Dans une allocution remarquée au sommet arabe des médias à Dubaï, le Premier ministre libanais Nawaf Salam a livré un discours dense, articulé autour de trois axes principaux : le rôle fondamental de la presse libre, la lutte contre la désinformation et l’affirmation du Liban comme modèle de pluralisme. Cette intervention, fortement symbolique, s’inscrit dans une volonté de réintégrer activement les forums régionaux après des années d’effacement diplomatique du pays.
Une adresse directe au monde arabe : restaurer la voix libanaise
Le sommet arabe des médias a offert au chef du gouvernement libanais une tribune stratégique. Face à un auditoire composé de ministres, responsables médiatiques et journalistes issus de la région, Nawaf Salam a ouvert son discours par une affirmation simple et ferme : “Le Liban revient parler à ses partenaires du monde arabe, avec sincérité, responsabilité et ambition.”
Ce choix d’une adresse en ouverture, formulée dans un ton personnel mais institutionnel, marque une volonté d’engagement. Il s’agit non seulement de rappeler la présence du Liban dans le champ des idées et de la parole publique arabe, mais aussi de repositionner son action comme constructive, apaisée et tournée vers des valeurs universelles partagées.
L’allocution a soigneusement évité les références aux clivages politiques internes ou aux enjeux sécuritaires immédiats. Le registre adopté a été celui de l’intérêt commun, de l’expertise et de la responsabilité. Un pari de fond sur le langage diplomatique non conflictuel.
La presse comme pilier de la cohésion et de la lucidité politique
Au cœur de son intervention, Nawaf Salam a développé une vision structurée du rôle de la presse dans les sociétés arabes contemporaines. En affirmant que “la vérité n’est pas un luxe, mais une nécessité sociale”, il a voulu souligner que l’espace public ne peut fonctionner durablement sans une presse libre, critique, et bien informée.
Il a appelé à faire de la presse un rempart contre les fausses nouvelles, les manipulations de masse et les campagnes de polarisation. Selon lui, “la désinformation n’est pas seulement un mensonge, c’est une arme contre la société”, une formule qui a marqué les esprits parmi les participants.
Cette approche relie directement la liberté de la presse à la stabilité politique. Le Premier ministre a insisté sur le fait que seule une presse professionnelle, indépendante et pluraliste permet aux sociétés de débattre, de trancher et de construire des consensus sans violence.
Il a également évoqué les dangers de l’auto-censure et de la pression économique sur les médias. En soulignant les défis auxquels les journalistes arabes font face, il a évoqué une “solidarité régionale nécessaire entre professionnels de l’information, au-delà des clivages nationaux”.
Le Liban comme pays d’ouverture : un modèle fragile mais vivant
Nawaf Salam a ensuite engagé une description du Liban qui se veut projection diplomatique. Il a présenté le pays non pas comme un modèle parfait, mais comme un espace vivant du pluralisme. “Nous ne prétendons pas avoir résolu toutes les tensions, mais nous continuons à faire vivre l’idée d’une société ouverte, diverse, respectueuse de la liberté de chacun.”
Il a rappelé la tradition libanaise d’accueil, de coexistence communautaire, de diversité culturelle et confessionnelle. Cette présentation se veut une réponse indirecte à l’image dégradée du Liban dans certains milieux régionaux, où le pays est perçu comme instable ou dominé par des logiques confessionnelles.
En plaçant le Liban dans la lignée des espaces arabes d’expression libre et de culture critique, il a voulu redonner au pays une valeur ajoutée dans l’architecture symbolique régionale. Il n’a pas évoqué de positionnement géopolitique précis, se concentrant sur les valeurs partagées, les principes d’organisation publique et les ambitions éducatives.
Coopérations médiatiques régionales : lignes de projets et intentions concrètes
Le discours ne s’est pas limité à des principes. Le Premier ministre a annoncé une série d’intentions visant à relancer la coopération entre le Liban et plusieurs pays du Golfe dans le domaine médiatique. Il a mentionné des échanges en cours entre l’agence nationale libanaise et plusieurs centres audiovisuels arabes, sans entrer dans les détails techniques.
Parmi les axes évoqués : co-productions de contenus éducatifs, création de plateformes numériques partagées pour jeunes journalistes, échanges universitaires, festivals culturels conjoints. Ces projets ne sont pas encore matérialisés, mais leur énoncé vise à réinstaller une diplomatie libanaise fondée sur la culture, le savoir et l’information.
Cette diplomatie des médias se veut complémentaire des circuits diplomatiques officiels, souvent ralentis ou bloqués par des clivages politiques. Elle repose sur des acteurs techniques, culturels et éducatifs capables d’agir dans un cadre souple, sans nécessairement engager des traités ou des alliances.
Une voix personnelle dans un système collectif fragmenté
Le discours de Nawaf Salam à Dubaï n’a pas été précédé d’une prise de position officielle du gouvernement. Il s’agit d’une initiative personnelle, assumée dans le cadre de ses prérogatives diplomatiques. Cette autonomie d’action est notable dans un système politique libanais largement fragmenté, où chaque déclaration peut prêter à controverse.
Le contenu du discours ne reprend pas les rhétoriques classiques de résistance, de souveraineté ou de confrontation. Il adopte un vocabulaire international, tourné vers la coopération, l’innovation et la transparence. Ce positionnement tranche avec les discours tenus dans d’autres forums par d’autres représentants de l’État.
Le choix de la presse comme vecteur diplomatique n’est pas neutre : il symbolise une tentative de reprendre la parole au nom d’un État institutionnel et légitime, face à des acteurs non étatiques ou extra-institutionnels. La scène choisie — un sommet médiatique — permet ce repositionnement sans affrontement.
Résonance régionale et premières réactions mesurées
L’écho immédiat du discours a été marqué par une série de commentaires positifs dans les médias du Golfe. Plusieurs éditoriaux ont souligné la clarté du propos, la hauteur de ton et l’absence de polémiques. Des responsables présents ont salué la posture libanaise comme “réaliste et utile”, sans se prononcer sur les projets évoqués.
Des suites diplomatiques concrètes restent incertaines à ce stade, mais la perception d’un Liban qui revient dans le débat régional par les idées, l’éducation et la régulation médiatique semble avoir marqué les esprits.
Le discours aura aussi un effet interne : il place Nawaf Salam dans une position active et autonome, capable d’articuler une vision politique au-delà des contraintes de l’agenda gouvernemental quotidien. Il le présente comme une figure d’interface entre le Liban et un monde arabe qui n’a pas fermé ses portes, mais qui attend des signaux de crédibilité.



