain

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Entre hier et demain, le temps passe et nos espoirs pour des lendemains meilleurs se font attendre… Des générations d’enfants sont nées dans une ambiance de guerre et manque de stabilité. Les enfants d’hier sont devenus les adultes d’aujourd’hui et les adultes d’hier, dont une bonne partie, nous ayant déjà légué le flambeau, avaient espérer des lendemains meilleurs pour nous, enfants d’hier et adultes d’aujourd’hui.

Je suis de cette génération qui porte le flambeau, cette génération sacrifiée par la guerre de 1975, une génération qui a connu « hier et demain », le Liban d’avant guerre et le Liban d’aujourd’hui. Qui sait de quoi demain sera fait ? Des années se sont succédées et chacun de nous a eu sa part des difficultés. Le pays s’est enfoncé, le paysage s’est transformé, les visages ont changé et le libanais peine toujours à retrouver sa place d’antan …

Que se passe-t-il au pays du cèdre ? Le peuple, épuisé par tant d’années de guerre et d’instabilité, s’est trouvé à sa façon une manière de survivre : « ytannish » (faire la sourde oreille). Vivre d’une génération à une autre dans un état de conflit est devenu pour le libanais un mode de vie. Insatisfait, étouffé, étranglé par le manquement de l’Etat à ses minimums vitaux, la réaction du peuple face à cela ne rend plus l’image réelle par rapport à son vécu. Le dynamisme de ce peuple ne reflète pas le dur quotidien et ne montre pas le degré de sa privation. Une sorte de laisser-aller dans sa façon d’exiger qui se résume par « Hayda lebnen » (c’est ainsi le Liban) ou par « ma fi dawlé » (l’Etat est absent). C’est ce que je ressens de vos écrits, de vos commentaires, de vos réactions et de vos envies d’un lendemain meilleur… Des questions, des interrogations auxquelles je n’aurai pas de réponse. Le comble, c’est quand ces deux expressions sont exprimées par des députés ou des ministres eux-mêmes au Pouvoir.

Depuis plusieurs mois, en dépit des dangers qui menacent le pays, les Libanais n’ont plus de Président. Comment a-t-on laissé faire ? La vie continue et je sens à distance une sorte de nonchalance ou un désespoir qui suffoque les esprits les plus révoltés. Face à Daech qui décapite aux pays frontières et l’armée prise au piège au sein du pays, le Liban est décapité par ses propres citoyens… Hommes politiques et citoyens tous ensemble… Quand les uns boycottent et s’imposent par la force, les autres se réfugient dans leur passé, le réinventent, le ressuscitent. On réintroduit alors les slogans de ceux assassinés en guise de souvenir ou de mémorisation, ou déculpabilisation. On s’attache à un espoir meurtri et on ressasse des idées, on s’accroche au passé … Et pourtant, en regardant devant nous, notre présent, et face à nous, notre avenir,  il y aurait des choses qui mériteraient bien un arrêt ; un face à face qui serait à la hauteur d’un renouveau et des idées qui méritent d’être dites et d’exister et une question à nous remémorer : « Entre les dysfonctionnements d’hier et les exigences de demain, quel avenir pour la République ? » 

Entre hier et demain … Nul besoin d’aller loin … Je vous invite à la réflexion autour d’un parcours, celui de « l’homme Président »  et le « Président homme ». Parcours d’un chef d’Etat pas comme les autres et ce en dépit des remarques des uns et des autres qui jugent le présent comme absent et qui nient que ce Président, cet homme d’Etat ait pu faire la différence.

Il quitte le palais présidentiel sans remettre le flambeau à un successeur qui prendrait la relève.  Tout un symbole en danger : la retransmission des valeurs clés de la souveraineté. C’est une image qui me fait froid dans le dos et qui reflète dans un premier plan, l’échec de nos hommes politiques adossé par le silence et l’attitude amorphe des libanais.

Que retiendra  l’histoire de tout cela ? En dépit de la satisfaction des uns et la déception des autres, sommes-nous capables aujourd’hui de voir le côté positif de son mandat, de son parcours d’homme d’Etat, de sa diplomatie raffinée, sans qu’on tombe dans le piège des critiques acharnées et des  accusations à tort et à travers ?

