Une reconstruction sous conditions internationales
Le Liban, ravagé par plus d’un an de guerre entre Israël et le Hezbollah, fait face à un défi colossal : reconstruire un pays en ruines. Selon une estimation de la Banque mondiale datée du 28 mars 2025, il faudrait 11 milliards de dollars pour rebâtir les infrastructures détruites. Mais cette aide internationale, cruciale pour le redressement, est conditionnée à une exigence majeure : le désarmement du Hezbollah.
Le ministre libanais des Affaires étrangères, Youssef Rajji, a confirmé cette réalité dans une interview accordée à Asharq al-Awsat le 11 avril 2025. Les États-Unis, par la voix de l’envoyée spéciale pour le Moyen-Orient, Morgan Ortagus, ont clairement indiqué que l’aide financière ne viendra pas sans réformes économiques et un monopole de l’État sur les armes. Cette position, relayée par plusieurs médias internationaux, reflète un consensus parmi les donateurs occidentaux.
Le poids de la dette et de la destruction
Le conflit, qui s’est intensifié en septembre 2024 avant de s’achever par un cessez-le-feu fragile le 27 novembre, a laissé des cicatrices profondes. Selon le ministère libanais de la Santé publique, plus de 4 000 personnes ont été tuées et 16 000 blessées. Environ 1,2 million de Libanais ont été déplacés, et 100 000 logements sont endommagés ou détruits. Les régions du sud, de la Bekaa et la banlieue sud de Beyrouth, bastions du Hezbollah, sont particulièrement touchées.
Le gouvernement libanais, dirigé par le Premier ministre Nawaf Salam et le président Joseph Aoun depuis janvier 2025, manque de ressources pour financer la reconstruction. Le ministre des Finances, Yassine Jaber, a déclaré le 10 avril 2025 que l’État ne pouvait couvrir « pratiquement aucun » des coûts. Dans ce contexte, le Hezbollah, affaibli militairement, a déjà injecté 650 millions de dollars pour le logement et la restauration, selon un rapport d’Al Akhbar du 28 février 2025. Mais cette aide, financée en partie par l’Iran, ne suffit pas face à l’ampleur des besoins.
Le désarmement du Hezbollah, une condition incontournable
Le Hezbollah, classé comme organisation terroriste par les États-Unis et plusieurs pays, reste un acteur central au Liban. Sa puissance militaire, estimée à 120 000 à 200 000 missiles avant le conflit, a été réduite mais pas éliminée. Les résolutions 1559 et 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptées respectivement en 2004 et 2006, exigent le désarmement de toutes les milices au Liban, y compris le Hezbollah, et la sécurisation du sud par l’armée libanaise.
Morgan Ortagus, lors de ses visites à Beyrouth, a insisté sur l’urgence de ces réformes. Dans une interview à Al-Arabiya le 9 avril 2025, elle a salué les efforts du gouvernement tout en soulignant que « beaucoup reste à faire ». Les États-Unis conditionnent leur soutien, incluant 117 millions de dollars d’aide militaire annoncés le 16 janvier 2025, à une application rigoureuse de la résolution 1701. Cette dernière impose le retrait des forces du Hezbollah au nord du fleuve Litani et le contrôle exclusif de l’armée libanaise dans le sud.
Un exemple concret illustre cette dynamique : en février 2025, l’armée libanaise a saisi plus de 250 caches d’armes du Hezbollah, dont des tunnels, et intégré 4 000 recrues pour sécuriser le sud. Ces actions, bien que significatives, sont jugées insuffisantes par Washington, qui souhaite un désarmement total.
Réformes économiques, l’autre défi
Outre le désarmement, les donateurs exigent des réformes économiques structurelles. Le Liban, en crise depuis 2019, souffre d’une monnaie dévaluée de 95 % et d’un système bancaire dysfonctionnel. Le FMI et la Banque mondiale, dans un rapport du 25 mars 2025, ont lié leurs fonds à une restructuration bancaire et à une lutte contre la corruption. L’Union européenne, qui a promis 500 millions d’euros en 2024 pour limiter les flux migratoires, retarde leur versement en attendant ces changements.
Le gouvernement Aoun-Salam s’est engagé à réformer. Le 10 avril 2025, le ministère des Finances a présenté un plan préliminaire pour moderniser ses opérations, passant des archives papier à des systèmes numériques. Mais la lenteur des progrès, dans un pays marqué par des décennies de paralysie politique, alimente le scepticisme des bailleurs de fonds.
Les tensions avec Israël compliquent la donne
Le cessez-le-feu de novembre 2024, négocié par les États-Unis, repose sur des engagements fragiles. Israël maintient une présence militaire sur cinq collines stratégiques au sud du Liban, considérées comme essentielles pour surveiller le Hezbollah. Ces positions, dénoncées par Beyrouth comme une violation de la résolution 1701, servent d’argument au Hezbollah pour justifier son armement.
