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Municipales 2025 : rivalités, tensions et recomposition du pouvoir local

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Une campagne marquée par la fragmentation des alliances

À quelques semaines des élections municipales prévues au printemps, le climat politique libanais est tendu, voire explosif dans certaines régions. Dans un contexte de crise institutionnelle persistante, ces scrutins locaux prennent une dimension stratégique. Loin d’être de simples consultations administratives, ils sont devenus le terrain principal où s’expriment les rivalités historiques, les confrontations partisanes et les luttes d’influence au sein des communautés.

Selon plusieurs observateurs, les régions du nord et de la montagne chrétienne apparaissent comme les épicentres de ces tensions. Dans des localités comme Zgharta, Jbeil et Akkar, les affrontements verbaux se multiplient entre les partisans du Courant patriotique libre et ceux des Forces libanaises. Ces deux blocs politiques, traditionnellement en concurrence, peinent à trouver des formules consensuelles. Chaque camp accuse l’autre de saboter les pourparlers ou de chercher à imposer des candidats clivants, souvent porteurs de contentieux familiaux ou fonciers.

Cette polarisation est accentuée par des facteurs clientélistes profondément enracinés. Les familles influentes, qui jouent un rôle déterminant dans les équilibres électoraux locaux, s’opposent parfois aux choix imposés par les appareils partisans. Cette dynamique fragmentaire complique la formation de listes unitaires, alimentant une logique de confrontation directe qui pourrait se traduire par une abstention massive ou des violences le jour du vote.

Le désengagement partiel dans certaines zones périphériques

Paradoxalement, d’autres régions du pays connaissent un phénomène inverse : un désengagement quasi-total des grandes formations politiques. À Chhim, dans le sud du Mont-Liban, tous les partis se sont retirés de la compétition électorale, à l’exception d’un groupe islamique local qui maintient une liste. Ce retrait stratégique serait motivé par une volonté d’éviter la confrontation directe, mais il trahit également un déficit d’ancrage territorial.

Cette absence de compétition partisane laisse le champ libre à des dynamiques communautaires ou familiales, souvent opaques. Le risque est de voir émerger des conseils municipaux déconnectés des enjeux de gouvernance publique, structurés autour de logiques purement patrimoniales. Cela fragilise davantage la légitimité de ces institutions locales, déjà affaiblies par une crise de financement chronique.

À Deir Ammar, au nord du pays, la situation est à l’opposé : la campagne est décrite comme l’une des plus violentes de la décennie. Des accusations de fraude, de pressions et d’intimidations circulent ouvertement. Des incidents auraient déjà été signalés, impliquant des échanges verbaux musclés, des menaces sur les réseaux sociaux, et des pressions économiques sur des commerçants identifiés comme soutenant telle ou telle liste. Ce climat de tension préélectorale préfigure un scrutin sous haute surveillance, voire sous menace de dérapage.

Beyrouth : la bataille de la parité communautaire

Dans la capitale, la configuration est tout aussi complexe. Selon des sources proches des commissions électorales, la bataille devrait se jouer entre deux ou trois grandes listes. Le principal enjeu ne réside pas dans les programmes, souvent absents, mais dans la capacité à respecter les équilibres confessionnels.

Le système électoral libanais, fondé sur une représentation communautaire, impose une composition équilibrée des listes entre les différentes confessions. Dans les faits, cette exigence se heurte à des réalités sociales mouvantes, des migrations internes, et des divergences profondes entre les élites religieuses sur le partage du pouvoir local.

Un phénomène inquiétant est celui du “biffage communautaire”. Il s’agit d’une pratique électorale consistant à rayer les noms de certains candidats en raison de leur affiliation confessionnelle, sans égard pour leur compétence ou leur parcours. Ce mécanisme, bien que légal, pourrait modifier profondément la composition des conseils municipaux, en renforçant artificiellement certaines communautés au détriment d’autres.

Pour éviter cette dérive, plusieurs partis ont engagé des discussions en vue de constituer des listes consensuelles, validées en amont par les instances religieuses et les autorités locales. Cette stratégie, dite du “consensus minimal”, vise à limiter les tensions et à garantir une représentativité acceptable. Mais elle est aussi critiquée comme une forme de pacte oligarchique, coupant court à toute dynamique démocratique réelle.

Des enjeux politiques déguisés en conflits municipaux

Au-delà des jeux locaux, ces élections ont une portée nationale. Chaque formation politique y voit un test de légitimité, voire une répétition générale pour de futures élections législatives ou présidentielles. Le Courant patriotique libre veut y démontrer qu’il conserve un ancrage dans les zones chrétiennes malgré sa perte d’influence parlementaire. Les Forces libanaises espèrent capitaliser sur leur image de parti réformateur et sur leur opposition au Hezbollah pour regagner du terrain.

Du côté des partis musulmans, la tendance est au repli stratégique. Certains préfèrent soutenir des listes indépendantes pour éviter de raviver les tensions communautaires. D’autres misent sur des figures locales, hors structures partisanes, pour préserver leur influence sans s’exposer publiquement.

Ce glissement vers des alliances opportunistes ou des candidatures hybrides traduit une perte de repères idéologiques. Les grandes lignes de clivage (souveraineté, réforme, économie) sont désormais brouillées par des considérations de positionnement tactique, de survie politique ou d’ajustement conjoncturel.

Le rôle des institutions dans l’encadrement du processus

La commission électorale centrale tente de garantir un déroulement du scrutin conforme aux règles. Mais ses capacités logistiques et son indépendance sont limitées. Le manque de moyens, les retards dans l’impression des bulletins, les problèmes d’accès à certains centres, et les risques de manipulation des listes électorales pèsent lourdement sur la crédibilité du processus.

Les observateurs internationaux, souvent sollicités lors des précédents scrutins, sont cette fois en nombre limité. Les partenaires européens, pourtant historiquement engagés dans l’appui au processus électoral libanais, hésitent à envoyer des missions d’observation, en raison des tensions sécuritaires et du manque de garanties de transparence.

Face à cela, les municipalités sortantes, parfois contestées, continuent à gérer les affaires courantes sans visibilité sur leur avenir. Certaines mairies fonctionnent sans quorum, d’autres avec des budgets non validés depuis plusieurs mois. L’incertitude juridique et administrative s’ajoute à l’instabilité politique.

Une élection test pour la cohésion nationale

Au-delà des enjeux partisans, ces municipales constituent un test pour la cohésion nationale. Elles permettront de mesurer le degré de polarisation, la capacité des citoyens à se mobiliser malgré la défiance généralisée, et la volonté des élites à régénérer le tissu institutionnel à partir du bas.

Un taux d’abstention élevé serait interprété comme un désaveu du système. À l’inverse, une participation significative, même dans les zones à forte tension, offrirait un signal positif pour la résilience démocratique du pays.

Le rôle des jeunes sera également déterminant. Nombre d’entre eux ont déserté les partis traditionnels, mais s’engagent désormais dans des listes locales, axées sur des projets de proximité, des questions environnementales ou des services publics. Cette émergence d’un “municipalisme d’engagement” pourrait, si elle prend forme, redonner du souffle à un système en bout de course.

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Newsdesk Libnanews
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