Un retour sous condition sur la scène financière internationale
Le Liban fait un retour très observé dans les sphères financières internationales, à l’occasion des réunions de printemps du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Ce retour s’inscrit dans un contexte où la confiance est fragilisée. Les délégations libanaises, menées par les représentants du ministère des Finances, ont été accueillies avec attention mais aussi avec prudence. Le pays cherche à convaincre qu’il a entamé une nouvelle phase, plus responsable, plus transparente, plus engagée vers les réformes promises depuis des années.
Les interlocuteurs internationaux réclament des preuves tangibles. Le discours officiel libanais évoque une volonté ferme de reconstruire l’État, d’assainir les finances publiques et de rétablir un climat propice aux investissements. Mais derrière ces déclarations, le chemin reste semé d’embûches. Les engagements pris ne sont pas nouveaux, et leur mise en œuvre se heurte à des résistances internes, des intérêts croisés et une culture administrative marquée par le clientélisme. Le FMI observe avec attention les avancées mais garde ses distances, conditionnant tout appui financier significatif à une série de réformes qui touchent au cœur du système politico-économique libanais.
Une architecture de réformes encore à l’état de projet
Le gouvernement libanais a présenté un document de travail listant les chantiers prioritaires. Parmi eux figurent la réforme du secteur bancaire, l’abolition du secret bancaire dans certaines procédures judiciaires, la réorganisation de la Cour des comptes et la mise en place d’une autorité indépendante de régulation des services publics. Cette feuille de route est jugée pertinente sur le papier, mais les interlocuteurs étrangers insistent sur la nécessité d’un calendrier contraignant et d’un mécanisme de suivi transparent.
En parallèle, des discussions ont été engagées sur la restructuration de la dette publique, qui représente plus de 170 % du PIB. Le FMI réclame un audit complet des avoirs bancaires, une mesure jugée politiquement sensible au Liban. Cette mesure vise à identifier les transferts suspects de capitaux effectués au début de la crise de 2019. Mais elle se heurte au refus d’une partie des élites politiques, qui craignent d’être directement visées. Le gouvernement tente de proposer une solution intermédiaire : confier cet audit à une entité indépendante choisie d’un commun accord avec les bailleurs de fonds.
La réforme du secteur énergétique, un autre dossier stratégique, est également à l’agenda. Les partenaires internationaux demandent une ouverture à la concurrence, une meilleure facturation de l’électricité, et une réduction des pertes techniques. Ces réformes impliquent une redéfinition des contrats en cours, dont plusieurs sont liés à des groupes proches de partis politiques influents. La résistance à cette restructuration est forte, et les blocages se multiplient au Parlement comme dans l’administration.
Des résistances internes à la transparence exigée
L’une des pierres d’achoppement majeures dans le dialogue avec le FMI est la question du secret bancaire. Longtemps considéré comme un pilier du système libanais, ce secret est désormais perçu comme un obstacle à la traçabilité des flux financiers. Les experts internationaux exigent une réforme permettant aux autorités judiciaires et fiscales d’accéder aux comptes dans le cadre d’enquêtes spécifiques. Cette réforme, pourtant votée en première lecture, est restée bloquée dans les commissions parlementaires.
Les partisans du maintien du secret bancaire mettent en avant la protection de la vie privée et la stabilité du système bancaire. Les détracteurs dénoncent au contraire un instrument de dissimulation utilisé pour protéger les détenteurs d’avoirs douteux. Le débat est symptomatique des tensions qui traversent l’appareil politique. Il oppose deux visions : celle d’un État transparent, conforme aux standards internationaux, et celle d’un système opaque, centré sur les équilibres confessionnels et les intérêts croisés.
Cette opposition est également visible dans les nominations à la tête des autorités de contrôle. Les partenaires internationaux réclament des profils techniques, indépendants, dotés d’un mandat clair. Mais chaque nomination donne lieu à d’intenses négociations politiques, retardant la constitution de ces autorités. Le FMI a fait savoir que sans avancée concrète sur ce point, les décaissements seraient suspendus. Cette ligne rouge diplomatique a été relayée dans les réunions bilatérales, sans pour autant provoquer un électrochoc au sein du système libanais.
