Des produits qui brillent malgré la crise
Malgré une crise économique sans précédent qui a dévalué la livre libanaise de plus de 90 % depuis 2019, certains produits libanais continuent de rayonner sur les marchés internationaux, transformant les défis en opportunités. Alors que l’explosion du port de Beyrouth en août 2020 a laissé des cicatrices profondes et que les récents bouleversements ont perturbé le quotidien, les vins et les créations artisanales du Liban s’imposent comme des symboles de résilience et de savoir-faire. Dans un pays où l’électricité se limite à quatre heures par jour et où les salaires stagnent à l’équivalent de 20 dollars mensuels, ces secteurs économiques maintiennent une performance remarquable à l’exportation, portés par une tradition millénaire et une diaspora active qui relie le Liban au reste du monde.
Le Liban, carrefour historique entre l’Orient et l’Occident, a toujours su valoriser son patrimoine culturel à travers ses produits. Si les exportations globales ont souffert ces dernières années – passant de 4,05 milliards de dollars en 2017 à des niveaux bien inférieurs en 2023 selon les estimations douanières –, des secteurs spécifiques maintiennent leur dynamisme. Les vins libanais, héritiers d’une tradition viticole remontant à 6 000 ans avant notre ère avec les Phéniciens, et les produits artisanaux, reflets d’un artisanat multiséculaire, se distinguent par leur capacité à conquérir des consommateurs en Europe, en Amérique du Nord et dans le Golfe. Cette réussite, fruit d’une qualité reconnue et d’une adaptabilité face aux crises, illustre comment certains pans de l’économie libanaise brillent encore sur la scène internationale, offrant une lueur d’espoir dans un pays où plus d’un million de personnes ont été déplacées par les récents bouleversements.
Demande croissante pour les vins libanais
La viticulture libanaise, l’une des plus anciennes au monde, connaît un succès grandissant à l’exportation, portée par une demande croissante sur les marchés internationaux. En 2024, les exportations de vins libanais ont généré près de 10 millions de dollars, selon les estimations sectorielles, avec une production annuelle avoisinant les 10 millions de bouteilles, dont environ 35 % sont destinés à l’étranger. Ce chiffre, bien que modeste face aux géants comme la France ou l’Italie, témoigne d’une montée en puissance continue depuis les années 1990, lorsque les domaines historiques ont commencé à moderniser leurs techniques tout en s’appuyant sur un terroir exceptionnel, notamment dans la plaine de la Bekaa. Ce succès s’explique par une combinaison unique : un climat méditerranéen idéal, des sols fertiles à 1 000 mètres d’altitude, et un savoir-faire perfectionné au fil des siècles, exporté jadis par les Phéniciens jusqu’en Égypte et à Rome.
Château Ksara, fondé en 1857 par des jésuites, domine le marché avec environ 2,5 millions de bouteilles par an, dont une moitié vendue à l’étranger, principalement en Grande-Bretagne, en France et aux États-Unis. Son vin rouge Réserve du Couvent, un assemblage de cabernet sauvignon et de syrah, a conquis les amateurs par sa richesse et son prix abordable – environ 10 dollars à l’export en 2024. Château Kefraya, créé dans les années 1950 par Michel de Bustros, suit avec 1,5 million de bouteilles, dont 40 % exportées, ses cuvées comme Comtesse de M séduisant les palais européens pour leur équilibre entre fruité et structure tannique. Château Musar, fondé en 1930 par Gaston Hochar, incarne une exception : avec une production de 500 000 bouteilles, dont 75 % exportées, son vin signature, un assemblage complexe de cinsault, carignan et cabernet sauvignon, a acquis une renommée mondiale depuis son succès au Bristol Wine Fair de 1979, souvent comparé aux grands crus bordelais pour son potentiel de garde.
