Le Conseil des ministres libanais, présidé par le Premier ministre Nawaf Salam et le président Joseph Aoun, s’est réuni au palais de Baabda, marquant une étape clé dans les efforts de relance économique et politique d’un pays en crise depuis 2019. Cette session, qui s’est conclue après plusieurs heures de délibérations, a permis d’adopter plusieurs décisions majeures, notamment l’émission du budget 2025 par décret, une révision des taxes et des frais pour atténuer leurs impacts sociaux et économiques, le lancement d’une « veritable » réforme structurelle basée sur le programme gouvernemental, et des mesures pour les victimes de la guerre israélo-libanaise. Les déclarations du président Aoun et du Premier ministre Salam ont également souligné une coopération renforcée avec l’Arabie saoudite, sous réserve d’engagement aux réformes, ainsi qu’un calendrier pour les actions ministérielles. Dans un contexte de crise bancaire, de restrictions sur les retraits, et d’une méfiance généralisée, cette réunion illustre les défis et les espoirs d’un Liban en quête de stabilité, tout en posant des questions sur sa capacité à répondre aux exigences du FMI et des partenaires internationaux.
Depuis l’effondrement économique de 2019, le Liban traverse une crise multidimensionnelle, marquée par une insolvabilité bancaire (70 % des actifs bancaires liés à des créances irrécouvrables sur la Banque du Liban ou l’État), une dévaluation de la livre libanaise (plus de 90 % sur le marché parallèle), une inflation galopante, et une paralysie politique avec un vide présidentiel jusqu’en janvier 2025, suivi par l’élection de Joseph Aoun. Les restrictions bancaires, comme la Circular 158 limitant les retraits à 400 dollars par mois, ont gelé des milliards de dollars de dépôts, alimentant la défiance des déposants et des investisseurs. Les transferts de la diaspora, jadis 30 % du PIB, ont chuté de 25,5 % en 2024 et de 15 % en 2025 (Western Union, OMT), tandis que 3,2 milliards de dollars d’investissements ont fui le pays en 2024, selon des estimations économiques.
Sur le plan fiscal, le Liban fait face à une situation critique, avec une dette publique dépassant 90 milliards de dollars (environ 150 % du PIB avant la crise, selon la Banque mondiale), des recettes fiscales en chute libre (moins de 10 % du PIB en 2024, contre 18 % en 2018, selon le FMI), et une dépendance accrue aux aides internationales. Les politiques fiscales préalables, marquées par des exemptions pour certains secteurs (comme l’immobilier et l’énergie) et des taxes indirectes sur les ménages, ont exacerbé les inégalités et réduit la capacité de l’État à financer les services publics, tels que l’électricité (produite à moins de 4 heures par jour par Électricité du Liban) et les soins de santé. Cette situation a conduit à une pression croissante pour réformer le système fiscal, une exigence centrale des négociations avec le FMI, qui insiste sur une augmentation des recettes fiscales via une taxation progressive, une réduction des exemptions, et une lutte contre l’économie informelle (50-60 % du PIB, selon le PNUD).
Dans ce contexte, le nouveau gouvernement, formé en février 2025 sous la direction de Nawaf Salam avec l’intervention des États-Unis pour limiter l’influence du Hezbollah, s’est engagé à lancer une « veritable » réforme structurelle, comme stipulé dans le programme gouvernemental (Bian al-Wizari). Cette réunion, la première sous cette administration depuis plusieurs semaines, visait à concrétiser ces engagements, tout en répondant aux pressions du Fonds monétaire international (FMI) et des créanciers internationaux, qui conditionnent leur aide – potentiellement des milliards de dollars – à des réformes structurelles, notamment une unification des taux de change, un audit des comptes bancaires, et une recapitalisation de la BDL.
Décisions clés de la réunion
La session du Conseil des ministres a débouché sur plusieurs décisions majeures, reflétant une volonté de progresser sur les réformes économiques et sociales, tout en tenant compte des défis actuels :
- Émission du budget 2025 par décret : Le Conseil a décidé d’émettre le budget 2025 par décret, une mesure inhabituelle mais nécessaire pour surmonter les blocages parlementaires, selon le Premier ministre Nawaf Salam. Cette décision vise à stabiliser les finances publiques, mais elle a été accompagnée d’une directive claire : le ministre des Finances, Yassin Jaber, a été chargé de préparer un projet de loi pour réexaminer les taxes et les frais inclus dans ce budget, afin de « tarder les impacts sociaux et économiques » sur les citoyens. Cette révision, qui inclut une analyse des effets sur les ménages et les entreprises, répond aux critiques sur les taxes élevées dans le projet initial, comme mentionné dans les discussions rapportées par MTV. Le budget 2025, selon les fuites publiées par des médias locaux comme L’Orient-Le Jour, propose une augmentation des taxes sur les importations (jusqu’à 20 % sur certains produits non essentiels), une hausse de la TVA de 11 % à 15 %, et des taxes sur les revenus des professions libérales, mais ces mesures risquent d’alourdir le fardeau fiscal des ménages, déjà frappés par une inflation à trois chiffres et une pauvreté affectant plus de 80 % de la population, selon la Banque mondiale en 2023.