Le dilemme des aides conditionnées : acceptation politique ou perte de souveraineté ?
Le soutien financier du FMI et des bailleurs multilatéraux représente pour le Liban une opportunité de relance, mais aussi une épreuve de souveraineté. Les conditionnalités imposées — réforme du système fiscal, réduction des subventions, restructuration des entreprises publiques — sont perçues comme des ingérences par certains acteurs politiques. Le débat sur le rôle du FMI divise profondément les partis. Les plus technocratiques y voient un levier pour assainir l’économie. Les autres dénoncent une mise sous tutelle déguisée.
Ce clivage est accentué par les tensions sociales. Une partie de la population redoute que les réformes exigées se traduisent par une baisse des aides, une privatisation des services essentiels et une précarisation accrue. Des manifestations sporadiques ont eu lieu dans plusieurs régions contre la levée des subventions sur le carburant et les médicaments. Le gouvernement tente de rassurer, mais les marges de manœuvre budgétaires sont réduites.
Dans ce contexte, le discours du gouvernement alterne entre engagement envers les réformes et prudence politique. Les représentants officiels réaffirment leur volonté de coopérer avec le FMI, tout en insistant sur la nécessité d’un « rythme adapté aux réalités sociales du pays ». Cette formulation ambiguë permet de ménager les attentes extérieures sans provoquer de rejet interne. Mais elle entretient également un flou qui nuit à la crédibilité du processus réformateur.
Le FMI entre espoir réformateur et méfiance structurelle
Le FMI adopte une posture de fermeté tempérée. Il a salué les engagements pris par le Liban, tout en insistant sur leur mise en œuvre effective. Les missions techniques dépêchées à Beyrouth ont effectué plusieurs audits et évaluations. Elles ont relevé des améliorations, notamment dans la production de statistiques économiques et la stabilisation de certaines lignes budgétaires. Mais elles ont également pointé de nombreuses failles : opacité des comptes publics, absence d’un cadastre fiscal à jour, fragmentation des bases de données financières.
L’institution reste marquée par les expériences passées, où des accords de principe n’ont jamais été suivis d’effets. Elle a mis en place un dispositif de suivi renforcé, impliquant des revues trimestrielles, des indicateurs de performance, et des rapports publics. Cette logique de transparence vise à rassurer les investisseurs, mais elle est vécue comme une pression politique par les autorités libanaises. Certains hauts fonctionnaires expriment leur agacement devant ce qu’ils considèrent comme une surveillance excessive.
Malgré cela, le FMI reste l’un des rares partenaires crédibles dans la relance libanaise. Son appui conditionne celui des autres bailleurs, notamment la Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement, et les fonds arabes. Le Liban est donc contraint de maintenir le dialogue, même s’il avance à pas comptés. La situation économique du pays, marquée par une inflation à trois chiffres et une monnaie en perte de valeur, laisse peu de choix.
La fracture interne autour du modèle économique
Le débat autour du programme du FMI révèle aussi une fracture plus profonde : celle du modèle économique libanais. Le pays a longtemps reposé sur un triptyque : la diaspora, le secteur bancaire, et les services. Ce modèle, fragilisé par la crise de 2019, est aujourd’hui en question. Le FMI propose une transformation vers une économie plus productive, basée sur l’industrie légère, l’agriculture durable, et les exportations technologiques. Mais cette vision se heurte à une réalité structurelle : infrastructures dégradées, pénurie de compétences, faible culture industrielle.
Les élites économiques traditionnelles, habituées à des rentes financières, voient ces transformations avec scepticisme. Elles redoutent de perdre leur pouvoir d’influence dans une économie plus réglementée. Les syndicats, de leur côté, craignent une libéralisation à marche forcée, sans garanties sociales. Cette double résistance complique la mise en œuvre du plan proposé. Elle explique aussi pourquoi certaines réformes, pourtant validées sur le principe, peinent à se concrétiser.
Face à ces résistances, le gouvernement tente d’impliquer de nouveaux acteurs. Il ouvre des canaux de dialogue avec la société civile, les chambres de commerce régionales, et les start-ups. Il espère ainsi créer une base sociale pour soutenir la transformation. Mais cette stratégie reste embryonnaire. Elle nécessite du temps, des ressources, et une communication pédagogique constante.