La demande pour les vins libanais s’étend désormais aux pays du Golfe, où l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, malgré des restrictions culturelles sur l’alcool, absorbent une part croissante via des canaux privés et des expatriés. En Europe, la France – pays du vin par excellence – importe environ 200 000 bouteilles par an en 2024, un chiffre en hausse de 5 % par rapport à 2023, selon les douanes françaises, séduite par des blancs comme ceux d’Ixsir, mêlant viognier et chardonnay avec une fraîcheur distinctive. Les États-Unis, avec 300 000 bouteilles importées en 2024, valorisent les rouges robustes de Ksara et Kefraya, souvent servis dans des restaurants libanais ou méditerranéens de New York à Los Angeles. Le Canada et l’Australie, où vivent d’importantes communautés libanaises, complètent ce tableau, avec des exportations stables à 150 000 bouteilles chacun.
En 2025, cette tendance devrait se renforcer avec la participation accrue des domaines libanais aux foires internationales comme Vinexpo Paris (prévu en février) et ProWein Düsseldorf (mars), où Château Musar et Château St Thomas présenteront leurs millésimes 2023, déjà salués pour leur concentration fruitée due à un été sec. Des initiatives comme l’Union vinicole du Liban (UVL), regroupant 20 producteurs, ont boosté cette visibilité en coordonnant des dégustations et des stratégies d’exportation, ciblant des marchés niches où la qualité prime sur le volume. Malgré une production confidentielle – représentant 0,05 % du total mondial selon la FAO en 2023 –, les vins libanais s’imposent comme des produits haut de gamme, souvent vendus entre 15 et 40 dollars à l’export, rivalisant avec des appellations européennes grâce à leur caractère unique.
Les produits artisanaux libanais
Les produits artisanaux libanais, reflets d’un patrimoine riche de plusieurs millénaires, rencontrent une demande croissante sur les marchés étrangers, propulsant l’image du savoir-faire local au-delà des frontières. En 2024, les exportations artisanales – incluant bijoux, textiles, céramiques et produits alimentaires transformés – ont atteint environ 50 millions de dollars, selon les estimations du ministère de l’Industrie, avec une hausse de 8 % par rapport à 2023. Ce succès repose sur une combinaison de techniques ancestrales, souvent transmises de génération en génération, et d’une adaptation aux goûts internationaux, portée par une diaspora de 14 millions de Libanais disséminés à travers le monde.
Les bijoux en or et argent, souvent ornés de motifs phéniciens ou ottomans, se distinguent par leur finesse. Des ateliers comme ceux de Saïda et Tripoli exportent environ 10 000 pièces par an, principalement vers le Golfe (40 %), les États-Unis (30 %) et la France (20 %), où des boutiques spécialisées à Paris vendent des colliers et bracelets entre 100 et 500 dollars. Les textiles, notamment les broderies traditionnelles de la Bekaa et les tapis tissés à la main, séduisent les marchés européens, avec des ventes atteignant 5 millions de dollars en 2024, dopées par des plateformes en ligne comme Etsy et des foires artisanales à Milan et Londres. Les céramiques, inspirées des motifs méditerranéens, trouvent preneurs au Canada et en Australie, où des services de table signés par des artisans de Zahlé se vendent autour de 50 dollars l’ensemble, une niche valorisée par leur authenticité.
Les produits alimentaires artisanaux, comme le zaatar, l’huile d’olive et les confitures, incarnent un patrimoine culinaire qui s’exporte avec succès. En 2024, environ 15 000 tonnes d’huile d’olive ont été exportées, principalement vers les États-Unis et le Canada, générant 20 millions de dollars grâce à une production concentrée dans le nord et le sud du Liban. Le zaatar, mélange d’épices typique, a vu ses exportations doubler entre 2020 et 2024, atteignant 2 000 tonnes, avec des sachets vendus entre 5 et 10 dollars dans des épiceries ethniques à Londres, Paris et New York. Les confitures artisanales – figue, abricot, mûre –, issues des vergers de la Bekaa, ont conquis les marchés du Golfe, où des pots de 250 grammes se vendent 8 dollars, souvent sous des marques comme Zeitouna ou L’Artisan du Liban.
