Une visite présidentielle au cœur des tensions sécuritaires
Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, se rendra au Liban le 21 mai 2025, a confirmé mardi son bureau, en écho à une déclaration d’un haut responsable libanais. Cette visite officielle vise à engager des discussions avec les dirigeants libanais sur l’extension de l’autorité de l’État à l’ensemble du territoire national, y compris les camps de réfugiés palestiniens présents sur le sol libanais.
Cette annonce intervient alors que les autorités libanaises, à commencer par le président Joseph Aoun, ont récemment réaffirmé leur volonté de retirer les armes lourdes et moyennes non autorisées sur l’ensemble du territoire. Ce dossier sensible comprend explicitement les zones sous contrôle sécuritaire autonome, notamment les camps palestiniens, où plusieurs groupes armés opèrent de manière indépendante depuis des décennies.
Un contrôle autonome des camps depuis des décennies
Depuis les années 1960, une convention tacite prévoit que l’armée libanaise n’entre pas dans les camps palestiniens, où la sécurité est assurée par les factions elles-mêmes.
Ces camps, au nombre de 12 reconnus officiellement, abritent environ 210 000 réfugiés palestiniens enregistrés au Liban, selon les données de l’UNRWA. Toutefois, des estimations non officielles évoquent un chiffre plus élevé si l’on inclut les Palestiniens non enregistrés ou les réfugiés de Syrie.
La gestion sécuritaire des camps est assurée par différentes factions palestiniennes, parmi lesquelles :
- le Fatah, mouvement dirigé par Mahmoud Abbas ;
- le Hamas, considéré comme un groupe terroriste par plusieurs pays occidentaux ;
- des groupes alliés ou concurrents comme le Jihad islamique palestinien ou des milices locales indépendantes.
Ce système d’auto-administration a favorisé au fil des années l’émergence de zones de non-droit, parfois utilisées pour le stockage d’armes ou comme base logistique pour des opérations extérieures.
L’enjeu du désarmement : priorité du président libanais
Dans un discours prononcé fin avril, le président libanais Joseph Aoun a indiqué que le gouvernement œuvrait à retirer toutes les armes lourdes et moyennes illégales sur le territoire libanais, y compris dans les camps palestiniens.
Il a ajouté qu’il entendait aborder directement cette question avec Mahmoud Abbas lors de sa venue à Beyrouth, précisant que l’État doit pouvoir exercer son autorité sur l’intégralité de son territoire, sans exception.
Les déclarations de Joseph Aoun font écho à celles du Premier ministre Nawaf Salam, qui a réitéré l’appel au dépôt des armes non autorisées et prévenu que les factions palestiniennes ne devaient pas compromettre la sécurité et la stabilité nationale.
Des antécédents récents : tirs de roquettes et représailles israéliennes
La question du contrôle sécuritaire des camps a été ravivée par plusieurs incidents récents. En mars 2025, des tirs de roquettes non revendiqués ont été lancés depuis le Liban vers le nord d’Israël, les 22 et 28 mars. L’armée israélienne a répliqué par des frappes aériennes ciblant le sud du Liban ainsi que la banlieue sud de Beyrouth, zones considérées comme des bastions du Hezbollah.
Bien que le Hezbollah ait nié toute implication, plusieurs membres présumés du Hamas ont été cités dans l’enquête libanaise sur les tirs.
Peu après les frappes, le Haut Conseil de la défense libanais a adressé une mise en garde formelle au Hamas, lui interdisant d’utiliser le territoire libanais pour des attaques contre Israël. Cette position marque un tournant dans la gestion officielle du rôle des factions palestiniennes armées opérant depuis le territoire libanais.
Arrestations et transferts de suspects
Dans les semaines qui ont suivi les incidents de mars, l’armée libanaise a procédé à plusieurs arrestations. Elle a confirmé avoir interpellé des ressortissants libanais et palestiniens soupçonnés d’avoir participé aux lancements de roquettes.
Un responsable sécuritaire anonyme cité par l’AFP a précisé que trois d’entre eux étaient membres du Hamas.
Par ailleurs, les autorités libanaises ont indiqué que le Hamas avait remis à l’armée trois personnes soupçonnées d’implication directe. Ce geste, rare, a été interprété comme une tentative du mouvement islamiste de démontrer sa coopération avec les autorités libanaises, dans un contexte régional sous haute tension.
Un précédent diplomatique : la dernière visite d’Abbas en 2017
La visite prévue le 21 mai sera la première de Mahmoud Abbas au Liban depuis 2017. À l’époque, le président de l’Autorité palestinienne avait rencontré les plus hautes autorités libanaises pour discuter notamment :
- du statut légal des réfugiés palestiniens ;
- des conditions sociales dans les camps ;
- et de la coordination politique entre Beyrouth et Ramallah.
Depuis cette date, les tensions régionales ont largement modifié l’équilibre sécuritaire dans la région. Le conflit à Gaza depuis 2023 a renforcé les connexions opérationnelles entre le Hamas, implanté dans plusieurs camps au Liban, et le Hezbollah. Ces connexions font désormais l’objet d’un examen accru de la part des services de sécurité libanais et des autorités politiques.
Un équilibre fragile entre souveraineté et diplomatie
Le dossier du contrôle des camps palestiniens illustre la complexité de la souveraineté territoriale au Liban, marquée par des équilibres communautaires sensibles. Toute intervention dans les camps est perçue comme hautement inflammable sur le plan politique, notamment dans les zones où les relations entre Palestiniens et communautés libanaises sont historiquement tendues.
Les autorités libanaises privilégient donc une voie diplomatique et progressive, en sollicitant directement la coopération de l’Autorité palestinienne. Cette stratégie vise à éviter un affrontement direct ou une déstabilisation des zones concernées, tout en réaffirmant l’autorité de l’État.