- Lancement d’une « veritable » réforme structurelle : Nawaf Salam a déclaré que le gouvernement avait « bâché » une « veritable » réforme structurelle, basée sur le programme gouvernemental adopté en février 2025. Cette initiative englobe une série de mesures pour restructurer l’économie, notamment une unification des taux de change, une recapitalisation du secteur bancaire, et une amélioration de la gouvernance publique. Sur le plan fiscal, cette réforme inclut une rationalisation des dépenses publiques (réduction des subventions inefficaces, comme celles sur le carburant, estimées à 2 milliards de dollars par an, selon le FMI), une augmentation des recettes fiscales via une taxation progressive (visant les hauts revenus et les grandes entreprises), et une réduction des exemptions fiscales accordées historiquement à certains secteurs, comme l’immobilier et l’agriculture. Le Conseil a également convenu d’établir un calendrier précis et des mesures correctives pour assurer l’exécution des plans ministériels, visant à renforcer la responsabilité et la transparence.
- Mesures pour les victimes de la guerre israélo-libanaise : Le ministre de l’Information, Paul Marqos, a annoncé l’approbation d’un projet de loi visant à exempter les victimes de la guerre israélo-libanaise (2023-2024) de certaines taxes et frais. Cette décision, débattue longuement lors de la réunion, reflète une volonté de soutenir les régions touchées, comme le Sud et Beyrouth, tout en répondant aux pressions sociales et politiques. Cependant, des divergences ont émergé sur les critères d’éligibilité, illustrant les défis d’un consensus au sein du gouvernement. Sur le plan fiscal, cette mesure implique une perte estimée de 50 millions de dollars de recettes fiscales annuelles, selon des estimations préliminaires, un montant significatif dans un contexte où l’État peine à collecter des impôts (moins de 2 milliards de dollars en 2024, contre 6 milliards en 2018). Cette exemption pourrait être financée par une réallocation des subventions ou une augmentation ciblée des taxes sur les secteurs non affectés, mais elle risque d’aggraver les tensions avec le FMI, qui insiste sur une augmentation nette des recettes fiscales.
- Nominations et mesures administratives : Le Conseil a approuvé la nomination de 63 officiers spécialisés au sein des Forces de sécurité intérieure, une décision visant à renforcer les capacités de sécurité dans un contexte de tensions sociales et économiques. Un décret du gouverneur du Nord a également été mentionné, bien que ses détails spécifiques n’aient pas été précisés, suggérant une gestion locale des crises. Sur le plan fiscal, cette décision n’a pas d’impact direct, mais elle illustre la nécessité d’augmenter les budgets sécuritaires, financés par des allocations publiques déjà contraintes, ce qui pourrait nécessiter une augmentation des taxes ou une coupe dans d’autres secteurs, comme l’éducation ou la santé, alimentant les inquiétudes sociales.
Ces décisions, bien que modestes, marquent une tentative de progresser sur les réformes, mais elles soulèvent des questions sur leur faisabilité face aux divisions confessionnelles, à la méfiance publique, et aux contraintes financières, notamment sur le plan fiscal, où les recettes sont insuffisantes pour couvrir les besoins d’un État en faillite.
Déclarations et orientations politiques
Les déclarations des responsables après la réunion ont mis en lumière des priorités et des perspectives internationales :
- Nawaf Salam : Le Premier ministre a insisté sur le lancement d’une « veritable » réforme structurelle, soulignant l’importance d’un calendrier et de mesures correctives pour les ministères. Il a également souligné l’objectif de travailler sur le budget 2026, indiquant une planification à long terme pour stabiliser les finances publiques. Sur le plan fiscal, Salam a mentionné la nécessité de « rééquilibrer » les recettes et les dépenses, en s’appuyant sur une taxation plus équitable, mais sans détailler les mesures spécifiques, laissant planer des incertitudes sur les impacts sociaux.
