Les derniers articles

Articles liés

Perspective: L’influence des puissances étrangères sur la politique libanaise, un pays sous tutelle permanente

- Advertisement -

Le Liban est depuis des décennies un terrain d’affrontement indirect entre puissances régionales et internationales. Son positionnement géographique stratégique et sa composition confessionnelle complexe en font un pays vulnérable aux influences extérieures. Si la souveraineté nationale est un principe inscrit dans la Constitution, la réalité est bien différente : chaque bloc politique local est soutenu par un acteur étranger qui tente d’imposer son agenda. Entre l’Arabie saoudite, l’Iran, les États-Unis, la France et d’autres puissances, le Liban peine à trouver une voie indépendante.

Un pays morcelé entre les axes régionaux

L’une des principales caractéristiques du paysage politique libanais est son alignement sur des pôles d’influence extérieurs. Depuis la guerre civile (1975-1990), le pays est divisé entre deux grandes tendances : d’un côté, les forces pro-occidentales et pro-arabes soutenues par l’Arabie saoudite, les États-Unis et l’Europe ; de l’autre, les mouvements proches de l’axe de la résistance, appuyés par l’Iran et la Syrie. Cette opposition structurelle façonne les alliances politiques internes et bloque toute tentative de consensus national.

Cette division n’est pas seulement une question d’idéologie ou de stratégies politiques, elle est ancrée dans l’histoire récente du Liban et s’exprime à travers la structuration même des partis et des institutions. Chaque crise, chaque élection et chaque changement gouvernemental sont l’objet d’un bras de fer entre ces deux camps. Ce schéma s’est accentué après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri en 2005, qui a marqué un tournant dans la politique libanaise en cristallisant encore plus cette rivalité. D’un côté, la coalition du 14 Mars, soutenue par l’Arabie saoudite et l’Occident, réclamait le retrait des forces syriennes et dénonçait l’influence iranienne via le Hezbollah. De l’autre, la coalition du 8 Mars, menée par le Hezbollah et ses alliés, revendiquait une ligne politique tournée vers la résistance contre Israël et une alliance stratégique avec Damas et Téhéran.

L’Arabie saoudite a longtemps été un acteur majeur dans la politique libanaise. Elle soutient les partis sunnites et certaines formations chrétiennes, notamment dans leur opposition au Hezbollah. Son influence s’exerce principalement à travers le financement de certains groupes politiques et économiques, ainsi que par des pressions diplomatiques directes. Riyad cherche avant tout à contrer l’expansion de l’Iran dans la région et voit le Hezbollah comme une menace pour son influence au Liban.

Le soutien saoudien se manifeste de plusieurs manières. D’abord, par des investissements massifs dans le secteur bancaire et les infrastructures, ce qui a permis pendant des décennies de maintenir un certain équilibre économique et d’assurer un relais d’influence auprès des élites libanaises. Ensuite, par des aides directes aux chefs de file des partis sunnites, en particulier le Courant du Futur fondé par Rafic Hariri et repris par son fils Saad Hariri. Ces appuis ont permis à Riyad de peser sur la scène politique libanaise et d’influencer les grandes décisions nationales, notamment en ce qui concerne la formation des gouvernements.

Cependant, cette stratégie a montré ses limites. L’Arabie saoudite a progressivement réduit son soutien financier, notamment après les échecs successifs de ses alliés politiques face au Hezbollah. En 2017, l’épisode de la démission forcée de Saad Hariri depuis Riyad a marqué un tournant dans cette relation. Perçu comme une humiliation, cet événement a affaibli la position de Hariri et a contribué à un retrait progressif du royaume dans les affaires libanaises, laissant le terrain libre à une influence iranienne grandissante.

De son côté, l’Iran s’appuie sur le Hezbollah pour asseoir son autorité sur la scène libanaise. Le mouvement chiite est considéré comme le bras armé de Téhéran au Moyen-Orient, jouant un rôle clé en Syrie, en Irak et au Yémen. Grâce à un soutien militaire et financier constant, le Hezbollah s’est imposé comme une force politique et militaire incontournable au Liban, capable d’influencer les décisions stratégiques du pays.

L’influence de l’Iran ne se limite pas à une aide militaire ou logistique. Elle s’est renforcée à travers un maillage social et économique efficace. Le Hezbollah dispose de son propre réseau d’institutions, avec des écoles, des hôpitaux et des organisations caritatives qui pallient l’absence de l’État dans de nombreuses régions, en particulier au sud du Liban et dans la banlieue sud de Beyrouth. Cette implantation lui permet de s’assurer une base populaire solide et de renforcer son rôle au sein du système politique libanais.