Se contenter de quelques lignes pour résumer son sextennat serait une chose difficile, un dur exercice, car il faudra aller à l’essentiel. Le but de mon article n’est pas de faire son éloge, c’est plutôt de rappeler des bribes d’articles, des citations, et/ou d’écrire ici les éléments positifs qui ont fait la différence, la valeur ajoutée de « l’homme Président », de son mandat, les positions entreprises, engagées qui font de lui,  la différence. Je me donne le droit ici, de réfléchir avec vous, librement dans le seul objectif de comprendre, tout simplement, avec le recul nécessaire, la résultante d’un sextennat. Pour un écrivain, un auteur, un artiste, ou chef de projet, quantifier la durée de son travail se traduit par l’aboutissement de son œuvre. Mais pour un homme politique, un Chef d’Etat, qu’elle est l’œuvre qui symbolise le plus son mandat et qui fait de lui sa différence ? Des articles ?  Des déclarations ? Que retiendra l’histoire de l’homme Président ?

Michel Sleiman, « L’homme Président » dont la fin de mandat remonte à mai dernier (2008-2014) et le «  Président homme » dont le parcours politique se poursuit, laisse à son successeur une « présidence régénérée », un renouvellement moral, un amendement de ce qui a été corrompu.  Ainsi, Il ne ressemble à aucun de ses prédécesseurs. Son premier souci dans la poursuite de son action politique sera « l’application de la constitution, sa protection et son renforcement par l’application de la déclaration de Baabda. Si cela est atteint, je me retire de la politique, mais sinon j’emploierai tout moyen légal y compris la création d’un parti, mais surement pas confessionnel et encore moins en le créant de l’extérieur du Liban » [conf. du 26 novembre à Paris].

A son arrivée au Pouvoir, un rêve et une forte ambition et c’est sur un appel au dialogue qu’il termine son mandat. « Un mandat qui s’achève sur une politique d’équilibre positif », consacrée par sa déclaration de Baabda, qui prône la neutralité à l’égard des axes régionaux.

Commandant des  Forces armées libanaises en 1988, il est le 12e président de la République depuis l’indépendance du pays élu en 2008.  Il fut le « candidat de compromis » pour succéder à Emile Lahoud. Ce n’est qu’à la vingtième séance parlementaire, le 25 mai 2008, qu’il sera élu président de la République.  En sa qualité de « garant de l’accord de Doha », il est investi par le président du Parlement mettant ainsi fin à six mois de vacance de la présidence de la République libanaise. Je rappelle, qu’aujourd’hui, à l’heure où je vous écris, vos chers députés, qui se sont autoproclamés dans le renouvellement de leur mandat en dépit des vos contestations, sont à leur 17ème séance d’échec parlementaire. L’Assemblée libanaise tente depuis plusieurs mois de donner un nouveau président au Liban. « Une élection difficile qui met en lumière la complexité du système institutionnel et confessionnel libanais, mais aussi les méandres des alliances qui font la politique de l’une des très rares démocraties de la région. »

Après Fouad Chehab en 1958, Emile Lahoud en 1998, Michel Sleiman est ainsi le 3ème  commandant en chef de l’armée à accéder à la présidence. Mais il est le 1er  à enchaîner ces deux fonctions sans période de carence. Son discours d’investiture, fut considéré « digne d’un document historique, susceptible, s’il était appliqué, de remettre le Liban dans le concert des Nations ».  Mais avant lui, d’autres présidents avaient eu cette même volonté : « Un Liban, Etat souverain, libre et indépendant ». Bachir Gemayel (1982) et Renée Mouawad (1989) n’ont jamais pu mettre en application leurs promesses, ils ont été tués avant même la prise de leur fonction. Et c’est là que je voudrai aboutir. C’est de son vivant à lui, à l’homme Président, que j’aimerai qu’on lui reconnaisse sa valeur ajoutée car je ne suis pas du genre à pleurer sur mes lauriers ni à vouloir ressasser la gloire du passé mais plutôt pragmatique et réaliste. Dans son discours d’investiture, il avait insisté « sur la nécessité de réaliser l’équilibre requis entre les prérogatives et les responsabilités d’une manière qui permette aux institutions, y compris la présidence de la République, d’assumer pleinement le rôle qui leur incombe » 