Vers une nouvelle gouvernance économique ? Les lenteurs du cadre légal
Un des grands défis du processus de réforme réside dans la refondation du cadre légal et réglementaire. Plusieurs textes clés sont encore bloqués dans les méandres législatifs. Il s’agit notamment de la loi sur l’indépendance de la Banque centrale, de la réforme de la loi sur les marchés publics, et de la création d’un Haut Conseil de coordination économique. Ces textes, bien qu’inspirés des recommandations du FMI, rencontrent une forte opposition dans les milieux politiques. Ils impliquent un rééquilibrage des pouvoirs, une réduction des prérogatives discrétionnaires, et une plus grande ouverture aux mécanismes de contrôle extérieur.
Les commissions parlementaires chargées d’examiner ces textes ont souvent reporté leurs travaux, invoquant un besoin de « concertation nationale ». En réalité, ces retards sont souvent le résultat de calculs politiques. Les blocs confessionnels redoutent que ces lois ne remettent en cause les équilibres établis. Ils craignent aussi que les nouveaux organismes de contrôle deviennent des outils d’influence pour les puissances étrangères.
Cette méfiance est également alimentée par le passé. De nombreuses lois adoptées dans les années précédentes n’ont jamais été mises en œuvre, faute de décrets d’application. Le FMI, conscient de cette inertie, exige désormais des garanties d’exécution avant toute validation définitive. Il demande que les projets de loi soient accompagnés d’un calendrier précis, d’indicateurs de résultats, et de mécanismes d’évaluation indépendants.
Un agenda social encore flou : promesses et attentes
Le programme de réformes économiques reste flou sur son versant social. Les partenaires internationaux insistent sur la nécessité de compenser les effets des ajustements structurels. Ils demandent la mise en place de filets sociaux : subventions ciblées, aides directes aux familles, soutien à l’emploi. Mais jusqu’à présent, peu de mesures concrètes ont été prises dans ce sens. Les projets pilotes de carte sociale numérique sont encore à l’état de test, et leur déploiement est freiné par l’absence d’un registre unifié de la population.
Les syndicats et les ONG s’inquiètent de cette lacune. Ils rappellent que les précédents plans d’ajustement structurel dans d’autres pays ont souvent débouché sur une paupérisation accrue, faute d’accompagnement social. Le gouvernement libanais promet de corriger cette faiblesse. Il affirme que les prochaines étapes du programme incluront un budget dédié à la protection sociale, financé en partie par les économies générées par la rationalisation des subventions.
Cependant, cette perspective reste théorique. Le ministère des Finances peine à équilibrer les dépenses courantes et à rembourser les dettes internes. L’absence de coordination entre les ministères concernés ralentit la mise en œuvre des mesures. Le déficit de planification stratégique est flagrant. Et les outils statistiques, indispensables à la définition de politiques ciblées, sont souvent obsolètes ou incomplets.
Les investisseurs en attente d’un signal fort
Au-delà du FMI, le Liban tente de convaincre les investisseurs privés de revenir. Les conférences économiques organisées ces derniers mois ont réuni des dizaines de représentants de groupes étrangers. Mais les résultats concrets restent modestes. Les investisseurs réclament avant tout un cadre juridique stable, une justice efficace, et des garanties sur la sécurité des contrats. Or, sur ces trois points, le pays reste en retard.
L’instabilité judiciaire est l’un des freins majeurs à l’investissement. Les décisions contradictoires, les lenteurs procédurales, et les interférences politiques découragent les initiatives. Le gouvernement annonce des réformes, mais celles-ci sont lentes à se matérialiser. L’adoption d’un nouveau code du commerce est régulièrement repoussée. Les tribunaux spécialisés dans les litiges économiques sont en sous-effectif. Et la numérisation du registre des entreprises progresse lentement.
Les chambres de commerce réclament des mesures urgentes : simplification des procédures d’enregistrement, réduction des taxes sur la création d’entreprise, accès facilité au crédit. Ces demandes ont été relayées au gouvernement, qui promet d’y répondre dans le cadre d’un plan de relance intégré. Mais tant que les blocages structurels ne seront pas levés, le climat d’investissement restera incertain.