Sur le plan militaire, le Hezbollah a su tirer parti des guerres régionales pour accroître son influence. Sa participation au conflit syrien aux côtés du régime de Bachar al-Assad a non seulement renforcé son alliance avec l’Iran, mais lui a aussi permis d’affiner ses capacités militaires et stratégiques. Ce développement inquiète les adversaires du Hezbollah, qui le considèrent comme une force paramilitaire incontrôlable au sein d’un État déjà fragile.

La rivalité entre Riyad et Téhéran se reflète dans chaque crise politique libanaise. La formation des gouvernements, la nomination des hauts responsables de l’État, la politique étrangère du Liban : toutes ces décisions sont scrutées et souvent influencées par ces deux puissances, qui utilisent leurs alliés locaux comme relais de leur stratégie régionale.

Chaque processus électoral devient un test d’influence où les deux camps mobilisent leurs ressources pour peser sur les résultats. Lorsque les forces pro-saoudiennes obtiennent un avantage, elles tentent de réduire le poids du Hezbollah dans les institutions, parfois en obtenant des soutiens internationaux pour imposer des sanctions contre le mouvement chiite. À l’inverse, lorsque le Hezbollah et ses alliés l’emportent, ils s’efforcent de renforcer leur contrôle sur les rouages de l’État et de maintenir le Liban dans l’axe de la résistance anti-occidentale.

Cette lutte d’influence a aussi des répercussions sur l’économie du pays. Le soutien financier de l’Arabie saoudite et des pays du Golfe a longtemps été crucial pour stabiliser la livre libanaise et financer des projets de développement. Mais en raison des tensions politiques et des sanctions imposées à certains secteurs de l’économie libanaise en lien avec le Hezbollah, ces financements se sont raréfiés, aggravant la crise économique actuelle.

Dans ce contexte, le Liban peine à sortir de cette dépendance aux acteurs étrangers. Les alliances politiques restent dictées par des considérations régionales, et toute tentative de réforme est entravée par des pressions extérieures. Tant que le pays restera un enjeu stratégique pour l’Arabie saoudite et l’Iran, il lui sera difficile de retrouver une souveraineté pleine et entière.

Le rôle ambivalent de la France et des États-Unis

La France, ancienne puissance mandataire, entretient des liens historiques forts avec le Liban. Depuis l’indépendance du pays en 1943, Paris a maintenu une relation privilégiée avec Beyrouth, nourrie par des liens culturels, économiques et diplomatiques. Cette proximité s’explique par plusieurs facteurs : une communauté francophone encore présente, des échanges économiques significatifs et un engagement constant en faveur de la stabilité libanaise. L’influence française s’exerce aussi à travers des institutions éducatives et culturelles, ainsi que par une coopération militaire avec l’armée libanaise.

Sur le plan politique, la France s’est souvent positionnée comme médiatrice lors des grandes crises libanaises. Dès la guerre civile (1975-1990), Paris a joué un rôle clé dans la recherche de solutions diplomatiques. L’Accord de Taëf en 1989, qui a mis fin au conflit, a été largement soutenu par la diplomatie française. Depuis, chaque impasse gouvernementale ou crise institutionnelle a été accompagnée d’initiatives françaises visant à faciliter le dialogue entre les différentes factions.

Depuis l’explosion du port de Beyrouth en 2020, Emmanuel Macron s’est particulièrement investi pour tenter de mettre en place des réformes structurelles. Ce drame, qui a coûté la vie à plus de 200 personnes et ravagé une partie de la capitale, a mis en lumière la faillite de l’État libanais et l’ampleur de la corruption qui gangrène le pays. Face à cette catastrophe, Macron s’est rendu à Beyrouth à plusieurs reprises, adoptant une posture de chef d’État déterminé à aider le Liban à sortir de la crise.

Lors de ses visites, il a proposé un plan de sauvetage économique conditionné à la formation d’un gouvernement compétent et à la mise en œuvre de changements profonds. L’initiative française reposait sur plusieurs axes : lutte contre la corruption, restructuration du secteur bancaire, réforme de la gouvernance et rétablissement des relations avec les bailleurs internationaux. Paris a cherché à mobiliser les partenaires européens et internationaux pour apporter une aide financière au Liban, mais cette assistance restait soumise à des réformes que la classe politique libanaise refusait d’engager.

Ces efforts ont été vains face à l’inertie des dirigeants libanais, qui rechignent à toute réforme susceptible de remettre en question leurs intérêts. Les promesses de changement sont restées lettre morte, et la frustration de Paris s’est intensifiée face à l’absence de progrès. Macron lui-même a exprimé son agacement face aux élites libanaises, accusées de sacrifier le pays pour préserver leurs privilèges. L’initiative française, qui se voulait une impulsion pour le redressement du Liban, s’est heurtée à un mur de résistance et à l’incapacité des dirigeants à dépasser leurs différends.

