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Relance libanaise : bâtir une économie durable face à la crise

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Le Liban reste englué dans une crise économique d’une ampleur inédite. Selon la Banque mondiale, le produit intérieur brut (PIB) du pays a chuté de près de 60 % par rapport à 2018, atteignant seulement 18 milliards de dollars contre 52 milliards avant la crise. Cette contraction massive place le Liban parmi les économies les plus sinistrées au monde.

Le taux de pauvreté a explosé pour toucher plus de 80 % de la population, d’après le dernier rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Le chômage dépasse les 35 %, et parmi les jeunes de moins de 25 ans, il atteint un niveau alarmant de 65 %, selon l’Organisation internationale du travail (OIT).

La livre libanaise poursuit sa dépréciation accélérée, atteignant en avril 2025 un taux de change d’environ 145 000 livres pour un dollar, contre 1 500 livres avant 2019. Cette dépréciation a laminé le pouvoir d’achat des ménages et des entreprises, amplifiant l’hyperinflation qui dépasse désormais 250 % par an.

Les infrastructures publiques sont en ruine : le secteur de l’électricité n’assure plus que 2 à 3 heures d’alimentation par jour, et les importations massives d’hydrocarbures étranglent les finances publiques. Les services essentiels — santé, éducation, sécurité — sont devenus partiellement dépendants de l’aide internationale.

Le secteur bancaire est paralysé, avec plus de 80 milliards de dollars de dépôts gelés et un effondrement du crédit au secteur privé de plus de 80 % depuis le début de la crise. La fuite des capitaux s’est accélérée, privant l’économie des ressources nécessaires à sa relance.

Dans ce contexte, la nécessité de repenser en profondeur le modèle économique libanais s’impose comme une urgence absolue pour envisager un avenir viable.

Décryptage des fragilités structurelles de l’économie libanaise

La vulnérabilité extrême de l’économie libanaise trouve ses racines dans plusieurs déséquilibres majeurs accumulés au fil des décennies. Le premier d’entre eux est la dépendance chronique aux flux financiers extérieurs. Avant la crise, les transferts de la diaspora représentaient jusqu’à 14 % du PIB, selon la Banque mondiale, et finançaient en grande partie la consommation domestique.

Par ailleurs, le Liban a longtemps négligé le développement de son secteur productif. L’agriculture et l’industrie, qui représentaient ensemble plus de 20 % du PIB dans les années 1990, ne pèsent plus aujourd’hui que environ 6 %, faute d’investissements et d’infrastructures adaptées. Le pays dépend de ses importations pour plus de 80 % de ses besoins alimentaires, exposant sa sécurité alimentaire aux fluctuations des marchés internationaux.

La corruption endémique et la mauvaise gouvernance ont également aggravé la fragilité économique. Selon Transparency International, le Liban figure parmi les pays les plus corrompus de la région, avec des pertes estimées à plus de 4 % du PIB par an dues aux détournements de fonds publics et à la mauvaise allocation des ressources.

Enfin, le système financier, autrefois considéré comme le pilier de l’économie libanaise, s’est révélé être un facteur aggravant de la crise. Les banques, surexposées à la dette souveraine et opérant dans un environnement réglementaire laxiste, ont précipité la paralysie du crédit et contribué à l’effondrement économique.

Ces faiblesses structurelles imposent aujourd’hui la nécessité d’une refondation en profondeur du modèle économique du pays, pour bâtir une résilience capable d’affronter les chocs futurs.

Scénario 1 : diversification économique et soutien aux secteurs porteurs

Pour bâtir une résilience durable, la diversification économique apparaît comme une priorité absolue. Le modèle libanais, centré historiquement sur les services financiers et le commerce, a montré ses limites dans un contexte de crise prolongée.

Relancer l’agriculture et renforcer la sécurité alimentaire

L’agriculture, bien que marginalisée, offre un potentiel significatif de relance. Selon les données du ministère de l’Agriculture libanais, le pays dispose de 270 000 hectares de terres cultivables, dont seulement 180 000 hectaressont effectivement exploités. En revitalisant ce secteur, le Liban pourrait réduire sa dépendance aux importations alimentaires, qui représentaient 3,8 milliards de dollars en 2024.

Des projets de soutien aux agriculteurs, appuyés par la Banque mondiale et la FAO, visent à moderniser les techniques de production, améliorer l’irrigation et favoriser l’exportation de produits à haute valeur ajoutée, comme les vins, les fruits secs et l’huile d’olive. Le gouvernement espère doubler les exportations agricoles d’ici 2030, pour atteindre environ 600 millions de dollars par an.

Soutenir les industries locales

L’industrie manufacturière, qui représentait avant la crise 13 % du PIB, est tombée à moins de 6 % en 2025. Pourtant, les capacités de rebond existent. La relance du secteur passe par la réhabilitation des infrastructures, notamment électriques, et par des incitations fiscales ciblées.

Les secteurs du textile, de l’agroalimentaire et des matériaux de construction sont identifiés comme prioritaires. Le Syndicat des industriels libanais estime que des investissements de 500 millions de dollars dans la modernisation des équipements pourraient créer jusqu’à 50 000 emplois sur les cinq prochaines années.