Une crédibilité encore fragile sur la scène internationale
Malgré les annonces et les efforts de présentation, la crédibilité du Liban sur la scène économique internationale demeure fragile. Les institutions financières et les partenaires bilatéraux rappellent régulièrement que le pays a signé plusieurs engagements par le passé sans en assurer la mise en œuvre. La confiance se reconstruira uniquement à travers des actes concrets, répétés, vérifiables. Le discours ne suffit plus. Il doit s’incarner dans des lois, des décrets, des procédures appliquées, et des résultats visibles.
Le Liban souffre encore d’un déficit de réputation. Les indicateurs de gouvernance, publiés par diverses agences de notation et instituts internationaux, le placent régulièrement parmi les pays à haut risque en matière de corruption, d’opacité budgétaire et de fragilité institutionnelle. Ce constat constitue un frein à toute relance durable. Il dissuade les grandes entreprises, mais aussi les petits porteurs de capitaux issus de la diaspora, de revenir investir dans leur pays d’origine.
Pour inverser cette tendance, le gouvernement tente d’initier une campagne de communication économique. Des brochures sont distribuées aux ambassades. Des présentations sont faites lors de forums régionaux. Des conseillers spéciaux ont été nommés pour dialoguer directement avec les acteurs économiques étrangers. Mais ces initiatives, souvent cosmétiques, ne suffisent pas à changer l’image d’un système incapable de réformer de l’intérieur.
Les marges de manœuvre étroites d’un exécutif sous tension
Le gouvernement libanais doit faire face à une double contrainte : d’un côté, les demandes du FMI et des bailleurs ; de l’autre, la pression de la rue et des forces politiques traditionnelles. Cette tension permanente limite considérablement les marges d’action. Chaque réforme devient un terrain de confrontation. Chaque loi, une négociation à hauts risques. L’exécutif doit naviguer entre les lignes, sans perdre l’appui international, ni provoquer un rejet interne.
Ce contexte explique la lenteur apparente du processus. Les ministres avancent par ajustements successifs, testant le terrain avant chaque annonce. Les arbitrages se font souvent dans l’opacité, au sein de comités restreints. Cette méthode, censée éviter les blocages, nourrit au contraire le soupçon d’un manque de volonté politique. Elle alimente le discours de ceux qui accusent le gouvernement de protéger des intérêts établis.
Malgré cela, certaines avancées ont été réalisées. Des mécanismes de contrôle ont été mis en place pour surveiller l’utilisation des fonds internationaux. Des audits internes ont été lancés dans plusieurs ministères. Une politique de rationalisation budgétaire a permis de réduire certaines dépenses non prioritaires. Ces signes positifs sont encore insuffisants, mais ils constituent une base de départ pour aller plus loin.
Le dialogue avec le FMI comme miroir des contradictions nationales
Les négociations avec le FMI agissent comme un révélateur des contradictions profondes du système libanais. Elles montrent à quel point la réforme de l’économie est inséparable d’une refondation politique. Les experts économiques soulignent que la croissance ne reviendra pas sans une justice efficace, une administration compétente, et une classe politique responsable. Le FMI ne l’ignore pas. Il conditionne son appui non seulement à des réformes techniques, mais aussi à des engagements éthiques : lutte contre la corruption, égalité devant la loi, accès équitable aux services.
Ce cadre éthique est peut-être le point le plus sensible. Il entre en collision frontale avec la logique clientéliste qui structure encore le pouvoir au Liban. Réformer l’économie signifie aussi réduire les rentes, redistribuer les ressources, et remettre en cause des privilèges historiques. C’est un processus douloureux, long, et politiquement risqué. Mais c’est aussi le seul chemin possible pour reconstruire une économie viable et une société plus équitable.
Le FMI, en posant ces conditions, oblige le Liban à faire un choix. Continuer dans la logique de gestion de crise, ou engager une transformation structurelle. Ce choix n’appartient pas qu’au gouvernement. Il concerne l’ensemble de la société. Il implique une redéfinition du contrat social, un renouveau des institutions, et une réappropriation de l’espace public par les citoyens. Ce chantier reste à construire.