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Nawaf Salam : une tournée sécuritaire à portée politique

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Dans un Liban marqué par les tensions géopolitiques et les urgences économiques, la tournée effectuée début mai 2025 par le Premier ministre Nawaf Salam dans la Bekaa et les zones frontalières prend une portée éminemment politique. Derrière la séquence officielle de visites à des casernes militaires et de discours sur la souveraineté, se profile une stratégie de recentrage étatique, de reconquête de légitimité et de repositionnement personnel dans l’échiquier libanais. L’analyse détaillée de cette tournée révèle les lignes de force d’un exécutif qui tente d’unifier symboliquement un pays morcelé.

Renforcer la souveraineté par les marges géographiques

Selon Al Liwa’, 9 mai 2025, Nawaf Salam a entamé sa tournée par une visite du poste-frontière de Masnaa, point de passage symbolique entre le Liban et la Syrie. Accompagné du ministre de la Défense et du chef d’état-major, il a salué les troupes et inspecté les dispositifs de contrôle, avant de prononcer un discours sur l’importance des « portes d’entrée officielles du pays » dans la lutte contre la contrebande et les flux illicites. Il y a insisté sur le fait que « les postes-frontières sont la vitrine de la souveraineté nationale », une formule appelée à résonner dans le débat public.

Dans un contexte où les frontières libanaises sont historiquement poreuses, cette déclaration vise autant les partenaires internationaux — notamment ceux qui conditionnent leur aide à un contrôle rigoureux des circuits douaniers — que les Libanais eux-mêmes, dont la confiance envers l’État central est largement érodée. Le chef du gouvernement mise ici sur une rhétorique d’ordre républicain, avec l’armée comme acteur transversal, accepté à la fois par les partisans de l’État fort et par ceux des compromis communautaires.

Contrebande et économie de la désintégration

La presse, notamment Al Sharq du 9 mai 2025, rapporte que le Premier ministre a évoqué la question de la contrebande comme une menace directe à la structure fiscale et économique du pays. En effet, les pertes liées au commerce illicite entre le Liban, la Syrie et au-delà — notamment le carburant, les médicaments et les denrées alimentaires — représentent plusieurs centaines de millions de dollars par an selon les estimations d’experts cités dans les débats parlementaires.

Nawaf Salam a souligné que ce phénomène alimente à la fois l’économie informelle et les réseaux clientélistes qui fragilisent l’autorité de l’État. En évoquant publiquement cette réalité sur un lieu de passage stratégique, il renforce sa posture d’homme d’État lucide et déterminé à engager les réformes promises. Il tente par là d’établir un lien direct entre action gouvernementale et amélioration concrète des conditions économiques.

Une tournée préparatoire aux échéances électorales

À l’approche des élections municipales, prévues pour la fin 2025, cette tournée peut aussi être lue comme un acte de pré-campagne indirect. Dans les propos relayés par Al Sharq, Nawaf Salam insiste sur la nécessité d’« assurer un cadre électoral transparent et équilibré ». Le choix de le déclarer depuis la Bekaa, une région historiquement marginalisée et théâtre de tensions confessionnelles récurrentes, ne doit rien au hasard.

Le Premier ministre se positionne comme garant de l’inclusivité démocratique, dans un contexte où les réformes de la loi électorale stagnent au Parlement. Il tente ainsi de mobiliser un capital politique au-delà des cercles traditionnels de la capitale, en se rapprochant des communautés locales à travers une rhétorique de protection, d’écoute et de légitimité.

Le rôle central de l’armée : partenaire ou rempart ?

Un autre aspect fondamental de la tournée réside dans la valorisation systématique de l’armée libanaise. À chaque étape, Nawaf Salam a veillé à associer ses déplacements à la présence militaire, comme à Rayak ou Qaa, affirmant que « l’État, par toutes ses institutions, se tient aux côtés de l’armée ». Ce positionnement récurrent vise à établir une triangulation entre exécutif, forces armées et souveraineté territoriale.

Dans une scène politique fragmentée où l’armée reste l’institution la plus respectée et la moins contestée, cette stratégie permet au Premier ministre de revendiquer une posture d’unité et de continuité. Elle lui permet également de contrebalancer les accusations de faiblesse ou d’alignement sur des blocs partisans. Plus encore, elle renforce son image d’homme d’État au-dessus des querelles de factions, bien qu’issu d’un parcours international et perçu parfois comme éloigné du terrain.

Réactions politiques : prudences et interprétations divergentes

Les journaux comme Al Akhbar et Al Joumhouriyat relatent des réactions contrastées dans la classe politique. Si certains députés saluent une initiative salutaire en période d’instabilité, d’autres y voient une opération de communication. Le Courant Patriotique Libre, par exemple, a dénoncé ce qu’il qualifie de « tournée opportuniste » visant à masquer l’absence de réformes concrètes au niveau central.

Le Hezbollah, sans critiquer frontalement le chef du gouvernement, a laissé filtrer par des cercles proches son agacement face à une rhétorique centrée sur l’État comme unique acteur sécuritaire. Ce discours, bien que républicain, entre en contradiction avec la logique de « complémentarité » revendiquée par le parti entre l’armée, le peuple et la résistance. Nawaf Salam joue ainsi une partition délicate, tentant de réactiver l’État sans entrer en conflit ouvert avec les forces parallèles qui en contournent les prérogatives.

Un test pour la vision Salam

En définitive, cette tournée ne saurait être réduite à une simple séquence logistique ou à un déplacement de courtoisie. Elle s’inscrit dans un projet plus vaste de réhabilitation de l’État, dans ses fonctions régaliennes et sa capacité à encadrer le territoire. En plaçant la souveraineté, la sécurité et la transparence électorale au cœur de ses messages, Nawaf Salam lance un signal aussi bien à ses soutiens qu’à ses détracteurs : celui d’un exécutif qui entend gouverner, malgré l’imbrication des pouvoirs et les blocages endémiques.

Le succès de cette stratégie dépendra moins de la réception immédiate de cette tournée que de sa capacité à être suivie d’effets mesurables. L’histoire récente du Liban est riche en déclarations d’intention restées lettre morte. C’est sur ce terrain que Nawaf Salam est désormais attendu : traduire ses postures en décisions, ses discours en chantiers, et ses promesses en réalité politique tangible.

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