Développer le tourisme durable

Avant la pandémie et la crise, le tourisme contribuait à hauteur de 7,5 % du PIB et employait directement ou indirectement plus de 150 000 personnes. Le Liban conserve un potentiel touristique important grâce à son patrimoine culturel, ses sites historiques et ses paysages naturels.

Des initiatives sont en cours pour repositionner le pays comme une destination de tourisme écologique et culturel, avec l’appui de l’Organisation mondiale du tourisme. L’objectif est d’attirer à nouveau 2 millions de visiteurs annuels d’ici 2030, contre 800 000 actuellement, et de générer 1,5 milliard de dollars de recettes annuelles.

Scénario 2 : transition énergétique et relance durable

La crise énergétique actuelle constitue à la fois un défi colossal et une opportunité stratégique pour le Liban. Le pays importe près de 90 % de ses besoins énergétiques, rendant son économie extrêmement vulnérable aux fluctuations des prix mondiaux des hydrocarbures.

Accélérer le développement des énergies renouvelables

Le potentiel solaire du Liban est parmi les plus élevés de la région, avec un ensoleillement annuel de plus de 300 jours. La Banque mondiale estime que le déploiement massif de l’énergie solaire pourrait couvrir jusqu’à 30 % des besoins énergétiques nationaux d’ici 2030.

Des projets pilotes de fermes solaires sont déjà en cours dans la Bekaa et le Sud-Liban, avec des investissements totalisant 120 millions de dollars en 2024. Le gouvernement cible la mise en service de 500 mégawatts de capacité solaire d’ici 2027, ce qui permettrait de réduire les importations de carburants de 20 %.

Moderniser le réseau électrique national

La réhabilitation du réseau de transport et de distribution est essentielle pour intégrer les énergies renouvelables et améliorer la fiabilité de l’approvisionnement. Le coût estimé de cette modernisation s’élève à 1,8 milliard de dollars, selon le ministère de l’Énergie.

Le projet prévoit la réduction des pertes techniques et commerciales du réseau, actuellement supérieures à 40 %, et la modernisation des compteurs pour garantir une facturation plus transparente.

Encourager l’efficacité énergétique

La mise en œuvre de normes d’efficacité énergétique pour les bâtiments, les équipements électroménagers et l’industrie pourrait réduire la consommation d’énergie de 15 à 20 % d’ici 2030, selon l’Agence internationale de l’énergie.

Des programmes de subventions pour l’achat d’équipements performants sont à l’étude, en partenariat avec l’Union européenne et la Banque européenne d’investissement.

Scénario 3 : capitaliser sur la diaspora et les transferts extérieurs

La diaspora libanaise, forte de plus de 8 millions de personnes réparties dans le monde entier, reste un atout stratégique majeur pour l’économie du pays. Historiquement, ses transferts ont contribué jusqu’à 14 % du PIB, représentant une bouée de sauvetage pour des centaines de milliers de familles.

Optimiser les transferts de la diaspora

Depuis le début de la crise, ces transferts ont diminué mais demeurent essentiels. En 2024, selon la Banque mondiale, les envois de fonds s’élevaient à 3,2 milliards de dollars, contre plus de 7 milliards avant 2019. Le gouvernement cherche à dynamiser ces flux en rétablissant la confiance dans le système bancaire et en créant des mécanismes plus transparents pour acheminer les fonds vers des investissements productifs.

Le ministère de l’Économie envisage la création de « diaspora bonds », des obligations spécifiquement destinées aux expatriés libanais souhaitant contribuer à la reconstruction du pays. Ce dispositif, inspiré d’expériences menées en Inde et en Israël, pourrait mobiliser jusqu’à 1 milliard de dollars sur cinq ans.

Mobiliser la diaspora entrepreneuriale

Au-delà des transferts privés, la diaspora libanaise représente une formidable réserve de compétences et de réseaux professionnels. Des programmes de mentorat et de partenariats entre entreprises locales et entrepreneurs de la diaspora sont en cours de développement avec le soutien de la Banque mondiale et du PNUD.

L’objectif est de favoriser le transfert de technologies, d’attirer des investissements directs étrangers et de stimuler l’innovation locale. Le ministère de l’Industrie espère ainsi capter plus de 300 millions de dollars d’investissements productifs de la diaspora d’ici 2027.

Encourager le retour des compétences

La fuite des cerveaux constitue l’un des défis majeurs du Liban, avec plus de 250 000 travailleurs qualifiés ayant quitté le pays depuis 2019, selon le HCR. Pour inverser cette tendance, le gouvernement prévoit des incitations fiscales et des programmes de réintégration ciblés pour les cadres et les spécialistes libanais de l’étranger.

Ces dispositifs incluent des exonérations temporaires d’impôts sur le revenu pour les professionnels qui reviendraient s’installer durablement au Liban et des subventions pour la création d’entreprises dans des secteurs prioritaires.

Le rôle clé du secteur privé et de l’innovation locale

Le redressement du Liban repose en grande partie sur la capacité de son secteur privé à se réinventer et à s’adapter aux nouvelles contraintes du marché.