Les États-Unis, quant à eux, adoptent une approche plus coercitive. Washington voit le Liban sous le prisme de sa politique anti-iranienne et cherche avant tout à affaiblir le Hezbollah. Pour cela, l’administration américaine a mis en place une série de sanctions contre des responsables politiques et financiers accusés de corruption ou de soutien au Hezbollah.

La politique américaine au Liban est largement dictée par la volonté de contrer l’influence iranienne dans la région. Le Hezbollah étant considéré par Washington comme une organisation terroriste, l’objectif principal des États-Unis est d’affaiblir son emprise sur les institutions libanaises. Pour ce faire, l’administration américaine a intensifié les pressions économiques et diplomatiques sur le Liban.

Les sanctions imposées par Washington ciblent à la fois des individus et des entités liées au Hezbollah, mais aussi des figures politiques accusées de corruption et de détournement de fonds publics. Ces mesures ont un impact économique non négligeable, en restreignant l’accès aux financements internationaux et en compliquant les transactions avec les banques libanaises. Toutefois, elles ne suffisent pas à provoquer un véritable changement politique.

Si ces sanctions affaiblissent certains secteurs de l’économie libanaise, elles n’ont pas eu l’effet escompté sur le Hezbollah, qui dispose de sources de financement alternatives. L’organisation bénéficie d’un soutien direct de l’Iran, ainsi que de réseaux économiques parallèles qui lui permettent de contourner les restrictions occidentales. De plus, la population libanaise subit de plein fouet les répercussions des sanctions, ce qui alimente un sentiment de frustration et de défiance à l’égard des ingérences étrangères.

L’Union européenne, plus prudente, tente d’adopter une position équilibrée. Si Bruxelles a également imposé des restrictions à certains dirigeants libanais, elle privilégie les négociations et les incitations économiques pour encourager des réformes. L’approche européenne repose davantage sur la diplomatie et la coopération que sur la contrainte.

L’Union européenne est un acteur économique majeur pour le Liban, notamment à travers les aides financières et les programmes de développement. Bruxelles a longtemps cherché à éviter des sanctions drastiques, préférant encourager les réformes par le dialogue et l’accompagnement technique. Cependant, face à la multiplication des blocages internes et à l’incapacité des dirigeants à former un gouvernement stable, l’UE a progressivement durci son approche.

En 2021, l’Union européenne a adopté un cadre juridique permettant de sanctionner les responsables politiques libanais impliqués dans des actes de corruption ou entravant le bon fonctionnement des institutions. Ces sanctions comprennent des interdictions de visas et des gels d’avoirs, mais elles restent limitées dans leur portée. L’UE espère que ces mesures inciteront les dirigeants libanais à engager des réformes, mais leur impact demeure incertain.

Cependant, la multiplication des blocages internes rend ces initiatives largement inefficaces. Malgré les pressions internationales, la classe politique libanaise continue de résister aux réformes et d’agir en fonction de ses intérêts personnels. Les divisions internes, combinées aux ingérences extérieures, empêchent toute sortie de crise durable.

Face à cette impasse, la communauté internationale semble hésiter sur la marche à suivre. La France, malgré sa frustration, continue d’exhorter les dirigeants libanais à agir, mais son influence reste limitée sans un soutien plus ferme des autres puissances. Les États-Unis poursuivent leur politique de sanctions, mais sans parvenir à provoquer un changement structurel. Quant à l’Union européenne, elle tente de maintenir un équilibre entre pression et dialogue, mais ses efforts sont régulièrement contrecarrés par l’inertie du système libanais.

Une ingérence qui empêche toute solution nationale

L’influence étrangère ne se limite pas à des soutiens financiers ou diplomatiques. Elle façonne aussi le discours politique interne et alimente la polarisation de la société. Chaque crise libanaise est interprétée à travers le prisme des rivalités régionales, empêchant l’émergence d’un débat purement national. Les élites politiques exploitent cette situation pour justifier leur immobilisme, rejetant la responsabilité de leurs échecs sur des facteurs extérieurs.

Cette instrumentalisation du contexte géopolitique par les dirigeants libanais est devenue une constante dans la vie politique du pays. Dès qu’une crise survient, chaque camp s’empresse d’accuser un acteur étranger d’être responsable de la situation. Lors des blocages institutionnels, les partis pro-occidentaux dénoncent les ingérences iraniennes à travers le Hezbollah, tandis que le camp opposé accuse les États-Unis, l’Arabie saoudite ou encore Israël de vouloir déstabiliser le pays. Cette rhétorique sert avant tout à masquer l’incapacité des dirigeants à trouver des solutions internes et à détourner l’attention des véritables enjeux nationaux.