En 2025, cet essor devrait se poursuivre avec l’ouverture prévue de boutiques spécialisées à Dubaï et Los Angeles par des entrepreneurs libanais, ainsi que la participation à des salons comme SIAL Paris (octobre), où des produits comme le savon d’Alep – adapté à partir de traditions syriennes mais produit au Liban – et les huiles essentielles de cèdre attireront les acheteurs. Ces exportations, souvent gérées par des PME familiales ou des coopératives, s’appuient sur une diaspora active qui promeut ces produits dans des épiceries ethniques et des restaurants méditerranéens, faisant de l’artisanat libanais un ambassadeur du « Made in Lebanon » à l’échelle mondiale.
Les produits du patrimoine libanais à l’étranger
Les produits du patrimoine libanais, qu’il s’agisse de vins ou d’artisanat, s’imposent comme des ambassadeurs d’une identité culturelle riche et multiforme, exportant bien plus que des marchandises : une histoire et un savoir-faire uniques. Les vins, héritiers des Phéniciens qui diffusaient leurs crus à travers la Méditerranée dès 3000 av. J.-C., portent en eux cette mémoire millénaire. Château Musar, avec son assemblage audacieux vieilli en fûts de chêne, évoque les arômes d’un Liban rural, tandis que les blancs de Château St Thomas, mêlant chardonnay et obeidi, rappellent les cépages locaux utilisés pour l’arak, une boisson ancrée dans les traditions festives libanaises. Ces vins, souvent servis dans des restaurants étoilés de Paris à Dubai, exportent un goût d’histoire qui séduit les amateurs à la recherche d’originalité.
Les produits artisanaux, eux, incarnent un patrimoine manuel qui remonte aux civilisations ottomane, byzantine et phénicienne. Les bijoux en filigrane d’argent, façonnés à Tripoli, évoquent les techniques des artisans médiévaux, tandis que les broderies de la Bekaa, avec leurs motifs floraux, rappellent les costumes traditionnels portés lors des mariages et des fêtes. L’huile d’olive, pressée à froid dans le nord, perpétue une méthode phénicienne documentée dans des textes anciens, et le zaatar, mélange de thym sauvage, sésame et sumac, transporte les saveurs des collines libanaises dans des cuisines du monde entier. Ces produits, souvent accompagnés de récits sur leur origine, deviennent des vecteurs d’une identité libanaise fière, valorisée par des expatriés qui les intègrent dans des événements culturels ou des marchés internationaux.
La diaspora libanaise, forte de 14 millions de personnes contre 5 millions au pays, joue un rôle crucial dans cette exportation du patrimoine. En 2024, des associations comme l’Union Libanaise Culturelle Mondiale ont organisé des foires à São Paulo et Sydney, où des vins de Château Kefraya et des céramiques de Zahlé ont été vendus à des milliers d’acheteurs, générant des revenus estimés à 2 millions de dollars par événement. Aux États-Unis, des épiceries comme Sahadi’s à Brooklyn proposent des huiles d’olive et des zaatars libanais, souvent associés à des campagnes sur les réseaux sociaux vantant leur authenticité. En France, des partenariats avec des enseignes comme Monoprix ont permis à des confitures artisanales de Kfarhay de s’afficher sur les rayons en 2024, avec des ventes atteignant 50 000 pots.
En 2025, ce rayonnement devrait s’intensifier avec des initiatives comme le « Lebanese Heritage Market » à Londres, prévu pour mai, où des vins d’Ixsir et des textiles brodés seront mis en avant, et une exposition à Dubaï Expo, reportée à octobre, célébrant le patrimoine culinaire et artisanal libanais. Ces produits, exportés dans plus de 50 pays, ne sont pas seulement des marchandises : ils incarnent une histoire de résistance et une identité qui, malgré les épreuves, continuent de s’épanouir à l’étranger, renforçant le lien entre le Liban et le monde.