Sa différence, s’affirme déjà dans le fait  qu’il impose dès son arrivée, une « relation d’égal à égal » avec la Syrie, relation évoquée d’emblée dans son discours d’investiture.  Ainsi,  il a rompu avec ses prédécesseurs : “Nous aspirons à des relations de fraternité entre le Liban et la Syrie, sur base du respect mutuel de la souveraineté et des frontières de chaque pays, ainsi que de l’établissement de relations diplomatiques qui profiteront à nos deux pays” (mai 2008).  Malgré les pauvres moyens dont il disposait, l’homme Président tente à plusieurs reprises d’affirmer les assises de son mandat. Avouons que le dossier brûlant des relations avec la Syrie a empoisonné son sexennat. Dès le départ, il a tenu à des relations entre deux pays voisins et frères, mais en précisant « des relations équilibrées et à égalité, avec la nouvelle ère entamée avec le retrait des forces syriennes du Liban » d’une part, et d’autre part, par  l’établissement des relations diplomatiques entre les deux. Sous son mandat, le Liban obtient la première reconnaissance syrienne d’un Liban souverain et indépendant en 65 ans de relations bilatérales : il s’agit de la normalisation des relations diplomatiques libano-syriennes, en août 2008 en ouvrant  des ambassades dans leur capitale respective.

Il fait part aussi de sa volonté de « réhabiliter les prérogatives de la Présidence » et  de « redonner aux Libanais de la diaspora leur citoyenneté libanaise » affirmant que  « les libanais de la diaspora méritent plus la nationalité libanaise que ceux qui ont été indûment naturalisés. D’autant plus que le Liban a besoin des compétences des libanais de l’étranger pour se remettre à niveau du monde moderne ».

Si Le mandat de Béchara el-Khoury fut celui l’indépendance, le mandat de Camille Chamoun, celui de la prospérité, et le mandat de Fouad Chéhab, celui de la réforme. La « neutralité » du Liban est en passe de devenir la marque de son mandat.  Ce terme de « neutralité du Liban » apparaît pour la première fois sous son mandat dans un document officiel nommé « la déclaration de Baabda » en juin 2012. L’un des 17 points stipule qu’il faut neutraliser le Liban par rapport à la politique des axes et des conflits régionaux et internationaux, et le tenir à l’écart des retombées négatives des tensions et des crises régionales » Il précise : « Nous avons opté dans le cadre de la déclaration de Baabda pour le principe de la neutralité, qui était une revendication libanaise depuis des décennies […] Le Liban ne sera jamais désormais un terrain pour régler des comptes. »

Quant à sa Stratégie de défense pour intégrer les armes de la résistance dans le cadre de la légalité (septembre 2012) Michel Sleiman avait une vision claire du Liban qu’il voulait. Sa lutte pour le recouvrement des prérogatives de l’Etat le place en confrontation avec le Hezbollah. En mai 2013,  il rappel qu’il est possible de « profiter des armes de la résistance en attendant que l’armée soit adéquatement équipée”, mais que cet usage doit se faire en soutien à l’armée, conformément aux besoins de cette dernière et à sa demande, et ce afin de faire face à une agression israélienne sur le territoire libanais et uniquement sur le territoire libanais ».

Son sextennat témoigne de ce passage du triptyque armée-peuple-résistance au triptyque “terre-peuple-valeurs communes” ; un face à face à Hezbollah et la question de l’armement. En aout 2012, lors du 67e anniversaire de la fondation de l’armée, il concentre son allocution sur le problème des armes illégales et la place que devrait occuper l’armée dans toute stratégie de défense. Il affirme sur ce plan que « la souveraineté, la sécurité et l’usage de la force sont du seul ressort de l’armée”, l’usage de la force étant “un droit exclusif dont jouit l’État. » […] « La terre, le peuple et les valeurs communes forment le triptyque en or pour la patrie, le seul à même de lier son passé à son futur » (mars 2014).

N’oublions pas non plus son « Non » ferme à une nouvelle Constituante que le Hezbollah voudrait instituer pour substituer les trois tiers, sunnite-chiite-chrétien, à la parité islamo-chrétienne de Taëf : « “Poursuivons l’application de l’accord de Taëf, ajoute-t-il. Cet accord a instauré un filet de sécurité constitutionnel sur lequel nous comptons, malgré ces circonstances exceptionnelles et difficiles. »

En dernier, faudra rappeler aussi, que dans les orientations léguées à son successeur, Il redit son attachement au principe de la parité aussi bien au Parlement que dans le Sénat qui devrait voir le jour. Il a aussi appelé à des amendements de la Constitution notamment deux points clés : le droit du pouvoir exécutif de «dissoudre pour une fois le Parlement en cas de nécessité».  Le pouvoir du chef de l’Etat de former un gouvernement et le mode de vote au sein du cabinet. C’était  pour lui la seule façon de remédier aux failles qui sont autant d’obstacles à la bonne marche des institutions.

