Une inscription qui ne passe pas inaperçue
Le 11 juin 2025, la Commission européenne a officiellement ajouté le Liban à sa liste noire des juridictions à haut risque en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Cette décision, qui place le pays aux côtés de l’Algérie, du Venezuela ou encore du Kenya, envoie un signal sévère à la communauté financière internationale. Tandis que d’autres nations comme les Émirats arabes unis ou le Panama ont été retirées de cette même liste, le Liban intègre désormais un cercle restreint d’États soumis à une surveillance renforcée.
Cette mesure intervient à un moment critique. Depuis 2019, le Liban connaît une dégradation systématique de ses institutions financières, marquée par la paralysie de la Banque centrale, le gel des avoirs bancaires, et l’absence de réformes tangibles. Le classement européen confirme une perte totale de confiance dans les mécanismes de régulation locaux et dans la volonté politique de corriger les dérives.
Les critères d’une mise sous surveillance européenne
L’inscription sur la liste noire de l’Union européenne n’est ni arbitraire ni symbolique. Elle repose sur une évaluation technique précise, fondée sur les standards du Groupe d’action financière (GAFI). Le Liban est ainsi désigné comme juridiction présentant des « lacunes stratégiques » dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Parmi les griefs principaux : la faiblesse des structures de contrôle bancaire, le manque de coopération judiciaire avec les partenaires internationaux, et l’opacité des flux financiers. Le rapport européen souligne également l’absence d’application de la loi sur la déclaration des avoirs, pourtant votée en 2020, ainsi que l’inertie de la Commission spéciale d’investigation, théoriquement chargée de traquer les flux suspects.
Ce jugement ne porte donc pas uniquement sur les banques commerciales, mais sur l’ensemble de la chaîne de conformité, allant des régulateurs aux magistrats, en passant par les institutions fiscales.
Un système bancaire fragilisé et sous influence
L’annonce européenne intervient alors que le Liban traverse une nouvelle phase d’instabilité dans son secteur financier. Al Akhbar et Al Joumhouriyat (11 juin 2025) soulignent que les nominations des vice-gouverneurs de la Banque du Liban sont toujours bloquées par des querelles politiques. Le président Joseph Aoun cherche à renouveler l’équipe actuelle, tandis que le président du Parlement Nabih Berri défend le maintien du vice-gouverneur sortant Wassim Mansouri.
Ces luttes de pouvoir reflètent un système où la régulation financière est devenue un enjeu de contrôle politique. Le Conseil des ministres, censé désigner les nouveaux responsables, peine à se réunir, et aucune réforme institutionnelle n’est mise en œuvre pour redonner de la crédibilité aux organes de surveillance. Cette situation rend impossible l’application des normes européennes, qui exigent une indépendance et une efficacité opérationnelle incompatibles avec les réalités libanaises actuelles.
Conséquences économiques immédiates
L’impact de cette inscription est concret. Toutes les transactions bancaires impliquant le Liban seront désormais soumises à des contrôles renforcés par les établissements européens. Cela signifie des délais prolongés, des frais supplémentaires, voire le refus pur et simple de certaines opérations. Les banques libanaises pourraient perdre leurs correspondants bancaires européens, ce qui rendrait encore plus difficile l’accès au système financier international.
Pour les entreprises exportatrices, cela signifie aussi un risque accru de rupture de contrat ou de suspension de paiement. Les investisseurs institutionnels, déjà frileux, n’auront aucun intérêt à maintenir des engagements dans un pays officiellement jugé à risque. Quant aux expatriés libanais, ils devront redoubler de justifications pour transférer de l’argent à leurs proches ou rapatrier des fonds.
Dans un pays où le secteur bancaire représentait jadis près de 70 % du PIB, cette marginalisation institutionnalisée aggrave la spirale du déclin économique.
Réactions libanaises : silence, fatalisme et déni
Au moment de la publication de la décision européenne, aucune déclaration officielle n’avait été faite par le ministère des Finances, la Banque centrale ou la Commission de surveillance bancaire. Ce silence traduit un malaise évident, mais aussi un certain fatalisme. La mesure était attendue, tant les signaux d’alerte s’étaient multipliés ces derniers mois.
Seules quelques voix dans la presse financière ont exprimé leur inquiétude. Des experts anonymes, cités dans Al Akhbar, évoquent une « humiliation évitable » et dénoncent l’absence totale de préparation du gouvernement. Plusieurs analystes notent que le Liban aurait pu éviter cette inscription en mettant en œuvre les réformes exigées par le FMI, notamment la restructuration du secteur bancaire et la création d’une autorité indépendante de supervision.
Mais dans un pays où les nominations judiciaires sont elles-mêmes politisées, où les responsables financiers sont souvent en conflit d’intérêts, et où le Parlement est incapable de voter un budget équilibré, toute initiative structurelle semble vouée à l’échec.
Comparaison avec les pays sortants : le contraste est brutal
L’autre enseignement de cette décision européenne est le contraste avec les pays retirés de la liste. Les Émirats arabes unis, le Panama, la Jamaïque ou encore Gibraltar ont tous mis en œuvre des plans de conformité robustes, validés par le GAFI. Des réformes structurelles, des audits indépendants, et la coopération avec les instances internationales ont permis de rétablir la confiance.
Le Liban, à l’inverse, n’a rien entrepris de crédible depuis quatre ans. Même les lois existantes ne sont pas appliquées. Les commissions d’enquête parlementaire ne fonctionnent plus, les sanctions financières internes sont rares, et aucune banque n’a été poursuivie pour blanchiment malgré les nombreuses alertes émises par les partenaires étrangers.
Une sortie de crise encore possible ?
Malgré ce tableau sombre, une sortie de la liste noire n’est pas impossible. L’UE a indiqué que des mécanismes d’assistance étaient disponibles pour les pays désireux de se mettre en conformité. Encore faut-il une volonté politique. Cela suppose de nommer des responsables indépendants à la Banque centrale, de restaurer la légitimité de la Commission d’enquête, et de garantir l’autonomie du pouvoir judiciaire sur les dossiers financiers.
Les partenaires européens attendent des gestes forts : audits publics, sanctions effectives, transparence budgétaire. En l’absence de tels signaux, le Liban risque de rester durablement exclu des circuits de confiance, ce qui compromettrait non seulement sa reprise économique, mais aussi sa souveraineté financière.