Le 20 mars 2025, le Conseil des ministres libanais a approuvé un mécanisme de nomination pour les postes de grade 1 dans les administrations publiques, à l’exception du gouverneur de la Banque du Liban, marquant une première étape dans les réformes institutionnelles promises par le gouvernement de Nawaf Salam. Cette décision, annoncée hier lors de la session du Conseil, repose sur neuf principes de gouvernance moderne visant à rationaliser la gestion administrative et à rétablir une transparence dans les recrutements publics. Cependant, les détails précis de ce mécanisme demeurent flous, et des tensions au sein du gouvernement émergent, reflétant une prudence mêlée d’ambiguïté dans cette initiative.
Un mécanisme aux contours encore incertains
Le mécanisme adopté établit des critères clairs pour la sélection des candidats avant leur nomination par le Conseil des ministres. Il préserve l’équilibre confessionnel, pilier du système politique libanais, tout en introduisant une rotation entre les communautés. Le ministre compétent conserve un rôle central : en coordination avec le ministre du Développement administratif et le président du Conseil de la fonction publique, il définit les critères de sélection. Les candidats sont ensuite soumis à des entretiens devant un comité composé de trois experts – deux choisis par le ministre concerné et un par le ministre du Développement administratif. Les listes finales sont transmises au Conseil des ministres, qui privilégie les candidats issus des cadres internes.
Ce processus s’applique également à la nomination des présidents et membres des conseils d’administration des institutions publiques, fonds et organismes régulateurs supervisant les installations étatiques. Pour ces postes, seules les candidatures externes sont acceptées. Le ministre compétent supervise le comité chargé de recueillir les candidatures et de mener les entretiens, avec la possibilité de prolonger ou renouveler les mandats des titulaires actuels. Plus de 60 postes de grade 1 et 150 postes de direction dans les institutions publiques restent vacants, un retard dû aux quotas confessionnels et aux intérêts politiques qui ont bloqué le processus de nomination.
Le Premier ministre Nawaf Salam a présenté cette mesure comme un effort pour établir « une administration publique intègre et efficace qui protège le citoyen », fondée sur la compétence plutôt que sur les affiliations sectaires ou politiques. « Le gouvernement veut construire un État de droit et d’institutions, ce qui est impossible sans une administration neutre », a-t-il affirmé, ajoutant que le mécanisme repose sur neuf principes favorisant la priorité, la concurrence et l’égalité des chances. Pourtant, les modalités exactes de ces principes n’ont pas été publiées, et plusieurs ministres n’auraient pas été consultés au préalable, ce qui a suscité des frictions au sein du cabinet.
Divergences au sein du gouvernement
Des analyses publiées le 21 mars 2025 soulignent les premières tensions apparues dans le gouvernement Salam. Une compétition croissante entre ministres pour le contrôle des portefeuilles techniques et des nominations administratives, notamment dans les ministères des Finances, de la Santé et de l’Intérieur, commence à émerger. Ces rivalités, bien que discrètes, ralentissent la dynamique réformatrice annoncée par le Premier ministre. Les luttes pour l’influence sur ces secteurs stratégiques risquent de reproduire les blocages traditionnels du système libanais, où les nominations sont souvent le fruit de compromis politiques plutôt que de critères objectifs.
Ces divergences mettent en lumière une faiblesse structurelle du système politique libanais. Avec plus de 210 postes vacants dans les grades supérieurs et les directions d’institutions publiques, le retard accumulé paralyse des secteurs essentiels, aggravant une crise institutionnelle déjà profonde. Les Finances, cruciales pour gérer la dette et les négociations internationales, la Santé, en proie à des pénuries chroniques, et l’Intérieur, clé pour la sécurité, attendent des responsables compétents pour fonctionner efficacement. Les rivalités internes pourraient compromettre ces nominations, sapant les ambitions de modernisation.
Un contexte institutionnel fragilisé
Cette réforme intervient dans un Liban marqué par des années de dysfonctionnement institutionnel. La crise économique, amorcée en 2019, a vidé les ressources de l’État, limitant les moyens des administrations publiques. Le vide présidentiel, qui a duré plus de deux ans avant l’élection de Joseph Aoun le 9 janvier 2025, a accentué cette paralysie, laissant de nombreux postes vacants faute d’accord politique. Les nominations dans l’administration ont souvent été bloquées par des marchandages entre partis, alimentant une perception de corruption et d’inefficacité parmi les citoyens.
Nawaf Salam, nommé Premier ministre dans un contexte de tentative de redressement institutionnel, a fait des réformes administratives une priorité. Lors de la session du 20 mars, il a insisté sur la nécessité d’une administration « au service des citoyens » plutôt que des intérêts sectaires ou politiques, un discours qui tranche avec les pratiques historiques du pays. Cependant, l’absence de détails publics sur le mécanisme et les frictions signalées entre ministres suggèrent que ces objectifs se heurtent à des obstacles concrets, tant pratiques que politiques.
Une réforme prudente mais ambiguë
Le mécanisme adopté représente une tentative de rationaliser les nominations publiques, répondant partiellement aux critiques sur le clientélisme qui a miné l’administration libanaise. En privilégiant les candidats internes pour les postes de grade 1 et en introduisant des entretiens avec des experts, il vise à instaurer un minimum de mérite dans le processus. La possibilité de renouveler les mandats des responsables actuels des institutions publiques assure une certaine continuité, évitant une rupture immédiate dans des secteurs fragiles.
Cependant, cette approche prudente s’accompagne d’une ambiguïté qui limite son impact potentiel. L’absence de publication des neuf principes de gouvernance évoqués par Salam laisse planer une incertitude sur leur mise en œuvre. De plus, le manque de consultation préalable avec certains ministres, comme rapporté, risque de compliquer l’application du mécanisme, chaque portefeuille défendant ses propres intérêts. Les rivalités autour des ministères stratégiques, comme les Finances ou l’Intérieur, traduisent les enjeux de pouvoir qui pourraient détourner cette réforme de son but initial.
Perspectives et défis à venir
À court terme, ce mécanisme devra permettre de pourvoir les 60 postes de grade 1 et les 150 postes de direction vacants, une urgence pour restaurer un semblant de fonctionnalité dans les administrations publiques. Les secteurs de la santé, affecté par des pénuries de médicaments et d’équipements, et des finances, essentiel pour relancer l’économie, nécessitent des nominations rapides et compétentes. À moyen terme, le succès de cette réforme dépendra de sa capacité à s’affranchir des quotas confessionnels et à établir une culture de mérite, un objectif ambitieux qui exige un consensus politique plus large que celui observé actuellement.
Les tensions internes au gouvernement constituent un obstacle immédiat. La compétition pour les portefeuilles clés pourrait retarder les nominations, reproduisant les lenteurs du passé. De plus, l’opacité entourant les détails du mécanisme alimente le scepticisme quant à sa capacité à instaurer une transparence durable. Dans un pays où la confiance dans les institutions est au plus bas, ces ambiguïtés risquent de compromettre la crédibilité de cette initiative.
Une réforme à l’épreuve des réalités libanaises
Le mécanisme adopté reflète une volonté de répondre aux attentes d’une administration plus efficace, un besoin criant dans un Liban en crise depuis 2019. La suppression des pratiques de favoritisme et la mise en avant de la compétence, comme prônées par Nawaf Salam, pourraient poser les bases d’un renouveau institutionnel. Cependant, la prudence adoptée – éviter une refonte trop brutale du système – se heurte à des rivalités internes et à un manque de clarté qui pourraient limiter ses effets.