- Joseph Aoun : Le président a placé la réunion sous le signe de sa récente visite en Arabie saoudite (janvier 2025) et d’une visite prévue après l’Aïd el-Fitr, où certains ministres participeront. Paul Marqos a rapporté que Aoun a souligné un « préparation saoudien » à aider le Liban, à condition que des réformes soient mises en œuvre, y compris sur le plan fiscal, avec une augmentation des recettes fiscales et une réduction des subventions inefficaces. Aoun a également insisté sur la confidentialité des délibérations, un point crucial pour maintenir la cohésion gouvernementale.
- Paul Marqos : Le ministre de l’Information a détaillé les décisions, soulignant l’engagement à des réformes et à une coopération internationale, tout en rappelant les mesures pour les victimes de la guerre et les nominations sécuritaires. Sur le plan fiscal, Marqos a noté que la révision des taxes et des frais visait à « protéger les couches vulnérables », mais il n’a pas précisé comment cette révision pourrait être financée, laissant ouvertes des questions sur les compromis budgétaires.
Ces déclarations reflètent une volonté d’aligner le Liban sur les attentes internationales, notamment celles de l’Arabie saoudite, un partenaire clé pour les aides financières, mais elles soulignent aussi les défis d’un gouvernement formé en février 2025 sous pression des États-Unis pour limiter l’influence du Hezbollah, tout en maintenant un équilibre confessionnel (chrétien-musulman) et politique. Sur le plan fiscal, ces déclarations soulignent la tension entre l’urgence d’augmenter les recettes et la nécessité de protéger les citoyens, dans un contexte où les taxes indirectes (comme la TVA et les droits de douane) représentent 70 % des recettes fiscales, selon le FMI, pesant lourdement sur les ménages pauvres.
Implications économiques et politiques
La réunion du 6 mars 2025 illustre les défis et les espoirs d’un Liban en crise. Sur le plan économique, l’émission du budget 2025 par décret et la révision des taxes visent à stabiliser les finances publiques, mais elles risquent de susciter des oppositions au Parlement, où les blocs comme les Forces libanaises, le Hezbollah et Amal défendent des intérêts divergents. Les mesures pour les victimes de la guerre répondent à des pressions sociales, mais leur mise en œuvre dépendra des ressources limitées d’un État en défaut de paiement, avec des réserves en devises quasi inexistantes. Sur le plan fiscal, l’augmentation des taxes proposées dans le budget 2025 – notamment sur les importations, la TVA, et les revenus professionnels – pourrait générer jusqu’à 1,5 milliard de dollars de recettes supplémentaires par an, selon les estimations du ministère des Finances, mais elle risque d’aggraver la pauvreté et de provoquer des protestations, comme celles de 2019 contre les taxes WhatsApp et les hausses fiscales.
Sur le plan politique, la décision d’organiser les réunions du Conseil dans un lieu indépendant suggère une tentative de renforcer l’autonomie gouvernementale face aux tensions au palais de Baabda, où le président Aoun et le Premier ministre Salam doivent naviguer entre les pressions internes et internationales. L’accent sur la coopération saoudienne, conditionnée aux réformes, reflète une stratégie pour attirer des aides financières, mais elle expose le Liban à des critiques sur sa souveraineté, notamment de la part du Hezbollah, qui pourrait percevoir cette dépendance comme une ingérence. Sur le plan fiscal, cette coopération pourrait inclure des prêts ou des dons saoudiens pour combler les déficits, mais cela nécessiterait une augmentation des recettes fiscales locales, une condition difficile à remplir sans provoquer de tensions sociales.
La méfiance publique, alimentée par la crise bancaire, les restrictions sur les retraits, et la fuite des capitaux (3,2 milliards USD en 2024), risque de limiter l’impact de ces décisions. Les protestations à Beyrouth depuis 2019, ciblant les banques et l’ABL, pourraient s’intensifier si les réformes tardent ou si les taxes augmentent sans bénéfices visibles. Les exigences du FMI – unification des taux, audit des comptes, recapitalisation – restent une condition sine qua non pour des aides internationales, mais leur mise en œuvre bute sur les divisions confessionnelles et les intérêts de l’ABL, soutenue par des blocs comme les Forces libanaises. Sur le plan fiscal, le FMI insiste sur une réforme en profondeur, avec une taxation progressive (visant les hauts revenus, estimés à 5 % de la population mais représentant 20 % des richesses, selon Oxfam), une réduction des exemptions fiscales (notamment pour l’immobilier, coûtant 1 milliard de dollars par an), et une lutte contre l’évasion fiscale, qui prive l’État de 2 milliards de dollars annuels, selon Transparency International.