Diantre ! V’là que partout se hissent au summum de l’état, et par des voies toutes démocratiques, des médiocres populaires ! De Trump à Poutine, en passant par Erdogan, Orban, Duterte et Maduro, pour ne citer qu’eux, le peuple a pris le pouvoir. Sont-ils populistes ou populaires ? Que sais-je ? Ces termes sont subjectifs. Révélateurs d’un mépris ou d’une fascination, ils ne laissent pas indifférent. L’essentiel est là. Monsieur tout-le-monde tient désormais les rênes de l’état. Grossier, misogyne, machiste, ou xénophobe, il provoque la sympathie plutôt que l’antipathie. Quelle ironie !

Mais comment expliquer ce phénomène ? Serait-il simplement le résultat de la fissure qui, avec le temps, s’est muée en gouffre entre l’élite et le peuple ? A l’époque, entre la classe populaire, la classe moyenne et la classe bourgeoise, les choses étaient claires. Les premiers étaient dominés, les seconds s’accommodaient tandis que les derniers menaient la danse. Aujourd’hui plus rien ne va. Se moquer avec outrance de l’élite est devenu le sport favori des candidats au pouvoir. C’est une passe systématique, une voie royale, une autoroute, pour récolter des voix. La revanche des sans-dents (comme dirait un très populaire chef de l’Etat) est en marche.

Le résultat est terrifiant. La morale n’est plus de mise, les droits de l’homme conspués et la mondialisation méprisée. Comment en sommes-nous arrivés là ? D’une crise financière à une crise économique, voici venu le temps de la crise identitaire. « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres » disait Gramsci le communiste, au début du 20ème siècle. Quel visionnaire !

Une question est sur toutes les lèvres : Sommes-nous en train de revivre les années 30s ? Tout incite à y croire. Les boucs émissaires sont là. Musulmans et migrants en Europe. Latinos et noirs aux Etats-Unis. Kurdes et gauchistes en Turquie. Libéraux et occidentalistes en Russie. Ces gens-là sont partout. Ils minent la nation, provoquent sa déchéance, ralentissent, voire interdisent, sa résurrection. Puisque, comme ne cessent de le répéter les braves gens: « tout allait mieux avant », les slogans faisant allusion à la grandeur de la nation fusent de partout. Trump scande, devant une foule conquise: « We will make America great again ». Poutine fusionne le conservatisme de la Russie des tsars avec l’expansionnisme de l’ère soviétique, tandis qu’Erdogan le fait avec l’islamisme et l’ottomanisme. Les anglais se recroquevillent. Les européens aimeraient faire de même. Tout le monde se cloître. Personne ne se parle. Et ainsi va le monde.

Est-ce la faute à l’élite ? Oui sans doute. Mais que peut-elle faire ? Les murs qui s’érigent sont en béton, pas en verre.

Emmanuel Ramia
Ingénieur et économiste pétrolier, Franco-Libanais, féru de littérature, de géopolitique, et de philosophie. Passionné par l'Histoire de son pays d'origine et celle de son pays d'adoption, il rédige ses articles sur l'actualité avec un soin particulier accordé à la dimension historique et philosophique.

1 COMMENTAIRE

  1. Je ne sais pas si c’est la “faute” à l’élite — qu’il faudrait d’ailleurs définir dans le monde contemporain — ou plutôt l’abandon voulu des principes fondateurs de la démocratie. Le peuple est-il écouté ? Veut-on même l’écouter quand il a de gros problèmes de survie, ou des angoisses identitaires ? Les institutions étatiques et économiques répondent-elles à la demande sociale ? Puisque la réponse est “non”, faut-il s’étonner que le peuple vote autrement que les desiderata des pouvoirs en place ? Il y a donc un très gros chantier à ouvrir, celle de la refondation de la démocratie.

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