Après son mandat, « l’homme Président » poursuit sa feuille de route. A Paris, lors de sa conférence du 26 novembre dernier, à l’initiative de la 3ème Voix, et toujours fidèle à ses principes et ses convictions « le Président homme »  libéré de ses contraintes présidentielles, avait dévoilé « un profil de leader jusqu’ici méconnu » : « Nous sommes ici, pour penser aux exigences de demain à travers l’inspiration fondatrice du Liban. À savoir, comment constituer une conscience commune pour la sauvegarde et la promotion des valeurs qui ont fait le Liban, et qui nous semblent défaites à l’heure actuelle » a-t-il dit.

J’invite chaque libanais à dresser aussi son propre bilan en tant que citoyen responsable Je Dénonçant aussi le système et ses lacunes, c’est à chaque citoyen ou émigré de se demander sa part de contribution face aux renouveaux que L’homme Président a voulu apporter au pays…

Des déceptions ? Des regrets ? Des échecs ? Peut-être. Mais face à la déception, ne  devrait-on pas être en mesure d’avouer un minimum de satisfaction ?  Face au regret, ne devrait-on pas avoir de consolation ?  Et face à l’échec ne devrions pas penser à la réussite ? Instaurer un équilibre entre le donneur et le receveur ? Certes en tant que Président, certains me diraient qu’il pouvait tout faire. Mais que pouvait faire un Président avec un peuple qui réclame sans cesse l’absence de l’Etat mais laisse les rues vides marquant son absence du terrain ? La rue ne vous appartient-elle pas ? Que faire d’un peuple quand sa parole est kidnappée et se laisse abandonner sous prétexte que la vie est ainsi au  pays ??? La différence, quand elle vous est stipulée par écrit, ne vous appartient-elle pas ?  C’est à vous peuple de se l’approprier, c’est à vous de la réclamer et de l’exiger …

Faire la différence, c’est exiger un changement profond dans notre manière de réagir face à ceux qui vous dépouillent de nos droits civiques et moraux. Dieu Merci, le pays est encore riche de ces volontaires convaincus par le changement, ce n’est pas ça qui manque. Ce qui manque c’est votre rassemblement vous tous vers une seule direction : la souveraineté du pays.

D’ici là je vous souhaite de bonnes fêtes de fin d’année, en vous espérant des jours meilleurs. Je vous souhaite un bon réveil national et peut-être le père Noël dévoilera pour nous cette année le nom d’un successeur afin de garantir au pays sa souveraineté.

Jinane Chaker-Sultani Milelli

Jinane Chaker Sultani Milelli
Jinane Chaker-Sultani Milelli est une éditrice et auteur franco-libanaise. Née à Beyrouth, Jinane Chaker-Sultani Milelli a fait ses études supérieures en France. Sociologue de formation [pédagogie et sciences de l’éducation] et titulaire d’un doctorat PHD [janvier 1990], en Anthropologie, Ethnologie politique et Sciences des Religions, elle s’oriente vers le management stratégique des ressources humaines [diplôme d’ingénieur et doctorat 3e cycle en 1994] puis s’affirme dans la méthodologie de prise de décision en management par construction de projet [1998].

2 COMMENTAIRES

  1. Quel est le choix que l’on donne à nos enfants ?
    La guerre ou la paix, le respect ou la haine, l’espoir ou la peur ?

    Comme il est dommage de voir des grands peuples chargés d’histoire et ayant un passé
    généalogique commun puissent se détester.
    Pourtant le Liban ne cesse pas de rêver, d’espérer, et tente d’avoir la paix.

    Merci Jinane de mettre le doigt sur la blessure… Mais il parait bien que nos chefs font la sourde oreille.

    • Sacrées questions que vous posez Mme Andrée Asmar, mais vous posez les bonnes. Quel dilemme puisque nous connaissons les réponses mais on ne nous laisse pas agir. Espérons que des expressions libres comme le fait Jinane et d’autres, et l’appui que nous pourrons apporter, puissent être le déclencheur d’un réveil et d’une prise de conscience. En résumé le début du changement.

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