Youssef Rajji a appelé à une pression internationale pour obtenir le retrait israélien, arguant que cela priverait le Hezbollah de sa « justification » à rester armé. Dans une déclaration du 11 avril 2025, il a insisté : « La diplomatie doit prévaloir pour libérer nos terres. » Pourtant, Israël, invoquant des violations du cessez-le-feu par le Hezbollah, continue des frappes ciblées, touchant parfois des civils. Le 7 avril, une attaque sur des maisons préfabriquées dans le sud a fait trois blessés, selon l’Agence nationale de l’information.
Une négociation délicate
Les États-Unis proposent de créer trois groupes de travail pour résoudre les différends entre le Liban et Israël : la libération des prisonniers libanais, les points disputés le long de la Ligne bleue et le retrait israélien. Beyrouth rejette cette approche, préférant une commission militaire pour la démarcation frontalière, comme lors de l’accord maritime de 2022. « Les prisonniers et le retrait ne sont pas négociables », a déclaré Rajji le 11 avril, excluant toute normalisation avec Israël.
Cette fermeté reflète un consensus politique au Liban. Aucun parti, du Hezbollah aux Forces libanaises, ne soutient des négociations directes avec Israël. Cependant, la dépendance à l’aide internationale place le gouvernement dans une position délicate. Refuser les conditions des donateurs risque de prolonger la crise, tandis que céder trop vite pourrait provoquer des tensions internes.
Le rôle du Hezbollah dans l’équation
Affaibli par la mort de son chef Hassan Nasrallah en septembre 2024 et par des pertes militaires, le Hezbollah reste influent. Son bras politique, qui détient des sièges au Parlement, a exprimé une « flexibilité » sur la question des armes, selon une déclaration de son député Hassan Fadlallah le 10 avril 2025. Il a dit être « prêt à dialoguer » sur une stratégie de défense nationale, à condition qu’Israël se retire.
Cette ouverture, bien que limitée, marque un changement. Le Hezbollah, conscient de la nécessité de l’aide pour reconstruire ses bastions, pourrait accepter un désarmement partiel au sud du Litani. Un politicien anonyme, cité le 22 janvier 2025, a évoqué une possible intégration de ses combattants dans une force paramilitaire sous contrôle étatique, une idée encore embryonnaire.
Les attentes des donateurs internationaux
Les bailleurs de fonds, menés par les États-Unis et l’Arabie saoudite, scrutent les progrès. Washington, qui a débloqué 95 millions de dollars pour l’armée libanaise le 4 mars 2025, voit en Joseph Aoun un allié fiable. Ancien commandant de l’armée, il a renforcé ses capacités avec l’appui américain, notamment contre l’État islamique en 2017. Sa présidence est perçue comme une opportunité de marginaliser le Hezbollah.
L’Arabie saoudite, après des années de désengagement, conditionne son aide à des réformes anti-corruption et à un affaiblissement de l’influence iranienne. Le Qatar et les Émirats arabes unis adoptent une position similaire, selon Al-Akhbar le 11 avril 2025, refusant de financer la reconstruction tant que le Hezbollah conserve ses armes.
Les défis internes du Liban
Le gouvernement fait face à des pressions internes. Les protestations à Nabatieh, le 30 décembre 2024, ont dénoncé la lenteur des compensations pour les 5 000 entreprises détruites. Les habitants du sud, dont beaucoup dépendent du Hezbollah pour l’aide immédiate, s’impatientent. Le parti a distribué 50 millions de dollars en cash et promis 8 000 dollars par famille pour les logements détruits, mais ces fonds, limités, ne répondent pas aux attentes.
En parallèle, l’armée libanaise gagne du terrain. Depuis janvier 2025, elle a déployé des troupes dans des zones autrefois contrôlées par le Hezbollah, détruisant des infrastructures militaires. Ces avancées, saluées par Washington, irritent les partisans du Hezbollah, qui accusent l’État de céder aux pressions étrangères.
Une reconstruction à haut risque
La reconstruction exige une coordination complexe. Voici les principaux besoins, selon un rapport de l’UNHCR d’octobre 2024 :
Secteur | Coût estimé | Priorité |
---|---|---|
Logements | 6-7 Mds $ | Reconstruction de 100 000 unités |
Infrastructures | 3 Mds $ | Routes, écoles, hôpitaux |
Déminage | 500 M $ | Zones contaminées par munitions |
Aide humanitaire | 1,5 Md $ | Déplacés, emploi, santé |
Ces chiffres soulignent l’urgence d’un consensus. Sans aide internationale, le Liban risque une crise prolongée, avec des tensions sociales accrues. Mais céder aux exigences de désarmement pourrait déstabiliser la coalition au pouvoir, où le Hezbollah conserve des alliés.