Stimuler l’esprit d’entreprise

Malgré les difficultés, l’écosystème entrepreneurial libanais reste dynamique. Des initiatives telles que « Kiva Lebanon » ou le « Lebanon Enterprise Development » soutiennent les microentreprises et les PME en offrant des prêts à taux réduit et des programmes de formation.

Le secteur technologique, en particulier, affiche un potentiel prometteur. Selon un rapport de l’Agence universitaire de la francophonie publié en mars 2025, le nombre de start-up technologiques libanaises a augmenté de 12 % en 2024, malgré la crise.

Les hubs d’innovation de Beyrouth, Tripoli et Saïda concentrent des initiatives dans le développement de solutions pour l’énergie solaire, la fintech ou encore l’agritech. Le soutien accru des bailleurs internationaux permet d’espérer une montée en puissance de ces écosystèmes dans les prochaines années.

Promouvoir les chaînes de valeur locales

La relocalisation partielle des chaînes de valeur offre au Liban l’opportunité de renforcer sa résilience économique. Les acteurs privés explorent la transformation locale des matières premières pour limiter la dépendance aux importations.

Par exemple, le développement de la filière de la transformation agroalimentaire est encouragé par des crédits bonifiés de l’Union européenne, visant à moderniser les équipements et à améliorer l’accès aux marchés d’exportation.

La promotion des circuits courts et de l’artisanat local est également soutenue par des programmes de coopération internationale, avec des perspectives de création de jusqu’à 15 000 emplois dans les zones rurales d’ici 2028.

Les conditions indispensables à une résilience durable

Pour que ces scénarios de résilience économique se concrétisent, plusieurs conditions préalables et transversales doivent impérativement être réunies.

Stabiliser le cadre macroéconomique

La première priorité demeure la stabilisation de la situation macroéconomique. Le Liban ne pourra construire une résilience durable sans contenir l’hyperinflation, stabiliser la monnaie et assainir les finances publiques. Selon le FMI, un retour à la stabilité monétaire suppose une politique budgétaire crédible, la fin du financement monétaire du déficit, et une restructuration complète de la dette publique.

Le rétablissement de la crédibilité de la Banque du Liban est essentiel. La mise en place d’une politique monétaire indépendante et transparente, adossée à une supervision bancaire renforcée, constitue une condition sine qua non pour restaurer la confiance des investisseurs et de la population.

Restaurer la gouvernance et lutter contre la corruption

La gouvernance constitue un pilier fondamental de toute stratégie de résilience. Le Liban souffre d’un déficit chronique de transparence et d’efficacité administrative. Le classement de Transparency International place le pays à la 154e position sur 180 en 2024, soulignant l’ampleur du défi.

La réforme de la justice, la numérisation des procédures administratives et la mise en place d’organes de contrôle indépendants sont autant de leviers pour restaurer la confiance et sécuriser les investissements.

Le renforcement des institutions de lutte contre la corruption, comme l’Instance nationale de lutte contre la corruption, doit s’accompagner de pouvoirs effectifs d’enquête et de sanction, ainsi que de la protection des lanceurs d’alerte.

Renforcer la cohésion sociale et investir dans le capital humain

La résilience économique passe aussi par le renforcement de la cohésion sociale. Les inégalités criantes et la montée de la précarité menacent la stabilité du pays. En avril 2025, plus de 3 millions de Libanais vivent sous le seuil de pauvreté, selon le PNUD.

Investir dans l’éducation, la santé et la protection sociale est crucial pour permettre à l’ensemble de la population de participer à la relance économique. Le maintien d’un système éducatif performant est d’autant plus stratégique que le Liban bénéficie historiquement d’un capital humain reconnu dans la région.

Le développement de programmes de formation professionnelle adaptés aux besoins des secteurs porteurs est indispensable pour répondre à la demande de main-d’œuvre qualifiée. Le ministère de l’Éducation prévoit de former 30 000 jeunes aux métiers de l’énergie renouvelable, du numérique et de l’agriculture moderne d’ici 2027.

Perspectives à moyen terme pour un modèle économique soutenable

En agrégeant les différentes stratégies envisagées — diversification économique, transition énergétique, mobilisation de la diaspora, réforme de la gouvernance et investissement dans le capital humain —, le Liban peut espérer amorcer un redressement progressif de son économie.

Le scénario central établi par la Banque mondiale prévoit, sous réserve de réformes substantielles, un retour de la croissance à 3,5 % par an d’ici 2027, avec une réduction progressive du taux de chômage à 25 % et une stabilisation de l’inflation autour de 15 %.

L’objectif serait d’accroître la résilience du pays face aux chocs externes, de restaurer la confiance des investisseurs et de rétablir un minimum de protection sociale pour la population. La consolidation du tissu productif local, combinée à une meilleure gouvernance et à une intégration régionale renforcée, offrirait au Liban une perspective de redressement durable.

Le chemin reste long et semé d’embûches, mais la dynamique de résilience existe, à condition d’une mobilisation collective de l’ensemble des acteurs économiques, sociaux et politiques du pays.

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Newsdesk Libnanews
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