Les médias jouent un rôle central dans cette dynamique. Fragmentés selon des lignes politiques bien définies, les principaux organes de presse et chaînes de télévision libanaises relayent des narratifs dictés par leurs sponsors politiques et financiers. Certains médias diffusent des discours pro-occidentaux et anti-Hezbollah, tandis que d’autres promeuvent une ligne résolument tournée vers l’axe de la résistance. Cette division médiatique contribue à renforcer les clivages au sein de la population, empêchant l’émergence d’une conscience nationale unifiée.

L’absence de souveraineté réelle du Liban a des conséquences profondes. Le pays ne parvient pas à définir une politique étrangère autonome, oscillant entre neutralité déclarée et alignement de fait sur certains blocs. Officiellement, le Liban se veut un pays neutre dans les conflits régionaux, mais dans les faits, chaque gouvernement est contraint de composer avec les exigences de ses alliés extérieurs. Cela se traduit par une instabilité chronique dans les relations diplomatiques du pays.

Par exemple, la position du Liban vis-à-vis des conflits régionaux est souvent dictée par les tensions entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Lors de la crise entre Riyad et Beyrouth en 2021, provoquée par des déclarations critiques d’un ministre libanais sur l’intervention saoudienne au Yémen, le Liban s’est retrouvé sous une pression diplomatique et économique intense. L’Arabie saoudite et plusieurs pays du Golfe ont suspendu leurs échanges commerciaux et diplomatiques avec le Liban, mettant en péril l’un des derniers canaux de financement extérieur du pays.

Cette situation fragilise encore plus son économie, car les investissements étrangers sont souvent conditionnés à des choix géopolitiques. L’Arabie saoudite et les pays du Golfe, qui ont longtemps été des bailleurs de fonds majeurs pour le Liban, ont réduit leurs aides en raison de l’influence grandissante du Hezbollah au sein des institutions libanaises. De leur côté, les États-Unis et l’Union européenne conditionnent leur assistance à la mise en place de réformes structurelles que la classe politique libanaise refuse d’adopter.

En parallèle, le Liban subit les répercussions des sanctions économiques imposées à certains de ses alliés, notamment la Syrie et l’Iran. L’économie libanaise, historiquement liée à celle de la Syrie, a été durement touchée par la guerre qui ravage ce pays depuis 2011. Les échanges commerciaux ont été perturbés, le transit de marchandises vers les pays du Golfe est devenu plus compliqué, et le Liban a perdu une source importante de devises étrangères.

Les tensions entre les grandes puissances se traduisent par une instabilité chronique, empêchant tout développement durable. En l’absence de consensus interne et sous la pression des acteurs extérieurs, le pays peine à mettre en place une stratégie économique cohérente. Les institutions financières internationales, comme le Fonds monétaire international, posent des conditions strictes à l’octroi d’aides, mais ces exigences se heurtent aux résistances des élites libanaises, qui refusent de perdre leurs privilèges.

Peut-on imaginer un Liban souverain ?

Face à cette réalité, plusieurs scénarios se dessinent. Le premier serait un renforcement du rôle de la communauté internationale dans la gestion de la crise libanaise. Certains plaident pour une mise sous tutelle du pays, avec un contrôle renforcé des institutions par des instances extérieures. Une telle solution pourrait permettre d’engager des réformes, mais elle soulèverait aussi de nombreuses critiques sur la perte de souveraineté nationale.

Un autre scénario consisterait en une prise de conscience des dirigeants libanais, qui décideraient d’un compromis historique pour sortir le pays de l’impasse. Une telle issue semble peu probable à court terme, tant les intérêts en jeu sont divergents.

Enfin, une mobilisation populaire massive pourrait changer la donne. Depuis 2019, la contestation sociale a montré la volonté du peuple libanais de se libérer de l’emprise des élites corrompues. Mais ces mouvements ont été réprimés ou récupérés par certaines forces politiques, limitant leur impact.

Le Liban est donc à la croisée des chemins. Soit il continue sur la voie actuelle, avec une dépendance accrue aux puissances étrangères et une stagnation politique, soit il parvient à se réinventer en s’affranchissant de ces influences. Mais pour cela, il faudrait une volonté de réforme et une capacité à dépasser les divisions internes, deux éléments qui font aujourd’hui cruellement défaut.

- Advertisement -
Newsdesk Libnanews
Newsdesk Libnanewshttps://libnanews.com
Libnanews est un site d'informations en français sur le Liban né d'une initiative citoyenne et présent sur la toile depuis 2006. Notre site est un média citoyen basé à l’étranger, et formé uniquement de jeunes bénévoles de divers horizons politiques, œuvrant ensemble pour la promotion d’une information factuelle neutre, refusant tout financement d’un parti quelconque, pour préserver sa crédibilité dans le secteur de l’information.

A lire aussi